Kochi - la journée shopping.

Publiée le 02/09/2017
Nous avons rendez-vous à 10.00 avec Roy, l'homme bedonnant de la veille, qui doit nous donner nos billets de train réservés par internet.

Après un petit déjeuner keralais (dosas, légumes en sauce, thé) préparé par nos hôtes, nous allons retrouver notre bienfaiteur. 


Quelle n'est pas notre surprise lorsqu'il nous dit qu'il n'a pas eu de billets, parce qu'il n'y a pas de trains disponibles à cause du festival. Mais ça, nous le savions déjà. Nous pensions qu'il avait une technique spéciale, indienne, pour pouvoir nous trouver des places. Petit à pparté : Ce festival du Kerala est en réalité le festival de Onam, qui célèbre les moissons du Sud de l'Inde. Aligné sur le calendrier lunaire, la date varie de août à Septembre et  correspond à la pleine lune. Inutile de préciser qu'il s'agit là d'une équivalence au premier de l'an pour nous. 

Roy nous suggère alors un bus couchette de nuit, que nous déclinons vu les statistiques du Guide du Routard (10 morts par nuit dans ces bus). Devant nos réactions à la limite de l'impatience, il nous propose enfin de soudoyer un officier pour avoir deux places en train couchette ; parce que pourquoi pas, parce qu'il y en a qui le font, parce qu'ils ont l'habitude et aussi parce qu'il n'y a pas d'autre moyen. Bien sûr. 


Nous refusons tout cela et il nous propose de faire appel à un ami à lui qui travaille à la gare et qui saura lui trouver une solution. Nous lui laissons donc le champs libre, en lui spécifiant même que nous prendrons un train ou un bus de jour s'il n'y a que ça. Mais nous devons partir le lendemain soir ou le surlendemain matin. Nous sommes attendus pour le mariage. 


Énervé, Adrien cherche de suite d'autres solutions de trajet, avec une nuit entre Ernakukam (où nous sommes) et Udupi (où nous nous rendons), avec deux trains en correspondance, avec un bus de 10h... Mais puisque Roy doit s'en occuper, je suis d'avis que nous allions pendant ce temps faire notre tour de la ville. Il nous a demandé de le rappeler à midi et nous a même donné l'adresse d'un tailleur pour le pantalon d'Adrien. Qui sait, peut être que tous ne sont pas aussi inefficaces et que nous aurons au moins un pantalon, à défaut de billets de train. 


Le vendeur de la boutique est souriant, jeune et accueillant et prend très au sérieux cette requête de dernière minute (un pantalon de costume en une journée, en pleine effervescence du festival). Nous choisissons la couleur et la qualité du tissu, négocions le prix au mieux et après la prise de mesures, nous repartons faire les boutiques. Je n'ai aucunes paires de chaussures adaptées pour le mariage (sandales ou tongs) et il me faut de petits talons. Et un vernis tant qu'à faire, celui que j'avais emporté ayant rendu l'âme avec cette chaleur. Nous tournons donc un peu et je trouve un compromis de chaussures dans une boutique semi-moderne. Minute fille : Les talons, ils ne connaissent pas. Il y a de tout, sauf des souliers simples et élégants. Avec leurs rues jonchées de détritus et bordées de trottoirs à nids de poule boueux, je peux comprendre. Mais même la bourgeoisie qui se déplace en Tuktuk sans salir ses chaussures n'a pas de goût ?


Je trouve mon vernis dans ce qui ressemble fortement à nos Galeries Lafayettes et nous retournons dans la boutique de costumes pour appeler Roy avec le téléphone du vendeur. Il est midi. "Bad news", nous dit-il à l'autre bout du fil. Les seules places disponibles en train de nuit ne le sont pas à la réservation en ligne. Bon. Nous lui demandons donc ce qu'il en est pour les bus de nuit, en compagnies privées. Puisque nous sommes dans la partie de la ville où se trouve la gare, nous pouvons aller voir directement s'il ne trouve pas sur internet. Il nous dit de ne pas nous inquiéter, qu'il y a de la place et que nous pourrons voir avec lui le soir même pour réserver sans faire la queue à la gare ; n'oublions pas que nous avons le cours de cuisine avec sa femme à 17.00. Un peu ennuyés nous raccrochons, remercions le vendeur et repartons vers le ferry, pour retraverser vers la rive de notre Guest House et aller manger. Ce parcours depuis le centre de la nouvelle ville (Ernakulam) vers le ferry, la traversée, puis le déplacement vers le centre de la vieille ville (Kochi) nous prend bien 45 min voir 1h à chaque fois. Nous optimisons donc ce que nous avons à faire d'un côté ou de l'autre de la rive. 


