Dans l'urgence il y avait à
Vous pensez sans doute que l'affaire a mal commencé. Pas du tout. Avec Garnik, nous nous comprenons en russe, mais de là à rédiger un texte littéraire... et pour lui l'écriture du budget en russe était sans doute compliquée. Il a fallu me mettre à la recherche d'un traducteur. le jour même avant de rentrer sur Erevan. J'ai trouvé Rima. C'était une traductrice.
Nature du film : Documentaire de 24mn
Lieu de tournage : Région Shirak, ArménieDifférentes fermes réparties dans le district dans un rayon de 25 km autour de Gyumri. Toutes ces fermes ont un point commun : elles ont reçu une douzaine de moutons de France, en conformité avec un programme des Nations Unies et de l’Australie. Les moutons viennent de Haute-Loire en France et appartiennent à la race « Blanche de Lozère ». Il s'agit d'expérimenter l' adaptation de cette race à viande très prolifique (3 agnelages sur 2 ans) pour la développer en Arménie.
Scénariste : Nicole CHEVRIER, plasticienne, France
Réalisateur : Garnik SARGSYAN, cinéaste, Gyumri, Arménie, professeur à l'Académie de Gyumri.
La « philosophie » du projet et la démarche. Il s’agit de restituer le parcours imaginé par Nicole Chevrier pour mettre en lien des territoires géographiquement très éloignés (l’Europe et l’Asie Centrale), et culturellement différents, avec la conviction que les humains sont tous habités des mêmes préoccupations : survivre sur une planète de plus en plus fragile, dont les plus pessimistes diraient qu’elle est prête à s’effondrer. Survivre, c’est-à-dire se nourrir, se protéger du chaud et du froid, voir grandir ses enfants en les projetant dans l’avenir, mais aussi créer des objets à valeur symbolique, inventer et rêver, ce qui, en dehors des besoins essentiels dont on parle beaucoup pendant la pandémie, fait l’humanité.Nicole Chevrier est une voyageuse qui ne parcourt pas le monde par les sentiers battus. En dehors des circuits touristiques elle ressent le besoin vital de « palper le monde », c’est-à-dire partager au quotidien la vie de ceux qui sont différents, mais aussi tellement semblables. Elle a besoin de se rassurer : quelque soit le lieu où l’humain a été jeté sur terre il reste encore de l’humanité et un rapport à la nature apaisé. Ce parcours est aussi celui d’un projet artistique fondé sur la conviction que l'oeuvre d'art est une création quotidienne fondée sur un récit de vie. Dans toute création artistique il y a un déclencheur, un temps de gestation et de réflexion et l' appropriation d'outils et de matériaux pour la mise en oeuvre. Dans le cas présent l'accroche s'est présentée sous la forme d'un article dans le journal local "300 moutons de Haute-Loire pour l'Arménie". La réflexion a pris un caractère d'évidence : "Pourquoi ne pas aller voir comment se portent ces moutons en Arménie ?". Les outils ?Les bus pour traverser l'Europe et les pays de l'est, le bateau entre Odessa et la Géorgie, le taxi collectif pour rejoindre l'Arménie, la langue russe, des chaussures de marche, un sac à dos, un carnet et un appareil photo. On l'a compris, il s'agissait de prendre le même chemin que les moutons, peut-être comme une brebis égarée.
Le scenario est à écrire sur le terrain au fil des jours qui passent. Trouver les moutons en Arménie a demandé persévérance et ténacité. La tentation a été forte d'abandonner. Lorsqu'il s'agit d'écrire l'histoire en temps réel, le réel échappe parfois. c'est le rendez-vous aux Nations Unies à Erevan avec Karen Harutyunyan qui a permis de tenir le fil. Cette rencontre avec le responsable du programme mis en place par les Nations Unies et l'Australie a ouvert le chemin des fermes qui était bien embroussaillé. Toutes se situaient dans le nord de l'Arménie dans les régions de Shirak, Lori et Tavush . 12 à 13 brebis et un bélier dans 26 fermes. L'ouvrage était sur le métier.
Histoire - histoires
Rima est jeune et belle, pleine d'énergie. Agée d'une vingtaine d'années , elle travaille dans une ONG qui enseigne le français à Gyumri. Elle est aussi spécialisée dans le travail social auprès des femmes. Certaines se trouvent dans une situation désespérée avec la perte de leur époux lors de la guerre, et des enfants en bas âge. Elle s'est portée volontaire l'année dernière pour partir sur le front (ce que je n'ai su qu'après). Lorsque Rima a accepté de traduire dans l'urgence J'ai ressenti un grand soulagement. Soulagement qui s'est peu à peu transformé en inquiétude. Notre relation a été compliquée.
Inquiétude lorsqu'elle a refusé de traduire certains passages qui, selon elle, n'étaient pas historiquement corrects. A surgi alors l'écueil , que dis-je, le récif voire l'iceberg de "Voghi ancien village Azeri" . Les Azeri, dans ces villages, auraient été des nomades qui venaient s'embaucher comme ouvriers agricoles chez les propriétaires arméniens.
Evidemment le scénario a été modifié. L'équipe de tournage n'ira pas à Voghi. Il n'intégrera que 4 fermes au lieu de 5.
Garnik avait rédigé un budget détaillé d'environ 15000 euros ( film clé en main avec la post production et les sous titrages) . Rima n'avait pas le temps, c'est Artur qui a accepté. Artur m'avait prise en stop lors d'une de mes visites et m'avait proposé de m' accompagner par la suite si je ne trouvais pas de moyens de transport. C'est ainsi que nous nous sommes rendus à Dzorashen au bout d'une piste de 15km dans sa Lada un peu essoufflée mais vaillante (il fallait la regonfler de temps en temps). Artur parle couramment anglais puisqu'il était professeur ...dans le Haut-Karabargh. Il a tout perdu, son métier et sa maison. Le budget est donc rédigé en anglais. Sur les 15000 euros, nous avons récupéré 5000 euros sur la cagnotte, il reste 10000 euros à trouver. C'est l'objet de ce voyage en France avant de repartir pour le tournage à Gyumri.
L'étape suivante est entrain de s'écrire. Les démarches sont engagées avec Gamm Vert, le Credit Mutuel, les collectivités territoriales... grâce à l'Association "Les yeux fertiles" qui vient tout juste de sortir de l'oeuf.
" LES YEUX FERTILES"
Cette association a pour objet de développer des projets culturels en lien avec un questionnement sur le monde contemporain. Les productions seront source d’interrogation et de questionnement pour inviter le public à sortir des clichés véhiculés dans le monde médiatique, à se confronter aux œuvres dans leur matérialité pour vivre une expérience esthétique et faire le pas de côté nécessaire à tout esprit critique. Il s’agit aussi, dans les contenus des évènements et des artefacts, de sortir des cloisonnements des champs disciplinaires pour aborder les thématiques en croisant les regards. Toute production d’objets culturels est indissociable d’une activité économique qui permet de financer le projet (recherche de financements publics et privés), rémunération d’intervenants, d’artistes et de professionnels compétents dans le domaine convoqué. L’association accompagnera des porteurs de projet innovants dans le domaine culturel.