On peut se sentir très dépaysé sans parcourir des milliers de kilomètres. Partir à la découverte d'autres modes de vie, à quelques dizaines de kilomètres de chez soi peut être plus dépaysant que de visiter une capitale européenne !
C'est ce que je ressens lors de cette semaine à Ecoravie, un lieu de vie partagé entre des familles et des personnes retraitées au sein d'un des bâtiments éco-construits et à énergie positive.
STOP au jargon, je traduis :
Bâtiments éco-construits : il s'agit en l'occurrence de bâtiments construits avec des matériaux et des techniques qui n'ont pas ou très peu d'impact sur l'environnement : cela implique le choix de matériaux : panneaux en Fermacell® au lieu de placo, bois éco-sourcé, murs intérieurs en terre, peintures et enduits naturelles, etc.
Bâtiments à énergie positive : ceci veut dire qu'ils produisent plus d'énergies qu'ils n'en consomment.
En pratique ça donne ça :
Ici pas de radiateur dans les appartements qui sont uniquement chauffés grâce aux rayons directs du soleil sur les vérandas, les serres et le triple vitrage ainsi que par un puit canadien/provençal et un système de ventilation double flux (en hiver l'air chaud sortant réchauffe l'air froid entrant et inversement l'été). Des panneaux solaires permettent de chauffer l'eau (douches et vaisselle) et d'autres de produire de l'énergie électrique. En journée, le surplus est revendu sur le réseau , cela compense la consommation de nuit sur le réseau en l'absence de soleil (avec Enercoop, un fournisseur d'électricité 100% et réellement verte).
On agit même (et surtout) au niveau des toilettes !
Concernant l'eau, les habitants limitent leur consommation avec notamment des toilettes sèches dans tous les appartements. En effet, c'est une aberration de faire nos besoins dans de l'eau potable, si précieuse ! Peur des odeurs ? Que nenni ! Justement, comme elles sont sèches et ventilées, ces toilettes ne sentent pas. En effet les urines sont séparés des selles par un système tout bête de séparette dans la cuvette (Oui les hommes doivent s'abaisser...comme tout le monde !). Les premières partent dans les égouts et les secondes dans le sceau. Même pas besoin de mettre de la sciure dans celui-ci. Un système ingénieux de trape referme automatiquement le sceau quand on se relève : c'est magique ! Une fois par semaine environ, chaque foyer vide son sceau dans le composte dédié. Celui-ci mettra 2 ans avant d'être transformé en engrais viable. C'est un moment peu agréable, la première fois. Après réflexion, je trouve cela plutôt sain de savoir ce que deviennent nos selles et de s'assurer qu'elles contribuent au cycle naturel : rien ne se perd, tout se transforme !
Auto-construction : cela signifie que les habitants construisent eux-mêmes leur maison. Concernant Ecoravie, les bâtiments étant de taille (3 bâtiments de 3 niveaux chacun), une entreprise se charge du premier oeuvre : fondation, structure bois, vitres, plomberie et électricité. Les habitants et les bénévoles font le second oeuvre : isolation, pose des cloisons, salles de bain et parquets, peintures, enduits, réalisation d'un escalier extérieur, etc.
Concernant l'état d'avancement du chantier : le premier bâtiment est terminé et habité. Le chantier participatif d'auto-construction concerne le second oeuvre du 2e bâtiment. Une entreprise est en train de faire les fondations du 3e bâtiment.
Habitat groupé ou partagé : quèsaco ?
En pratique, chaque foyer a son appartement qui est son espace privé. Les jardins, caves, buanderies, ateliers, outils de jardin, une voitures et un camion ainsi qu'une table de ping-pong et un trampoline sont partagés. Une fois que le 3e bâtiment sera terminé, il est envisagé de construire une maison commune qui sera un lieu de rencontre entre habitants mais également avec les habitants de Dieulefit à l'occasion de divers évènements.
Au delà des espaces ce sont les modes de fonctionnement qui sont partagés : juridiquement, le lieu appartient à une société dont les habitants sont des associés. Ils ne sont pas copropriétaires du lieu mais usufruitiers. Ainsi, les bâtiments appartiennent à une société anonyme et coopérative, une structure juridique qui assure la cohérence globale du projet à long terme, indépendamment des entrées et sorties des habitants. De plus, cette organisation permet aux habitants de coopter les nouveaux arrivants, ce qui ne serait juridiquement pas possible avec une copropriété (dans ce cas chaque habitant vend indépendamment l'appartement dont il est propriétaire).
