I
Par où commencer ? Ne pas fatiguer le lecteur malgré tout, partager des quantités d'instants, d'histoires, d'émotions, de questionnements... L'affaire est difficile, mais je vais essayer de m'y tenir. Je ne souhaitais pas refaire un blog, mais finalement j'ai besoin, dans ma solitude de voyageuse, d'écrire . J'ai donc choisi un site privé à partager avec quelques intimes.
Les décisions ne sont pas toujours faciles à prendre, mais il faut bien tirer un premier bout pour un projet de voyage plutôt improvisé. Après avoir envisagé de partir en voiture et d'emporter une grande tente et du matériel de camping pour plus de confort j'ai finalement opté pour le sac avec la petite tente... au cas où. Bien m'en a pris.
8h qui passent très vite. Je ne lis pas, je ne rêve pas mais je regarde et je somnole. C'est le premier lâché prise depuis le début du voyage. Ma place est près de la fenêtre, cadrage parfait pour suivre le tracé d'une carte de géographie en 3D..
Ahmed occupe le pavillon du Soudan. Un consulat fictif. Il gère la délivrance de visas pour un voyage vers une Afrique unifiée et en paix. Il a ouvert un ou deux tiroirs vides pour récupérer une tablette. C'était pour la photo. Je suis répartie avec mon visa pour 2033 (vague photocopie sortie d'une imprimante, autre objet technique de ce lieu). Nous avons parlé du Soudan. Cette première expérience méritait déjà le voyage. J'ai décidé alors d'explorer en premier les petits lieux essaimes un peu partout autour du temple de l'art contemporain.
Apres un temps long passé en Armenie, le contenu du pavillon azeri ne pouvait qu' exciter ma curiosité.
L'intitulé "La planète rose" pour un pays qui affirme sa puissance et ses ambitions de conquêtes territoriales grâce à la matière noire du pétrole ( que l'état alchimiste transforme en or), c'est déjà tout un programme de communication. L' essentiel de l' exposition est consacrée à des oeuvres anciennes de l' artiste d'origine russe qui a fait ses études à St Petersbourg dans les années 50. Toute une série de tableaux superbes sur une fiction qui repose sur la rencontre d'un ouvrier travaillant sur les sites de forage et de maryline : métaphore de de la rencontre Est-Ouest en période de guerre froide.
La jeune génération ? bullshit. Enfin celle qui représente les instances officielles. Les autres sont sans doute exilées ou en prison.
Il n'est plus tout jeune ce qui explique qu'il soit marqué par l'histoire de l'Union Soviétique et ses utopies. La conquête spatiale a fait rêver l' enfant. Plasticien et designer, Saken Narynov a imaginé un projet d'habitat collectif très futuriste. En contrepoint, Kamil Mulashev, beaucoup plus jeune, propose une longue video au contenu chamanique et futuriste qui nous transporte ailleurs, à la fois, dans le passé et dans le futur, mais certainement pas dans le présent . Il manque à l'occidentale quelques références culturelles pour suivre.
Dans un petit estancot, au fond d'une ruelle déserte, Maria est bien désœuvrée . L'accueil est chaleureux. Autant de propositions dans un si petit espace est significatif du dynamisme de la creation artistique au Perou. Un improbable rafiot a traversé l' Atlantique pour venir s'échouer dans le port de Venise à quelques mètres du lieu, un projet urbanistique a repeint en camaieux de verts des bidonvilles et l'installation de Celso Gonzales réactualise le récit de la colonisation. En résumé, beaucoup avec peu de moyens.
A l'entrée de l' Avenue Garibaldi, un charmant petit palais. La lumière et la taille modeste des pièces conviennent parfaitement à ce travail. Des toiles peintes lacérées et retricotées . Une dimension symbolique ou purement décorative ? Sans doute un peu les deux. C' est très beau.
