Garnik m'attendait sous la pergola de son joli jardin fleuri de rosiers. Nous avons fait un point rapide sur l'avancement du tournage pour rentrer plus tard dans les détails. Je lui ai montré les 6mn du montage réalisé en France. Il a bien aimé la voix off qu'il pense utiliser à nouveau pour la suite. Malgré son insistance, je refuse d'être présente dans le film. Ma voix, c'est un compromis.
Il m'a ensuite accompagnée à l'appartement. Les vérifications d'usage accomplies, les clefs remises, il s'est envolé, pressé de retrouver Helen sa petites fille. Ce "détail" mérite un paragraphe.
Helen à 2 ans. Gayane et Garnik l'ont serrée dans leurs bras, pour la première fois, à l'aéroport, il y a 15 jours. Gora, leur fille, cinéaste aussi, habite depuis plusieurs années avec son mari aux Etats-Unis. Elle n'était pas revenue depuis son mariage.
Je tombe mal. Nous avons pu nous voir (pas beaucoup, je me fais discrète), échanger et surtout mesurer les écarts entre nos points de vue.
Garnik a une vision romantique du projet, sans doute pour nous conter l'Armenie rêvée , sans craindre par exemple, la référence à St Exupery, ce que je redoute un peu. Sans vouloir faire un film misérabiliste j'avais un projet à la fois socio politique et poétique. La dimension politique est visiblement hors champs. Vais-je recadrer ? Vais-je déléguer et laisser courir ? La question reste entière. Helen repars le 14 juillet, le tournage devrait reprendre autour du 16 cela me laisse le temps de la réflexion., une réflexion active puisque je suis retournée sur les lieux des blanches brebis et là....
Norayr était au garage. A son regard, j'ai immédiatement compris que quelque chose n'allait pas. Le colosse généreux et solaire qui m'avait accueillie avec enthousiasme en novembre avait l'air gêné de me revoir. Je me suis excusée de revenir de façon impromptue. Je souhaitais des nouvelles de Cesar, le bélier de Lozère, que nous avions baptisé ensemble et dont il était si fier. Il m'en a donné immédiatement, sans détour. Cesar est mort en février. Quand Norayr a eu fini de s'occuper des ses ruches qui embrasaient le terrain jouxtant la maison dans des vrombissements étourdissants et une lumière aveuglante, nous nous sommes retrouvés autour de la table pour une "collation" avec sa femme et son fils venu d'Erevan pour lui donner un coup de main. Entre le ragoût de mouton, le fromage frais de brebis et les fruits d'été, il m'a montré les photos. Je ne les mettrai pas sur le site pour protéger nos enfants et la gente masculine. Cesar a agonisé les roubignoles en purée et sans doute dans d'atroces souffrances. Il s'était mis vaillamment à la tâche, sans économiser ses forces, pour donner vie a des petits agneaux métisses dont l'éleveur espérait beaucoup. Seulement la conformité des brebis locales n'a pas permis à notre courageux et entreprenant reproducteur d'obtenir un quelconque résultat. Il en est mort...pas de chagrin.
Norayr est très affecté par cet échec et se pose beaucoup de questions sur ce métier si difficile en Arménie (la sècheresse et le manque d'eau n'arrange rien). Il m'a donné aussi des nouvelles de Buniat à la frontière turque, son voisin. Le loup a mangé quelques princesses. On sait que le loup s'attaque toujours aux plus faibles dans le troupeau, Nos princesses étaient sans doute sans défense, à moins que trop blanches et appétissantes. Le chien a t-il survécu? Si non, le maître doit être démoli.
Buniat a refusé que l'on filme chez lui, bien que, lui aussi, m'ait accueillie magnifiquement lors de mon précédent voyage en novembre. Cette séquence était pourtant la colonne vertébrale du film ( le troupeau qui se rendait chaque jour aux pâturages au delà de la frontière par la porte ouverte et fermée le soir par l'armée). Je le comprends.
( la rencontre avec Bouniat, sur le blog "Direction Caucase bis", étape "A la frontière".)
La voile fasseille. Où prendre le vent ? Ne serait-il pas encore temps de faire demi-tour? Dans la conversation autour de la table j'ai relevé une allusion à Vardan d'Azatan . Vardan est le premier éleveur que j'ai rencontré en arrivant à Gyumri à l'automne dernier. Sa femme et sa fille , toutes les deux vétérinaires, veillaient sur les blanches. Visiblement, aujourd'hui, Vardan est le mentor qui suit de près les éleveurs de Shirak. Je me dis qu'il serait sans doute judicieux de faire un état des lieux avant de battre la retraite. Bien sûr qu' il faut du courage pour rebrousser le chemin parcouru, surtout lorsqu'il est long..
Vardan tient visiblement à me rassurer : l'opération "Blanches de Lozère" est une réussite. Le bélier et les brebis de Kamkhut avalées par le loup font partie des prises de risques. Une leçon à en tirer : le croisement brebis locales et Blanches de Lozère ne pourra se faire que par insémination artificielle dont Karo, son fils vétérinaire, est spécialiste et les locaux sont prévus pour ça. En attendant je ne pourrai pas voir les brebis de Haute-Loire, car elles sont en montagne à 40 km de là. Garnik pourra repartir, avec sa caméra vers l'Arménie rêvée.