Étendu au clair de lune sur le pont arrière de ce navire adoré, je me saisis de la plume - je ne parviens pas à dormir, au contraire du reste de l'équipage. Tant mieux, j'aurai donc ces instants pour moi et pour cet écrit. Il fait chaud, extrêmement chaud. Pourtant mon camarade Patrick juste à côté de moi, est profondément endormi dans un épais sac de couchage. J'en déduis que MOI J'AI chaud.
Oui...je sens que je me consume - j'exulte, j'explose. Je déborde. Cette croisière est extraordinaire, et j'en pleurerais, mais mes larmes ne me servent qu'à la tristesse. Donc, je chauffe.
La nuit passée, nous étions amarrés à port Louis, arrivés dans l'après-midi après une traversée depuis la Réunion qui aura duré un peu moins de 30 heures. Les conditions étaient parfaites, aux dires du capitaine Renaud, car les vents très favorables. Et cette traversée était parfaite aux yeux ébahis du novice matelot que je suis.
Passer la nuit sur cet océan, nous étions perdus, au milieu de rien. Au milieu de tout ! Le ciel étoilé, tout aussi immense, semblait vouloir se lier aux flots sauvages et infinis, et entre les deux, perdus comme un puceron insignifiant, nous, en bateau, bravant les éléments avec une très humaine organisation.
Les quarts sont répartis équitablement entre l'équipage de manière à assurer la veille visuelle et auditive permanente du navire, et bien sûr à tenir la barre.
80 milles nautiques à parcourir tout droit en tenant le cap. Allure en vent de travers. Les instructions sont d'une étrange simplicité, pourtant le jeu est de ne pas périr dans les grandes eaux.
Le maintient de la barre est permanent, et la concentration qu'il produit téléporte dans la contemplation de ce vide. Le temps est long, très long. La seule façon de s'y bien sentir est de changer son registre de temps. Ce qui demande un peu de temps d'adaptation. Et quand c'est finalement fait, c'est vacances et perdition.
Je ne cesse de remercier tout et chacun, et je le fais ici aussi car me sens reconnaissant et illuminé. Je dédie cet aventure à mon vénérable et regretté maître Dispaux qui apparait à nouveau et sans cesse dans tous ces épisodes de belle vie.
Embarquement, port de Saint-Pierre, avec une équipe de 6 autres navigateurs, donc un capitaine. Les autres sont tous expérimentés ; moi pas - j'ai eu ma place dans cet équipage suite à un désistement providentiel ; je suis catapulté en quelques heures dans cette aventure ahurissante !
Sur place, nous gréons le navire, défaisons nos bagages, rangeons la nourriture, le bateau de secours (l'annexe), et réglons les formalités de départ avec des douaniers rigolos.
Puis tout à coup, le capitaine hurle : Antoine, à la barre ! (en vrai, il ne hurle pas mais c'est pour le récit).
- Pardon ? J'hallucine ?
Non - le bateau est bel et bien sorti du port avec un débutant placé à la barre. Notons tout de même qu'au même moment tous les autres apprêtent les voiles, les amarres, et les pare-battes - et cela s'avèrera un constant travail d'équipe tout au long du voyage.
Sur les chapeaux de roues ! Ou autrement dit, à tombeau ouvert.
Les eaux de Saint-Pierre sont réputées vivaces, mouvementées ; et nous nous retrouvons directement en allure de près, avec le vent de face, avec changement de bords tous les X. Le bateau est donc directement extrêmement incliné.
Nous parvenons au bout de la côte sud de l'île en fin de journée, et le soir tombé nous donnera un joli décor d'au revoir pour saluer notre terre.
La première aurore résonne comme un miracle. Au milieu de l'océan, nous apercevons déjà Maurice au loin très loin, et nous berçons dans les lumières magiques du mini matin.
On largue les amarres et on va mouiller ailleurs ! youhou !! l'aventure se poursuit donc !
Bye bye la ville - nous n'en aurons vu que la douane, le marché et le port, vite fait, bien fait.
Nous nous dirigeons vers les ilots du Nord de Maurice. Il en existe plusieurs, mais nous fréquenterons uniquement le Point de Mire, et l'île Plate. et tournerons plus tard autour des trois, avec Bigdeon's roc
La première, le Point de Mire, se trouve juste à coté. C'est celle qu'on voit juste là, mais...
Résultat, plus de deux heures de navigation pour s'y rendre! Pas parce que les conditions ne sont pas idéales hein, non - juste parce que c'est beaucoup plus loin que ne l'estime l'œil - que la vue est bien dégagée - et puis aussi parce que le voilier n'avance finalement qu'à 4 ou 5 têtes de nœuds.
Tout est très grand, dans ce monde - et très très lent. Et je pressens que ce constat n'en est qu'un maigre aperçu. Je sens aussi que c'est ça que je cherche. Ressentir, toucher, même de loin, aux dimensions gigantesques du monde et de ses espaces océaniques.