Le repérage préalable de l'itinéraire nous permet de gagner un temps précieux et de ne pas nous perdre sur cette étape qui s'apparente à un trek. Nous démarrons à pieds pour nous faciliter le passage des premiers portails, mais nous en ouvrons finalement une bonne quantité à travers la finca de Rearte ; c'est physique pour Barbara qui descend, remonte systématiquement et manipule les barrières à levier. Les sentiers se croisent, se suivent, puis bifurquent, parfois se referment; Souvent, il nous faut choisir entre deux portails côte à côte. Arrivés à la sala (le lieu où se trouvent la résidence et la chapelle de la finca), nous ne trouvons personne, hormis deux chiens attachés. Cela nous rassure car nous ne sommes a priori pas autorisés à nous promener sur ces chemins privés. En revanche, il faut nous débrouiller seuls pour trouver notre chemin et les points de repères que nous avions placés sur Google Maps s'avèrent être une aide absolument indispensable, dans ce dédale de sentiers et de champs hors de tout réseau. Plutôt fiables car nous ne nous perdons pas et divertissant, car nous n'avons pas le loisir de nous laisser aller à la flânerie ! Seuls habitants croisés : une sorte de petit lièvre, et les vaches que nous contournons avec toujuors la petite appréhension de nous faire charger.
Nous parvenons au petit hameau de Chusca assez satisfaits de notre parcours, mais il est 17h et le ciel commence déjà à s'obscurcir. Notre objectif est San Pedro de Colalao. Une heure plus tard, nous nous trouvons dans un quartier champêtre situé à 4km de notre destination finale. La nuit tombant, nous demandonsà la première personne que nous croisons, si elle dispose d'un petit jardin où nous pourrions faire brouter les chevaux pour la nuit, car nous ne sommes plus vraiment en zone rurale. Encore une fois, la chance -ou la générosité des gens !- nous sourit, puisque le frère de cette dame possède un champ aux herbes bien hautes. Les argentins aiment les chevaux et semblent compatir facilement en nous voyant cheminer chargés et fatigués. Soulagés, c'est quand même dans le noir que nous déchargeons, nous occupons des chevaux, montons la tente. Plus fatigués qu'on ne le pensait de cette étape plutôt longue et ardue, nous nous couchons avec un oeuf dur et une tranche de jambon, pressés de nous mettre au chaud dans nos sacs de couchage, alors que les températures commencent à friser le zéro. Cette nuit passée dans le même enclos que nos chevaux est aussi une première, et nous donne l'occasion de remarquer à quel point ils peuvent être actifs de nuit, y compris aux abords immédiats de la tente...!
L'étape suivante est assez courte, une quinzaine de kilomètres au maximum, puisque nous traversons simplement San Pedro de Colalao pour passer la nuit dans le village de Tacanas. Nous sommes heureux de nous retrouver en ville de nouveau, et de pouvoir recharger les sacoches en nourriture. Un sentiment d'entrer dans un western : nous traversons la petite bourgade en parquant nos chevaux sur le trottoir devant les commerces. Ils sont particulièrement calmes et ne semblent pas être plus dérangés par les bruits agressifs de la ville, les chiens qui aboient, les moteurs qui vrombissent, les soudeuses qui crissent, les klaxons qui étourdissent. Nous sommes en fait plus sensibles que les chevaux à ce retour en ville. Mais nous ne faisons que traverser.