Quelques bulles fines et transparentes produites par plusieurs machines sophistiquées et complexes. J' ai beaucoup aimé . J' ai aussi beaucoup aimé l'immense salle remplie d'aquariums tournant a plein régime ... sans poissons .
D'immenses écrans vidéo divisent l'espace. Sur chaque écran, une carte sur laquelle une main dessine avec un crayon un trajet. Une voix off commente le trajet.
Je suis restée en arrêt devant celui d'un adolescent venu du Bengadesh pour réaliser un rêve d' enfant : l'Italie. Un premier voyage l'a fait rebondir comme une balle de tennis entre l''Europe, l' Afrique et le Moyen-Orient. Il a connu les arnaques, les traversées de déserts, la prison en Lybie,... Jusqu'au retour forcé en avion à la case départ. Il est reparti et travaille aujourd'hui dans un restaurant à Rome.
Jour 3. Je suis fatiguée. Faire une pause nécessite de prolonger mon séjour. L'auberge double pratiquement ses tarifs pour le week-end 90 €. Ce n'est pas envisageable. La solution de repli :le camping. J'ai vent d'un petit camping sympa à la pointe de l'île du Lido. J'appelle. C'est bon. Je peux papillonner une journée, pour la suite on verra.
Je choisi d'explorer la Giudecca sans destination précise. Derrière le ravissant alignement de cafés, palais, églises du bord de la lagune ou se trouve mon auberge, des ruelles très étroites conduisent tout droit vers des quarters de HLM où vit la population locale. Ambiance d'un quartier de banlieue de n'importe quelle grande ville. Quelques centaines de metres plus loin l'autre rive de la lagune. Personne. Je me pose sur un ponton et regarde passer les bateaux. Le ciel est couvert, mais l'air est doux. Les parfums de la flore méditerranéenne se mêlent aux embruns. Au loin, le trafic est incessant. Une pirogue sans amoureux cherche sa voie. Coussins de velours rouge elimes, laque noire et dorures. L'idée de cercueil me vient à l'esprit.
Une belle demeure vénitienne entourée d'un parc se trouve à proximité. Dans la grille, une porte. Elle est ouverte. Une affiche invite à une exposition. Il s'agit d' un centre de recherche sur l'histoire de la lutte antifasciste au XXe siècle. L'intérieur est resté en l'état et les chercheurs cherchent dissimulés derrière des piles de dossiers. L'ambiance est feutrée et peu de visiteurs se sont égarés au fond de ce parc.
Au dernier étage le bureau de Rossana (nous sommes complices maintenant) et sa bibliothèque qui est à disposition des visiteurs. Feuilleter dans un canapé en cuir râpé, face à la lagune, les mémoires de Kroutchev c'est assez étonnant. Beaucoup de livres de sociologie et de politique en français.
Les récentes sculptures d'archange de l'artiste belge Berlinde De Bruyckere occupent l'abbaye de San Giorgio Maggiore. Intéressant les grands miroirs qui font dialoguer les sculptures anciennes et contemporaines.
Je déménage et découvre l'île du Lido. Illusions perdues, mais des moments delicieux aussi, dans des quartiers qui ne sont pas sur "le routard ". Guide très décevant que j'avais pris avec moi, au cas où.
Bien sûr j'avais vu le film de Visconti "Mort à Venise", mais je n'avais jamais lu le livre de Thomas Mann. Je l'ai chargé sur ma liseuse et pris le chemin de la plage qui est à l'opposé. Elle tourne le dos à la lagune et s'ouvre sur l'Adriatique. Le livre m'a embarquée, la plage m'a débarquée. Je m'aperçois que je n'ai aucune photo et pour cause. Des vaguelettes chargées d'une écume jaunâtre viennent baver sur la plage. Des milliers de paillotes se serrent derrière de hautes grilles, le grand hôtel plus ou moins en ruines est entouré de rubalises. Le livre ? j'ai adoré. Le film est raté en comparaison. Comment donner corps à une âme ? Le cinéma a ses limites.
