Nous revoilà à prendre le train pour arriver à temps à notre rendez-vous avec Bertrand, ingénieur agronome à la chambre d'agriculture de Bretagne. Après quelques kilomètres à vélo nous arrivons au lieu dit de Crécom, où la chambre a installé une ferme expérimentale. Ici deux pôles, les vaches à viande et les porcs. On visite le pôle porcs sans rentrer dans l'élevage (conditions d'hygiène l'obligent), grâce à des couloirs vitrés entourant les bâtiments. La station expérimentale fonctionne comme une vraie ferme, sauf qu'on teste et qu'on mesure les résultats de différents facteurs (alimentation, place, etc.). La station est régulièrement contactée par des producteurs d'aliments qui font tester leurs nouveaux produits avant de les vendre. Ils payent donc la chambre pour savoir si tel acide aminé de synthèse augmente la croissance, ou la qualité de la viande,etc. De plus en plus, ils réalisent aussi des tests pour concilier bien-être des cochons et rentabilité économique. Par exemple, pour les cochons industriels vivants à même le béton sur des caillebotis, on coupe la queue des porcelets car sinon, par ennui, ils croquent les queues de leur voisin. La chambre a ainsi fait des recherches pour montrer que si on met les cochons sur la paille, ceux-ci s'amusent avec les brins et ne se mangent pas la queue. Il n'y aurait donc plus besoin de la couper ! Ça semble tellement simple et pourtant...
Après avoir entendu l'argument "il faut rester compétitifs face aux pays voisins et nourrir la France", justifiant les timides avancées contre le mal-être animal, nous repartons à vélo puis en train pour un week-end à côté du Mont-Saint-Michel !
De retour à vélo aux alentours de Rennes, nous partons à la rencontre de Françoise, éleveuse de vaches laitières. C'est le plus petit troupeau que nous ayons pu voir lors de notre voyage, Françoise élève... 7 vaches ! Bon, il faut dire que Françoise a d'autres activités professionnelles, elle est comptable dans l'entreprise familiale et tient une location de gîtes insolites dans son village de tonneaux. Nous avons la chance d'être logés dans ces "Foudres", gros fûts que Denis et Françoise ont récupéré dans une ancienne cidrerie... Tout confort donc (tonneau salle de bain, tonneau cuisine, tonneau toilettes, tonneau chambre, ...) et c'est très mignon !
Mais revenons à l'agriculture ! Françoise à 5 hectares sur lesquels pâturent les vaches, de race jersiaise et bretonne pie noire. Cette dernière bénéficie d'un suivi particulier puisque c'est une race à très faible effectif. Assez petite, elle produit peu de lait. Sur ses terres Françoise fait du foin, mais pas d'ensilage, pas de céréales. Les vaches reçoivent également un peu de luzerne déshydratée. Au début Françoise n'avait que des bretonnes pies noires , mais aujourd'hui elle a introduit aussi des jersiaises qui sont de meilleures laitières en terme de matière grasse, alors que les pies noires font un lait plus concentré en protéines. Pour 7 vaches, pas besoin de gros investissements et d'infrastructures spécialisées... Une petite trayeuse suffit pour la traite, d'autant que Françoise ne trait pas le soir, on appelle cela la mono-traite. Habituellement on trait les vaches matin et soir, mais on peut se limiter à une traite par jour, on perd alors environ 30% de la production de lait journalière... mais on libère beaucoup de temps !
Bien sûr le laitier ne passe pas pour une centaine de litres de lait par jour, tant mieux, Françoise aime travailler le lait pour le transformer en fromages, yaourts, riz au lait, fromages frais, beurre... Avec la petite quantité de lait journalière, Françoise préfère conserver le lait cru et ne transformer que tous les 3 jours (on ne peut pas conserver le lait cru plus de 3 jours pour des raisons sanitaires). Nous revoilà donc en fromagerie !
Les journées sont biens remplies et nous apprenons plein de choses. Notamment à faire du beurre à la main (à l'aide d'une baratte ou même, d'un simple pot de confiture) et Martin à réaliser des soudures avec Denis (bon il a encore une marge de progrès... Denis ne lui laisserait pas encore réparer ses engins ! ). On part livrer des magasins de producteurs, on livre une AMAP, on cueille des framboises, on fait des galettes, on discute, on joue de la binette... et on brosse le patou qui perd ses poils et qui meurt de chaud !
Nous repartons, non loin de là, pour notre dernière ferme... last but not least ?
Petit tour dans la ville médiévale de Vitré, en passant...
Nous arrivons en début d'après-midi avec un peu de retard chez Arnaud, 35°C, il fait une chaleur en Bretagne ! Arnaud a la gentillesse de nous accueillir dans son élevage de porcs intensif et n'a pas peur de montrer et d'échanger sur ses pratiques, de plus en plus controversées en terme de bien être animal (et le bien être des éleveurs on en parle ?).
