La séquence de dessin avec les enfants je l'avais supprimée du scénario car trop coûteuse en temps, en énergie et en euros. Garnik y tenait vraiment pour l'illustrer du texte du Petit Prince de St Exupéry ("S'il vous plaît, dessine moi un mouton").Trop cliché. Il n'a pas lâché et m'a prise de cours. Nous devions retourner à Haykavan dans la famille qui avait perdu son fils de 20ans à la guerre. Pour moi l'idée était de filmer toute la famille et en particulier la mère et les grand- parents, membres de la famille qui manquent cruellement là où nous en sommes. Le scénario perd tout son sens si l'on n'a pas trace de la solidarité familiale dans les épreuves que traverse l'Arménie (titre du scénario "Quand l'Histoire impacte la vie des gens") J'ai eu la surprise d'être convoquée au départ du bus devant l'Académie à 11h du matin avec un troupeau d'enfants et leurs professeurs chargés de cartons à dessin et de tout un bazar. Il faut optimiser, mais je trouvais la journée chargée surtout pour la famille qui nous attendait. Sauf qu'il n'était pas question de rencontrer la famille et ça je ne le savais pas.
A midi, par une chaleur étouffante (la chaleur est toujours étouffante, surtout lorsque l'on est contrariée), les moutons était entassés à l'ombre dans un coin de parc. Poussés par le berger ils ont traversé, à la course, le pré en plein soleil (les humains avaient pris les places à l'ombre ) pour aller se recaler au fond du parc en haletant. Pour moi ce n'était pas un problème et pour les enfants non plus. Des moutons il n'y en avait pas besoin, car il est bien connu que les enfants de cet âge dessinent d'après des stéréotypes et non d'après nature. Surtout quand la nature cavale.
Constatant que Garnik ne lâcherait rien sur la séquence dessins d'enfants, j'avais fait une proposition retricotée à ma manière pour la scène finale du film, proposition à laquelle réalisateur et techniciens avaient adhéré : les enfants envoyaient leurs dessins de moutons dans le ciel, ils les poursuivaient en courant sans réussir à les atteindre et ils disparaissaient. J'avais en tête la peinture japonaise d'Hokusai "Un coup de vent soudain" et la parodie de Jeff Wall, artiste contemporain qui s'appelle " A sudden gust of wind", je leur ai montrée. Ils ont trouvé ça rigolo. Effectivement ça a été rigolo : du vent il n'y en avait pas. Alors nous l'avons joué à la Melies : laisser tomber les feuilles d'un arbre et faire, par la suite, le montage à l'envers . Mais l'équipe ne s'en ai pas arrêté là.
Les enfants repartaient en bus, les techniciens rassemblaient leur matériel pour repartir à Gyumri. Mkritch, l'éleveur de moutons avait passé l'après midi avec sa petite fille de 4 ans à regarder se dérouler les évènements. Nous avions eu le temps de bavarder et d'aller ramasser des framboises dans son champ. Il m'a proposé de venir à la maison et de me reconduire à Gyumri par la suite. Je n'attendais que cela. L'accueil a été chaleureux, l'atmosphère était égayée par 2 adorables petites filles et leur maman. Il émane des parents une tristesse infinie encore plus palpable que lors de ma première visite. Maintenant je suis convaincue que Garnik est entrain de passer complètement à côté du scénario. Son argument ? on ne peut pas rentrer dans la vie privée des gens. J'ai pourtant l'impression que nous l'avons beaucoup fait depuis le début . A nouveau installée dans le canapé de le salle manger sous le regard du fils disparu (les photos de plus en plus nombreuses sous toutes les formes sont accrochées tout autour de la pièce), quand la confiance s'est installée j'ai posé la question ? Est-ce que l'on peut filmer dans la maison et évoquer votre fils dans le film. La maman n'a pas hésité une seconde "je veux que le monde sache". "Etes vous prête à parler devant la caméra". La réponse a été tout aussi immédiate "je le ferai, il le faut"..
Je n'ai pas dormi la nuit suivante. Il fallait parler franchement. Nous nous sommes retrouvés le lendemain avec Garnik pour faire le point, c'était une urgence pour que le film prenne du sens. et retrouver le fil .En effet, au stade où nous en sommes ce film est un film sur l'elevage en général et les différences ne me semblent pas si importantes entre les volcans du massifs central, la Roumanie ou le Kazakstan. Les éleveurs de brebis sont des éleveurs de brebis. Qu'est ce qui est spécifique à l'Arménie? La situation géopolitique évidemment : cette guerre avec l'Azerbaïdjan (musulmans-chrétiens) et la rupture avec la Turquie à la suite du génocide. A quel moment cela apparaît-il dans le film. Garnik en a convenu. Il est prêt à compléter le manque. Le manque, je me charge de le négocier avec les personnes concernées. Armine, la maman désepérée m'a ouvert sa porte. Le lendemain je suis repartie à Haykavan. Avec Mkritch et Armine nous avons passé la journée ensemble. Il n'y a eu que des larmes. C'est ça aussi ça l'Arménie.
Coucou ,
A te lire je me demande , regard de femme ou regard d homme? Cela joue t il pour raconter une histoire, pour transmettre la réalité de ce que vivent toutes les familles que tu rencontres.
Deux visions d une même réalité,
Et le film est une fusion de vos visions.
Elles sont forcément différentes mais c est important qu il réponde à ce que toi tu veux filmer et recueillir comme témoignages.
Ne pas oublier le départ de ton projet, suivre ta ligne, et on dirait que tu négocie bien.malgre tout.
Cela doit prendre beaucoup d énergie.
Prends soin de toi ,
Je t embrasse et en pensées avec toutes ceux et celles vers qui tu vas, à la rencontre de leurs vies et qui te donnent leur confiance.
Le film nous parlera d eux au travers de toi.
Merci pour " ton courage" , le courage qui est " le cœur en action"
Un film de coeur🧡💛💚💙💜
Marie d Ardeche