Modes de décision :
La trentaine d'écoravissants (mot désignant les habitants et futurs habitants, le dernier bâtiment n'étant pas encore terminé) s'organise de la façon suivante pour gérer le lieu et la société : Les grandes décisions sont prises une fois par mois lors du CA qui s'étale sur un week-end, grâce à la gestion par consentement : cela veut dire que personne ne s'oppose à la décision. Ce qui est bien différent du consensus qui implique que tout le monde soit d'accord.
Concrètement il s'agit d'un mode de gouvernance partagée qui permet à chacun de soulever des objections raisonnables à une proposition et à tous de contribuer à clarifier et bonifier la proposition afin de permettre de lever l'objection. Ce système permet d'éviter l'effet binaire du vote POUR/CONTRE et de permettre la contribution de tous à bonifier une proposition. Lorsque toutes les objections sont levées, la proposition est acceptée et CÉLÉBRÉE ! Pour en savoir plus sur la gestion par consentement je vous recommande cette fiche de l'Université du Nous.
Pour les décisions plus opérationnelles et techniques, les habitants se sont répartis en commission, sorte de groupes de travail thématique : chantier, financier, jardins, etc. Chaque commission a un domaine de travail et de décision délimité dans lequel il peut faire ses choix en autonomie. Si la décision est d'importance (par exemple si elle implique un montant financier supérieur à X€) : elle sera soumise à tous les habitants lors du prochain CA.
De la solidarité dans le montage financier :
Afin de rendre le projet le plus accessible possible et de ne pas le réserver à des foyers aisés, le collectif a mis en place un système solidaire. Ainsi, les foyers qui ont rejoint le projet ont apporté chacun entre 10 et 200 mille euros, sans obligation d'égalité de ce côté-ci. Lorsqu'il quitte le projet, chacun repart avec son apport initial. De plus, chaque foyer paie un "loyer" mensuel qui se découpe en plusieurs parts :
Pour en savoir plus : http://www.ecoravie.org/approfondir/montage-juridico-financier/
Historique :
Le collectif a été fondé il y a dix ans par trois habitantes de Dieulefit. L'une d'entre elle a appris que le terrain devant chez elle devenait constructible. Elle a saisi l'occasion pour en faire un projet en lien avec ses valeurs de respect de la terre et de lien humain. Lancer un tel projet comporte des défis titanesques : financiers, juridiques, humains ! Au fur et à mesure des années des personnes ont rejoint, certaines quitté, le collectif. Et ils y sont arrivés ! Aujourd'hui une vingtaine de personnes ont emménagé sur le lieu. Les dix dernières attendent patiemment mais activement la construction du 3e bâtiment !
Selon moi, ce qui fait la réussite de ce vaste et complexe projet humain, c'est justement qu'on y prend soin des humains !
Et ce n'est pas simplement une belle intention : j'ai pu constater qu'elle est incarnée au quotidien et que des outils sont mis en place. Bien sûr, le collectif a essuyé des échecs, comme tout projet, des départs en court de route par exemple. Ceux qui sont restés se sont posés la question de pourquoi, et petit à petit, avec l'expérience et l'aide d'experts des collectifs (l'Université du Nous), ils ont mis en place différents processus. Mais au delà de ces outils que je vais décrire plus bas, c'est l'importance de prendre soin des relations humaines, valeur partagée par les personnes constituant le collectif, qui est cruciale. Ceci se ressent dans la façon dont je suis accueillie en tant que bénévole, dont le travail est organisé avec pour maitre mot de s'écouter et de faire ce qu'on peut. C'est également dans les moments conviviaux et festifs, si importants pour construire des relations dans la joie. C'est également dans la sincérité et l'authenticité avec laquelle chacun exprime ses besoins et ses limites qui sont accueillis sans jugement par le groupe.
Dans nos échanges je comprends qu'il y a eu des tensions récemment par rapport au niveau d'investissement de chaque habitant dans le projet. En effet avec comme slogan "chacun donne ce qu'il peut quand il peut", le résultat est un investissement variable selon les personnes et les moments. Le chantier de construction nécessitant énormément de temps, certains y travaillent l'équivalent d'un mi-temps, temps précieux qu'ils ne peuvent pas consacrer à des activités rémunératrices pourtant nécessaires (ils doivent payer un loyer...). Un arrangement a donc été trouvé et est actuellement tester : les quelques personnes s'investissant à mi-temps, voire à temps plein, sur le chantier sont rémunérées pour le temps passé, à hauteur du SMIC horaire. Cet arrangement a contribué à apaiser les tensions, à la surprise de certains qui pensaient que l'argent ne résoudrait pas la question.
Concernant les outils, les habitants se sont engagés à se former à la Communication Non Violente qui "vise à communiquer vers l'autre d'une manière qui favorise la compréhension et l'acceptation du message et à recevoir un message de l'autre, l'écouter d'une manière qui favorise le dialogue quelle que soit sa manière de s'exprimer".