On voit donc l'application du système industriel que la chambre d'agriculture développe avec les coopératives. Vous avez sans doute dû le remarquer, depuis le départ de notre voyage nous rencontrons majoritairement des agriculteurs aux pratiques minoritaires (car plus visibles sur internet du fait de la vente en direct).
L'élevage d'Arnaud est plus que représentatif des fermes françaises puisque 95% des élevages de porcs sont ainsi, et produisent 99 % de la viande porcine... et c'est pareil pour la plupart des productions agricoles. Notre "voyage en France agricole [paysanne]" se termine avec en quelque sorte un retour à la réalité...
Il y a 13 ans, Arnaud reprend l'entreprise porcine que son père avait lui-même repris à son grand-père. Une ferme familiale donc, depuis 3 générations. Selon lui, on ne peut pas être dans la demi-mesure (à moitié dans le système), c'est soit extensif à 100%, soit intensif à 100%. Avec la reprise de l'exploitation familiale, Arnaud décide donc de continuer dans la même veine avec 3 à 4 salariés pour un élevage de 400 truies et 800 tonnes de viande produite par an. Depuis 3 ans, Elodie la compagne d'Arnaud s'est installée avec lui et développe la vente en direct (c'est encore comme ça que nous avons trouvé leur ferme). Seul 3% des cochons sont transformés chez par un charcutier au Pays Basque et revendus en saucissons, pâtés, jambons, etc. et 97% sont vendus à la coopérative.
Nous restons deux jours à aider pour les tâches quotidiennes et apprenons aussi beaucoup concernant l'élevage de porcs.
Le productivisme amène à des décisions d'élevage contestées et contestables concernant le bien être animal (animaux serrés sans accès à l'extérieur, vie sur des caillebotis, truies maintenues couchées, coupage des queues, meulage des dents, etc.), l'environnement et le bien-être des éleveurs.
De plus en plus pointés du doigts, les agriculteurs dits intensifs se remettent en question.
Mais, beaucoup, pris dans un système où les prix se définissent à l'échelle mondiale, produisent de la "matière" qui ne leur est pas payée à sa juste valeur. Pour s'en sortir, ils ont donc "fait le choix" de produire en grande quantité, ce qui nécessite de gros investissements en terme d'infrastructure. Pour eux, difficile donc de "prendre le risque" de changer de système, qui nécessiterait la construction de nouveaux bâtiments, les anciens ne pouvant
être réutilisés pour aménager une aire paillée par exemple.
Pour plus d'indépendance, de plus en plus d'agriculteurs choisissent de commercialiser leurs produits en circuit court, comme le font Arnaud et Elodie avec une petite partie de leurs cochons.
Est-ce la solution ? Pourrait-on avoir en France uniquement de petites fermes vendant en circuit court ? Pourrait-on nourrir tout le monde ? Il faudrait alors plus d'agriculteurs ? Mais aujourd'hui la tendance est plutôt à l'agrandissement des exploitations agricoles ? Le circuit court n'est-il dédié qu'aux petites fermes ?
A méditer...
En attendant, selon ses convictions, ils nous est possible d'agir en tant que consommateur.
Si
vous êtes partisans d'une agriculture qui rémunère les agriculteurs
pour le travail qu'ils fournissent allez faire un tour du côté :
-des magasins de producteurs : des producteurs se regroupent pour commercialiser leurs produits en direct
http://magasin-de-producteurs.fr/
-des
AMAP: "Association pour le maintien d'une agriculture paysanne". Il
s'agit encore là d'acheter en direct les produits d'un ou plusieurs
agriculteurs. On s'engage en payant à l'avance.
http://reseau-amap.org/
-En direct à la ferme:
Pour les mosellans :
Ferme de la Sarre à Wiesviller
https://www.republicain-lorrain.fr/edition-de-sarreguemines-bitche/2019/06/21/ferme-de-la-sarre-de-l-elevage-a-la-vente-directe
Ferme Gladel à Rouhlinghttps://www.acheteralasource.com/vente-directe-producteur/lorraine/moselle-57/ferme-gladel
et d'autres encore !
- sur les marchés en différenciant bien les producteurs des revendeurs
Pour trouver d'autres fermes partout en France:
https://www.acheteralasource.com/
https://www.bienvenue-a-la-ferme.com/
https://www.accueil-paysan.com/fr/
Et peut-être qu'un jour tous les agriculteurs (petites et grosses fermes, élevages porcins, élevage de vaches laitières, maraîchers etc...) pourront vivre de leur production et produire de manière durable !
Et comme chaque bonne chose a sa fin, nous devons partir et rentrer chez nous...
Un train et puis on dépose les vélos à l'écurie pour un moment... Un moment seulement ?!
Nous allons écrire un petit article de conclusion d'ici une semaine, ceci est donc l'avant dernier article du blog... Retenez vos larmes !