Apres le repas, nous avons un peu de temps pour nous promener dans la vieille ville (Kochi). Nous allons sur la jetée pour voir les carrelets, ces filets de pêche appelés "chineese nets"(filets chinois) qui ramassent chaque jour des kilos de poissons vendus à la criée sur la promenade de front de mer. Le paysage est calme, plusieurs bateaux naviguent au loin et les odeurs de poisson et d'urine se mélangent savamment. Nous nous aventurons ensuite dans la vieille ville, où nous découvrons une exposition de peintures sur le thème "pupets and birds" (poupées et oiseaux). Pour ne rien vous cacher, l'expo est assez spéciale. Ces tableaux représentent des animaux à profils plats, dans des teintes sombres. On dirait des personnages sortis du compte de Kirikou, ces petits personnages noirs et pointus en ombres, qui entourent la sorcière. Sur les tableaux, leurs yeux sont des points rouges, leurs profils sont des têtes en triangle et ils sont  représentés en hordes. Ce n'est pas une collection pour une chambre d'enfants. Chose intéressante, le bâtiment dans lequel sont exposées ces œuvres possède une charpente en bois de 300 ans d'âge, superbement travaillée et mise en valeur. 


Il est déjà 17h et nous retournons chez Roy pour le cours de cuisine auquel nous devons assister avec un autre participant allemand. Roy nous attend dans son fauteuil, dans l'entrée, à côté de sa porte grande ouverte. Lorsque nous entrons, il nous explique que sa femme ne se sent pas bien et que le cours et annulé et reporté au lendemain soir. À quel moment a-t-il oublié que nous devions partir le lendemain ? À cela s'ajoute le fait qu'il n'ai pas pu nous réserver de bus couchette, mais qu'il y avait des bus semi-couchette (comme un flixbus chez nous où le fauteuil s'incline). Moi qui suis toujours d'humeur égale et confiante, je suis soudain exaspérée de tant d'inutilité et d'inefficacité. Adrien voit ma tête changer et prend congé ; il est temps de quitter notre gentil bienfaiteur et puis nous avons prévu de voir un spectacle de Theatre Keralais qui commence dans 10 minutes. Piège : le pantalon doit être livré chez Roy a 21.30, nous devrons donc y repasser après manger. 


Le spectacle est très déconcertant. Nous assistons d'abord au maquillage, les personnages se griment eux-mêmes avant de jouer. Cela prend 1h30 de préparation, pendant laquelle ils se dessinent sur le visage les traits du personnage qui sera joué. Ici le Dieu Bihma en very, sa femme en jaune et le dieu-singe Hanumann frère de Bihma (orange). Ce spectacle s'appelle Kathakali, il s'agit de jeux de visages et de langage des signes avec les mains et les bras. Il faut 6 ans d'études pour apprendre à exprimer sans mots et accompagné de percussions et de timbales, la peur, la jalousie, le contentement, l'amour, le dégoût, etc. Ce sont ces expressions et ces postures que nous retrouvons dans les peintures traditionnelles keralaises, qui représentent souvent un dieu entouré de ses fervents admirateurs. Il nous est présenté un extrait d'une pièce. L'extrait dure 1h30 pour deux micro-actes ; la pièce complète aurait duré 8h. 


Nous allons dîner, puis nous allons retrouver Roy pour récupérer le pantalon et aller nous coucher. Cette journée exaspérante sera bientôt terminée. Il est 21.25 lorsque nous frappons à sa porte: le vendeur n'est pas encore arrivé. Nous sommes donc invités à attendre dans le hall d'entrée, déchaussés et assis sur de petits fauteuils, en sa compagnie. Bon. Il n'y en a que pour quelques minutes. 


Nous attendrons une heure et demie avant que le vendeur n'arrive sur sa moto. Entre temps Roy nous aura offert des mini bananes, des gateaux de fête, de la bière... et raconté sa vie en nous montrant des photos de famille. Adrien se change et essaye le pantalon dans le salon ; puisque nous avons attendu, autant vérifier de suite si tout est bien coupé comme demandé. Effectivement, le pantalon est bien taillé, le travail est bien réalisé et de façon professionnelle pour une demande faite dans la matinée. Mais surprise: le trou pour le bouton fermant la taille au-dessus de la fermeture-éclair n'a pas été découpé. Le pantalon ne ferme pas complètement. Vous ai-je déjà dit à quel point nous étions exaspérés ? 


Nous rentrons enfin nous coucher ; il est 23.00. Le lendemain, nous devons être à la gare avant l'ouverture des guichets. Comprenez un réveil à 7.00 pour arriver à la gare sur l'autre rive à 9.00. Mais puisque nous serons sur l'autre rive, nous récupérerons aussi le pantalon terminé. 


Si ce récit est publié en retard, c'est que je n'ai eu aucune envie de m'y mettre après une telle journée. J'ai découvert la quintessence de l'inutilité en ce personnage, qui, croyant nous faire gagner du temps, nous en a en réalité fait perdre. Et par là aussi la nature de l'indien: serviable et foncièrement gentil, mais inefficace au possible. Ce pays met la patience à rude épreuve, comme le dit si justement ce proverbe indien : "Tout européen qui vient en Inde acquiert la patience s'il n'en a pas ou la perd s'il en a". 

Kochi - décorations en pétales de fleurs pour le Festival du Kerala
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