Lorsqu'une personne éprouve une tension, elle peut l'exprimer et faire appel à un tiers pour faciliter le dialogue. Un processus de cercle restauratif peut être déclenché en cas de conflit. "Ils permettent de mettre en place, au sein d’une communauté, un moyen pour vivre les conflits dans un espace sécurisé, en ayant accès, par une forme de relation respectueuse de chacun, à l’humanité des personnes".
« Le conflit fait partie de la vie. Aujourd’hui, j’ai compris que le conflit n’est dangereux que quand on essaie de s’en éloigner » Dominic Barter.
L'objectif est donc de ne pas laisser les tensions s'envenimer, de pouvoir parler dans un cadre sécurisé de ses ressentis et d'être entendu, puis d'oeuvrer ensemble à trouver une solution.
Le point qui m'a le plus impressionné et qui souligne selon moi la maturité de ce collectif et leur adoption récente d'un processus d'exclusion.
Les habitants ont pensé ensemble à la possible nécessité d'envisager l'exclusion de l'un d'entre eux à un moment donné : c'est pas rien ! Ils ont construit ensemble tout un processus pouvant aboutir, ou non, à l'exclusion. Le processus est important car si on exclut trop facilement, au moindre conflit, on passe à côté d’un problème à résoudre, qui peut être révélateur pour le groupe !La différence avec une organisation classique est qu'on va gérer l’exclusion ensemble. N’importe quelle personne peut déclencher ce processus, souverainement, envers n’importe qui du groupe. On va parler de l’exclusion tous ensemble, ce qui n'est ni facile ni agréable mais nécessaire. La décision d’exclusion sera collective et non le fait d’une personne (contrairement par exemple à un manager qui décide d’un licenciement).
Nous sommes une dizaine de bénévoles, logés et nourris pour la semaine, encadrés par 4 ou 5 écoravissants de la commission chantier. Ces personnes m'impressionnent. Novices au départ, elles se sont formées en construisant le premier bâtiment et en faisant appel à des artisans qui leur ont transmis leur savoir. Aujourd'hui l'un d'entre assure le rôle de chef de chantier et dirige les opérations de l'entreprise qui fait le premier oeuvre. Une belle montée en compétence en seulement 2 ou 3 ans !
Nous sommes donc lundi matin, 9h. Je n'ai jamais bricolé et encore moins construit une maison. Pas de souci, ici on fait confiance et on prend le temps de transmettre. Je me retrouve donc une perceuse à la main à monter une douche en bois ! Enduite de Rubio (un vernis bois écologique), elle sera ensuite parfaitement étanche :)
Durant cette semaine je vais devenir maitre dans l'art de manier la perceuse : sur bois ou sur Fermacell ! L'ambiance est joyeuse et conviviale. Chaque habitant met la main à la pâte. Françoise, 70 ans, nous reçoit midi et soir dans sa véranda pour les repas qui sont cuisinés à tour de rôle par les habitants. Que ce soit au chantier ou derrière les fourneaux, il y en a pour tous les goûts !
Le soir, fourbus de notre journée de travail, on prend l'apéro avec le soleil couchant puis soirée jeux ou (ma préférée) : Jam ! À la musique, au chant ou à la danse, chacun trouve sa place pour une soirée endiablée ! C'est si bon de créer sa propre musique :)
Parmi les bénévoles : des vingtenaires/trentenaires comme mois tout comme des retraités. Des personnes de tous horizons qui partagent l'envie de construire une autre société qui privilégie le lien avec les humains et le vivant.
C'est le coeur serré que je quitte Ecoravie, non sans avoir passer 3heures à arpenter les boutiques de potiers-artistes de Dieulefit, j'ai l'impression de rentrer chez moi après une super colo, triste de quitter les copains.
Une chose est sûre, je viens d'ouvrir la porte d'un autre monde qu'il me tarde d'explorer ! En effet, rien que dans le réseau des Oasis Colibris, environ 400 lieux sont déjà ouverts en France...
Il me reste à vider et rendre mon appartement lyonnais, pour partir, sac au dos et le coeur confiant, vers ces nouvelles aventures :)
Leur site très nourri en contenus et vidéos : http://www.ecoravie.org
Il reste des places pour le chantier participatif du 1er au 13 juillet 2019 !!
Super article, merci Marion !
J'aime surtout le côté très concret et informatif de l'article. En théorie je trouve le concept d'habitat partagé super, mais me suis toujours demandé comment en pratique cela fonctionne, donc vraiment super les info de fond sur la structure juridique, financière, sur le mode de prise de décision, et sur les aspects constructions!
Un grand merci !
Roxane