Dans l'urgence, il y avait
Il a fallu donc me mettre à la recherche d'un traducteur le jour même avant de rentrer sur Erevan. J'ai trouvé Rima.
Rima travaille dans une ONG qui enseigne le français à Gyumri. Elle est aussi spécialisée dans le travail social auprès des femmes. Certaines se trouvent dans une situation désespérée avec la perte de leur époux lors de la guerre, et des enfants en bas âge. Elles peuvent accéder à une formation professionnelle pour rentrer sur "le marché" du travail. Un marché évidemment dont les étales sont vides. La plupart veulent être esthéticiennes (des salons de beauté il y en a partout🙄)
Rima est jeune et belle, pleine d'énergie et a répondu positivement à ma demande de traduction. J'ai ressenti un grand soulagement. Soulagement qui s'est peu à peu transformé en inquiétude. Notre relation a été compliquée
Inquiétude lorsqu'elle m'a donné rendez-vous dans la nuit et le froid glaçant du petit matin, rendez vous qui m'a contrainte à faire et défaire mon sac sans mot dire, ni maudire. J'étais prête à tout pour avoir cette traduction.
Inquiétude lorsqu'elle a refusé de traduire certains passages qui pour elle n'étaient pas historiquement corrects. A surgi alors l'écueil , que dis-je, le récif voire l'iceberg "de Voghi ancien village Azeri" . J'avais appris oralement que ce village au nord de Gyumri était habité par des Azeris qui avaient eu à déménager avec meubles, vêtements, casseroles... et pour certains, les pierres de leur maisons après la victoire des Arméniens dans la première guerre du Karabargh. J'avais effectivement vu beaucoup de ruines à Voghi. Je les avais d'ailleurs photographiées. Au moment où les armeniens sont menacés d'expulsion du Karabagh , je jetais du pétrole sur le barbecue.
Conclusion, l'étape par Voghi a été supprimée du scénario, l'argument de Vazo m'a convaincue:l'Azerbaïdjan pourrait détourner le film à des fins de propagande. Garnik n'avait fait aucune objection. Rima avait-elle traduit ?
Rima, ne pouvait pas assurer. Trop bousculée. Je pense aussi que ce texte lui avait pris la tête. J'ai alors pensé à Artur
Revoir Irina, quel plaisir. Ma chambre est prête. Celle dans laquelle j'avais dormi la dernière fois, juste en face la petite cabane que j'avais dessinée.
Lors de mon premier voyage à Alaverdi, j'étais tout près des fermes sans m'en douter. Il y en avait trois à voir, j'en ai trouvé deux, la dernière je n'y suis jamais arrivée.
Pour arriver chez Irina il faut grimper par une piste jusqu'à un embranchement. Irina s'était à droite, la ferme de Gevorg s'était à gauche 2km plus haut.
C'est effarant en Arménie toutes les boîtes de chocolats sont conditionnées de la même façon. Elles font partie des incontournables du café et sont empilées sur des mètres linéaires dans les supermarchés pour finir, sans doute, dans les ravins de nos belles montagnes du Caucase. Je dis "nos", car contrairement aux arméniens (ce ne sont pas les seuls) qui se sentent propriétaires d'une terre (même de l'Ararat qui n'est plus à eux), j'ai plus d'exigence, je me sens propriétaire de toutes les beautés du monde.. et il y en a de moins en moins. Vais- je partir en guerre ?