PS Un livre comme celui-ci, pris au 1er degré ne serait-il pas censuré aujourdhui?
C'est l'autre gros morceau de la Biennale avec l'Arsenal. Chaque pays, au fil du temps à investi dans un pavillon en dur avec un projet architectural innovant selon l'époque. Tout cela au milieu de jardins traversés par un canal. La Biennale est pour chacun une vitrine et un outil de communication qui n'échappe pas à la géopolitique.
S'y rendre est facile le bus à côté du camping me conduit en 5mn à la station de Vaporetto en haut de l'île. Les Giardini sont juste en face. La lagune est agitée, les embruns fouettent le visage. Je n'ai pas pris de vêtements de pluie.
J'ai fait le détour pour Ana, mon amie serbe qui m'accueille la semaine prochaine sur l'île de Ciovo en Croatie. Le titre du Pavillion Serbe "Exposition Coloniale" en dit long sur son rejet de l'occident. Il s'agit de la reconstitution d'un espace miserabiliiste, post union soviétique, sous une lumière glauque, où les fleurons du capitalisme (Coca-Cola, liedll...) semblent fossilisés. Il faut préciser que la Serbie vit sous perf de la Russie. Gazprom a construit en 10 ans à Belgrade la plus grande cathédrale orthodoxe du monde.
Ana n'a pas compris. Elle a 32 ans et aucune connaissance de l'histoire coloniale. Je lui ai expliqué.
J'étais allée au "Magasin" à Grenoble pour avoir un avant goût de l'exposition. Beaucoup aimé, mais c'était une exposition collective. Là, l'artiste, originaire de la Martinique, en fait trop et donne à la France un petit côté suffisant, mais n'est-ce pas le cas ? Pour plus d'infos... Tous les journaux en parlent.
Petite sélection parmi d'autres. Mais je sens que vous êtes fatigués et moi aussi.
Le pavillon central ? Des centaines d'œuvres. Je me suis ennuyée, mais j'étais à l'abri de la pluie.
Et quelle nuit ! Éclairs, tonnerre. Un déluge. Les éléments se déchaînent et moi je suis momifiée dans ma tente minuscule. Allongée sur le dos, je ne bouge pas d'un centimètre pour ne pas effleurer la toile de tente. L'expérience prouve que j'ai fait un bon investissement. Je suis humide mais pas mouillée. Pour ce dernier jour je m'équipe de ma cape de pluie de randonnée. Un peu le prolongement de la tente.
Équipée comme un marin islandais, je traverse à nouveau la lagune dans un brouillard épais. Venise dégouline. L'eau déborde sur les quais. Un petit avant goût d'Acqua Alta, mes bottes en caoutchouc, que l'on moque un peu au Monastier, me seraient utiles. Je me dirige vers le Palazzo Grassi à la punta de la Dogana. La fondation Pinault propose une exposition de l'artiste videaste Pierre Huygue, star de l'art contemporain. Par principe je ne vais pas dans les fondations qui sont des niches fiscales (enfin des grottes), mais enfin difficile de parler de ce que l'on connaît pas... Enfin pour moi.
De gros moyens. C'était attendu. Très mortifere. No comment. Je n'ai pas pu extraire la substantifique moelle. Pas de photo, c'était tout noir.
Je clapote sur le quai très étroit en direction de l'académie, musée des Beaux-arts de Venise. Quelques rares passants, à contre sens, plient l'échine. Ma cape claque au vent.. Le pavillon armenien est installé derrière un porche entre ouvert. Une artiste de la diaspora résidant en France présente un gigantesque rouleau de dessins à l'encre qui se déploie en une sorte de labyrinthe sur plusieurs dizaines de mètres. Le thème des 7 péchés capitaux. Impressionnant.
Oups! Je me suis embrouillée dans les cases à cocher sur le site. Je voulais faire un site privé. Il y a déjà eu 28 visites alors que je n'avais ni finalise ni publié. 😰