La température est douce, la pollution maximum, (on se croirait à Oulan Bator en Mongolie, là où l'on brûle des pneus dans les yourtes pour se chauffer). Pas de place chez Hovi'k, là haut sur le plateau (quartier d'Arabkir) donc retour au Loft Hostel, en plein centre. Souvenez vous, septembre 2021: : c'était le premier pied à terre lorsque Erevan n'était alors qu'un nom de ville sans image en regard du mot. Là je respire à pleins poumons les particules fines.
En décidant de passer 48h à Erevan avant de me rendre à Gyumri, lieu du montage du film tourné cet été, j'avais ma petite idée. Bien sûr revoir ceux qui me sont chers parce qu'ils m'ont accompagnée dans les moments les plus difficiles, Hovi'k et Martiros, mais aussi prendre quelques indices pour dénouer l'énigme "Arménie" (mission difficile ). Pourtant l'enjeu est important puisqu'il s'agit de donner du sens à un film dont la matière est encore confuse.
Erevan est un village où le politique n'est jamais très loin de l'habitant. J'ai nettoyé mes oreilles et ouvert grand mes yeux.
Disons que je fais du Lobbying, mais je ne vous livrerai pas mes sources. D'ici l'été ce devrait être terminé : la Russie n'aidera pas (trop occupée ailleurs et peut-être un peu agacée par le flux migratoire), l'Europe non plus (trop fascinée par les ressources sans fond en gaz et en pétrole de l'Azerbaïdjan). L'Armenie cédera le Karabagh et le corridor de Latchin. La crainte d'une révolte populaire? Pas vraiment. Tout le monde est fatigué, trop de morts.
Côté face. C'est un petit café que je n'avais pas repéré avant. Pourtant il méritait le détour. 'L' Art cafe "est une niche, un vivier, une ruche... Enfin comme vous voudrez, quelque chose comme ça. C'est là que j'ai rencontré Garik dans une salle bourdonnante (allons-y pour une ruche), il s'occupe du bar le jour. La nuit il est acteur et réalisateur. Rencontré le matin dans le café désert il a, pour moi, prolongé son temps de travail. Il m'avait donné rendez vous. Quelle belle rencontre !
Bien que très fatigué, il s'est appliqué à m'expliquer en parlant doucement et clairement. Pour lui la guerre du Karabargh a un caractère d'évidence. Les arméniens qui sont nés là bas veulent vivre sur leur terre. C'est un argument récurrent " Nacha zimlia" - notre terre- Lorsque je demande si le sacrifice des jeunes qui sont les forces vives de l'Armenie n'est pas un prix exorbitant à payer pour cette terre, il en convient et me dit que j'ai raison. Mais il me fait comprendre que tout ne s'explique pas. Il a, lui et ses amis, risqué sa vie dans cette guerre. Comme il le dit lui-même, c'est dans nos gènes. Ce mot pour moi fait bizarrement écho à génocide. Le génocide est inscrit dans les gènes des armeniens. Un autre propos m'a émue : "Nous avons peut-être aussi un côté romantique". Le romantique ? C'est celui qui se penche au bord de l'abyme jusqu'à s'y perdre. J'ai eu peur pour lui et ses amis. Nous venions juste de nous rencontrer.
Je venais récupérer l'autoportrait que je lui avais acheté l'année dernière : l 'essentiel de la matière première utilisée dans cette œuvre exceptionnelle avait pour origine les fibres d' un balais de ménage d' un joli bleu. L'œuvre a été présentée en novembre lors d'une exposition à Erevan : 350 autoportraits dans lesquels sont recyclés, de la ferraille, des clous, des perles de pacotille, des tapis... Un succès. Rien n'était à vendre. Un seul était vendu, le mien. Impossible de le retrouver dans le bazar empilé par les étudiants qui ont servi de petite main. Ballot, mais une surprise m'attendait. Martiros avait pensé à moi avec en main une photo qu'il avait prise dans son atelier lors de ma dernière visite.
J'ai a nouveau escaladé les centaines de marches de Cascade pour retrouver Hovi'k et "Street 51", l'endroit magique situé sur Arabkir, mon port d'attache dans la quête des moutons. Notre rencontre fut brève, mais pleine d'émotion. Je crois avoir pleuré.
Entre le haut du grand escalier et Arabkir où se trouve l'auberge d'Hovi'k, les palais des oligarques. Vaste chantier. J'ai emprunté des dizaines de fois l'avenue défoncée, de jour et de nuit, avec un petit frisson dans le dos. La place a sans doute été faite par des bulldozers sur un terrain vague émaillé de quelques taudis pour tracer une avenue (à venir) et construire les somptueuses demeures des oligarques. Idéalement situées en face de l'Ararat, les seigneurs dominent la ville. Dissimulés derrières les portails aux ferronneries extravagantes (les orientaux adorent la ferraille), protégés par leurs gardes du corps entassés dans des guerrites, l'œil fixé sur les caméras (ils sortent de temps en temps pour fumer une cigarette et donner un petit coup de chiffon sur les mercedes berlines ou 4x4 rutilantes). Là les seigneurs mènent leur petit train train : jeu, prostitution, commerce illicite... et que sais-je ? Dans ce domaine je n'ai pas beaucoup d'imagination.
Dans ce domaine, l'Armenie n'est pas encore sous perf. Les Émirats arabes ont pris le relais des pays du Nord. Un aller-retour Dubai-Erevan revient à un peu moins de 100 euros. Juste le temps d'aller voir 2 monastères, le lac Sevan et quelques rochers en montagne avec un tour operator. Le drame du week-end pour Kristin? Elle n'a pas pu prendre la photo du monastère de Khor Virap avec le Mont Ararat en toile de fond (séparé de la scène par les barbelés de la frontière avec la Turquie). L'Ararat s'était caché. Je lui ai conseillé d'aller la chipper sur internet.
Ils se sont étonnés que je leur dise au revoir en russe, ils pensaient que je ne parlais pas leur langue. Stei est Ouzbiek et vit en Russie. Son job :le poker. Alessia a un magasin d'accessoires de voitures à Sotchi (son père le tient en ce moment), Narina une boutique de fringues à Moscou (sa maman la tient en ce moment). Qu'est-ce qu'ils font là ? Je n'ai pas très bien compris et je pense qu'eux non plus. Ils font des aller retour dans le pays des gentils, car dans leur pays (d'adoption), on n'est pas gentil. Stei en un tour de main m'a préparé une délicieuse Kacha avec quelques rondelles de banane et de la cannelle (je ne pouvais pas partir sans manger!). Ils ont décrété, après consultation sur internet, que le Monastier sur Gazeille était le lieu de vie idéal et qu'ils allaient arriver. Comment me prévenir ? Je n'ai ni Facebook, ni Instagram. Ce n'est pas un problème Stei m'enverra un pigeon voyageur (il a accompagné sa proposition d'un joli geste des mains).
Et puis j'ai repris la route de Gyumri. La routine.
Ces deux jours ont été tellement intenses que j'ai eu envie de les partager. Ce n'est pas sûr qu'il y ait une autre étape puisque nous allons passer aux choses sérieuses. Je ferai peut-être un point la semaine prochaine. A très bientôt.
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