La rencontre hasardeuse d'une ovule et d'un spermatozoïde m'ont jetée dans ce coin du monde, mais est-il pour autant à moi ? Il est moi parce que c'est ma langue, ma culture... Je n'ai pas aimé être jetée dans un coin, d'où la nécessité, comme pour le petit enfant, d'aller explorer un peu plus loin, à quatre pattes, pour me mettre debout et regarder par dessus le mur. Lorsqu'on me dit "Vous êtes française ! " avec un regard envieux, je me dis, au fond de moi, qu 'ils ont raison. C'est effectivement un cadeau d'être française et de vivre dans un pays qui m'a permis de rester en bonne santé jusqu'à un âge avancé, assuré une fin de mois sans travailler, et donné un passeport en or qui me permet d'aller courir le monde. Quelle chance que cette ovule et ce spermatozoïde. se soient rencontrés 😜
Il faut séparer le J du r et faire rouler le r jusqu'au a sans l'ecrabouiller. Pour ne pas simplifier l'affaire '"le village" Jrashen est non identifiable entre centre urbain (HLM kroutchevien)), zone de maisons zones déglinguées, vergers jonchés de plastiques et monastère (le monastère de Sanahin célèbre dans le monde entier). Le téléphone de Rudik Sargaryan est muet. Le temps est gris et bouillasseux. Les affaires vont mal. Qu.'à cela ne tienne, il reste le Monastère, la balade sur les hauteurs (quand on est bien bas il faut prendre de la hauteur !) et le musée des frères Mikoyan les dieux de l' aviation soviétique originaires de Sanahin.
Les frères Mikoyan sont nés à Sanahin la fin du XIXe siècle dans une famille d'ouvriers qui vivait dans des conditions misérables et éprouvantes physiquement alors que l'industrie lourde pour laquelle ils donnaient leur santé enrichissait la grande bourgeoisie. Brillants élèves à l'école et repérés par leurs instituteurs, ils ont pu accéder aux études supérieures. Au moment de la révolution bolchevique les frères Mikoyan se sont engagés la fleur au fusil. L'un est devenu commissaire du peuple au commerce et aux transports sous Staline et Kroutchev et l'autre Armen, ingénieur dans l'aéronautique est à l'origine de l'avion MIG.
Je suis retournée à Ozdon puisque je m'étais arrêtée en route la dernière fois pour casse croûter avec un berger avant d'atteindre le sublime petit "monastere" caché au fond d'une vallée à Ardvi. J'ai repris le même chemin par une journée douce et ensoleillée
Dans le magasin les gens défilent, prennent trois bricoles, traînent un peu dans une discussion. Serge fait le clown et n'importe quoi avec la caisse (je lui ai donné un billet et il a rempli mon porte monnaie avec une poignée de ferraille qu'il a prise en vrac dans le tiroir et dont j'ai bien eu du mal à me débarrasser par la suite) Il est biologiste et travaille au laboratoire à Alaverdi. Comme m'a dit son inséparable compagnon de bringue dans la voiture, alors qu'ils me raccompagnaient chez Irina (la nuit était tombée depuis un moment déjà), "" Eto oumniy tchelovek*. qui peut se traduire de cette façon "c'est un homme intelligent qui a fait des études et que j'admire".
Ardvi restera un beau souvenir, grâce à la balade et aux belles rencontre.. pour le reste....
Je quitte Irina pour retrouver Tatev er Lilit et visiter une dernière ferme. C'est décidé je n'irai pas plus loin. Dernier tour de piste.
Tagoui vend tout ce qu 'elle possède pour pouvoir payer l' opération du cœur qui prolongerait son temps de vie. Trouver 5000 dollars me paraît peu réaliste. Elle m'a demandé 25 dollars pour ce petit tapis qu'elle a tissé elle-même. Évidemment je lui en est donné le double, sinon j'aurais eu l'impression de la voler. Dans une petite cabane à côté, il y a 2 vaches et dans une autre un cochon. C'est la campagne à la ville.
Le bourg était en vue lorsqu'il m'a croisée sur le chemin avec un 4x4 en ruine, mais dont il restait le fondement. Il m'a proposé de me raccompagner, mais aussi de boire un petit verre avant de rentrer. Pourquoi pas ? La soirée s'est un peu prolongée et la nuit est tombée.
Après cette dernière visite, j'avais décidé de rentrer à Erevan. Tatev qui commence à me connaître m'a proposé un plan. Le genre de plan qui devrait me plaire m'a t-elle dit. Il s'agissait de me joindre à elles (Lilit et Tatev) pour une rencontre familiale dans un village a proximité d'Erevan. Elles avaient réservé un taxi, elles m'embarquaient et me déposaient au retour. Pourquoi pas ?