Nous sortons de la ville de San Pedro de Colalao en direction deTacanas à 5 km de là, De jolies maisons secondaires sans chichi bordent la non asphaltée et peu fréquentée. De plus, nous arriverons bien avant la nuit, nous évoluons donc assez tranquillement et nous nous prenons à rêvasser un peu. Soudain, une camionnette ralentit à notre niveau. Il s'agit d'un vétérinaire qui nous demande si nous avons besoin d'aide. Barbara en profite pour lui évoquer de la gale de boue de Limon qui tarde un petit peu à disparaitre, et sur laquelle il nous recommande d'appliquer de l'iode. Comme tout argentin qui se respecte, le vétérinaire, Nicolas de son prénom, engage la conversation et nous raconte qu'il a également voyagé à cheval 30 ans auparavant. D'ailleurs, d'après lui, nous aurons des difficultés à faire héberger les chevaux à Tacanas. Il nous propose sa maison de campagne, située à deux pas de l'endroit où nous nous trouvons. Il doit retourner à la ville le soir même mais nous propose de nous laisser ses clés. Nous hallucinons devant cette générosité ! On se connait depuis littéralement 2 minutes. Nous refusons poliment, car l'étape de demain sera longue, alors il nous convient d'aller jusqu'à Tacanas. ll insiste, mais nous sommes trop gênés d'acceper, d'autant qu'il est pressé ! Nous repartons donc en direction de Tacanas. Une demi-heure plus tard, qui s'arrête de nouveau à notre hauteur ? Le véto, qui est revenu sur ses pas ; il se sentirait plus rassuré de nous savoir chez lui et les chevaux dans son jardin. Nous finissons par accepter, car il aurait été vraiment malpoli de refuser une troisième devant son insistance. La maison est charmante. Il nous laisse utiliser son poële à bois, ses matelas, sa cuisine... Ce soir c'est gnocchis au coin du feu. Ce confort après plusieurs nuits en tente dans l'humidité est bienvenu. Les chevaux se régalent aussi de l'herbe bien verte que leur offre le petit jardin. Nous profitons d'être arrivés tôt pour prendre le temps des soins et de quelques menues réparations matérielles et utilisons le Wi-Fi pour marquer l'itinéraire des 4 prochains jours. Nous n'aurons a priori plus beaucoup de réseau, donc c'est maintenant ou jamais. Nous nous endormons pour une courte nuit, bien cosy au coin du feu, demain le réveil sonnera à 5h.
Préparation à la frontale pour démarrer l'étape de 30 km qui nous mènera à Gonzalo. Il s'avère que Tacanas n'est pas complètement dépeuplé mais on suppose que cela faisait plaisir à Nicolas de nous héberger. A l'embranchement qui mène vers les hauts sommets des Andes, nous bifurquons. Nous avons hésité, car les vallées calchaquies sont très attirantes, mais l'arrivée du froid, la raréfaction de la végétation et l'altitude sont autant d'arguments qui nous dissuadent de nous aventurer vers les cimes à plus de 3000 m d'altitude. Raisonnables, nous choisissons plutôt de parcourir les yungas du nord de la province de Tucuman. Nous contournons, par ce circuit montagneux la franche urbaine de la capitale San Miguel de Tucuman. Pour autant, il n'existe pas de chemin tout tracé. Ne connaissant pas encore les environs, Barbara a donc prudemment opté pour une route provinciale carrossable jusqu'à La Higuera. Gonzalo et La Higuera sont les derniers bastions urbains avant de s'enfoncer plus avant dans les vallées encaissées qui nous conduiront plus au sud.
Les décors sont toujours sublimes, et à mesure que nous franchissons les cols, le soleil se fait plus chaleureux, l'atmosphère plus calme, le chant des oiseaux plus audible. Les maisons sont rares, et nous ne rencontrons presque personne. Les collines se parent de conifères, signe que nous grimpons un peu en altitude. Nous entrons dans le hameau de Gonzalo au bout de 7h sans savoir si nous trouverons où loger. A première vue, la petite dizaine de maison nés ne nous donnera pas une infinité de possibilités. Il faut dire que c'est presque toujours impossible de crécher sur le bas côté, d'une part parce qu'il ne donne pas souvent suffisamment de pâture pour les chevaux, d'autre part parce que cela peut être dangereux en raison du romerillo ou d'une moto qui roulerait à phares éteints (plus fréquent qu'on ne l'imagine en Amérique latine). A côté de la petite école primaire, nous apercevons un monsieur à qui nous demandons le logis. C'est toujours pour les chevaux que nous tentons d'assurer la nuit, étant, pour notre part, autonomes avec notre tente et notre camping gaz. La réponse est, sans surprise, positive et enthousiaste. La surprise vient un peu plus tard, lorsque nous descendons les chevaux dans l'enclos. Pas tant des cochons et des brebis qui appellent sur notre passage, mais de la quantité de déchets qui jonchent le sol du corral. Jorge est déjà adorable de nous accueillir donc nous nous gardons bien de faire un commentaire. Cela dit, nous ne pouvons nous empecher de faire un petit nettoyage, par crainte que les chevaux ne se blessent en se couchant sur un détritus tranchant. Nous sommes pleinement conscients de la problématique de la gestion des déchets, mais mettre le nez dedans pour stupidement jeter un à un les déchets par dessus la barrière est un geste particulièrement déprimant. Impossible de les emporter avec nous, et malheureusement, si ces déchets sont amoncelés dans l'enclos qui héberge habituellement les chevaux c'est que le sujet n'a jamais fait l'objet de sensibilisation. En revanche, l'hospitalité est une valeur forte de la famille de Jorge qui nous invite à dîner de délicieuses milanesas (une fierté n'a-t-il ale, presque autant que le fameux asado !). Au coin de leur rustique cheminée, nous passons une agréable soirée en compagnie de leur jeune garçon joyeux et pétillant, avide des tours de magie d'Alex (c'est lui même le dernier à s'en lasser !). Jorge et sa femme sont d'origine diaguita et vivent de la vente de poulets et de cochons, mais la situation économique se dégrade d'année en année en Argentine, suffisamment pour décourager jusqu'aux plus entrepreneurs comme Jorge. Il faut donc se tourner vers une autre activité, mais pas évident pour les familles modestes d'investir à nouveau avec tant d'incertitudes. Tout au long du trajet nous sommes confrontés a la lassitude et à la fatigue morale des argentins qui affrontent la crise économique depuis deux décennies. Pourtant, elle n'enlève rien à leur ouverture ni à leur joie de vivre. Leur générosité est désintéressée et il nous faudrait vivre ici quelques années pour parvenir à comprendre les patrons de cette société complexe, mixte et à l'histoire mouvementée. Pour l'heure, nous vibrons des bonnes ondes que les gens partagent, nous laissons contagier par l'ambiance pour tenter de graver dans nos mémoires et dans notre intérieur ces énergies positives qui rendent les argentins si résilients en apparence. Ils insistent à de nombreuses reprises pour que nous dormions sur un matelas, mais nous refusons, la tente étant déjà en place. Nous ne nous attendons pas à passer une nuit aussi dure que les chevaux.
La journée démarre dans le froid et les courbatures. Et les frayeurs. A moins d'un kilomètre du départ, nous frolpns l'accident avec un quad qui déboule trop vite. Encore une fois les chevaux n'ont pas bronché mais les motards ne s'attendent pas à nous trouver sur le bas côté. A notre niveau, l'un d'entre eux freine brusquement et se renverse, avec son jeune d'une dizaine d'années à bord... Plus de peur que de mal. A n'en pas douter, notre voyage est placé sous une bonne étoile ! Ces routes provinciales sont normalement assez peu fréquentées, et ont l'avantage d'être simples à suivre, pas besoin de garder le nez collé dans le GPS. Sauf les week-ends où quelques quads fusent comme s'ils étaient seuls... Heureusement, le reste se fait sans encombre jusqu'à La Higuera. Le village étendu le long de la route est en grande partie habité par des boliviens. Nous tardons un peu plus longtemps à trouver un hébergement, jusqu'à ce qu'une dame en scooter se propose de nous amener sur le terrain d'une maison inhabitée, dont elle a la surveillance et dans lequel broutent ses propres chevaux. L'herbe du jardin étant un peu rase on nous propose de nous servir directement dans la petite parcelle semée de luzerne fraîche. Au risque d'être répétitifs dans le récit, car on ne peut pas manquer de le souligner à chaque fois, nous nous étonnons de la générosité des gens. Le prix des matières premières est élevé et il faut s'imaginer qu'ici c'est semé, récolte et transporte à la main. Une grosse fête d'anniversaire bat son plein dans la maison d'à côté et nous installons la tente au rythme de la cumbia. Silvina (la dame au scooter) nous régale avec ses empanadas, les meilleures goutées de tout le voyage ! Son mari régale nos chevaux en nous offrant 6 kg d'avoine ! Nous risquons de ne plus trouver de nourriture sur les prochaines étapes, donc ces vivres nous seront bien utiles (plus encore que ce qu'on imagine à ce moment-là). Le lendemain matin, la voisine nous apporte des restes de la fête d'anniversaire de son fils "pour la route". Nous nous demandons ce que nous avons pu faire pour mériter d'être autant gatés.