Audierne : terre d'accueil pour des chevaliers pélagiens

Publiée le 05/12/2024
Jouer de la vie comme elle se joue de nous. Aller chercher ses ressources les plus profondes, là où les profondeurs le plus souvent est à la source de tous les obstacles. Tel est le défi d'une navigation, tel est le défi de toute une vie ?

Mercredi 27 novembre, 15h, nouveau départ pour une nouvelle destination ! Nous sommes toujours heureux d’arriver. Plus encore, nous sommes chaque fois heureux de repartir. Et chaque déplacement nous montre Oh combien nous avons fait le bon choix d’abandonner l’idée de réparer le moteur. C’est de surcroît une note supplémentaire d’impétuosité à notre voyage 🙂


Sur un bon tiers de la navigation, l’ambiance est à la fois mystique et enchanteur. Le plancton phosphorescent croisé ici et là contraste avec l’immensité des abîmes. Je note qu’il est 00h13. Il fait donc “nuit noire”. Un pléonasme me direz-vous ? Oui sauf que le plus souvent, les nuits en mer sont bien plus lumineuses que celle que nous avons à vivre aujourd’hui. Habituellement éclairées par un clair de lune, une voile lactée ou du moins quelques étoiles, celle-ci est noire Noire mais alors NOIRE ! Le ciel totalement couvert se fond complètement avec la mer, elle, furieusement houleuse dont les creux pouvent atteindre parfois les 1m50. Fort heureusement pour nous repérer, l’homme a pensé à rendre lumineuses la plupart des cardinales en plus d’avoir mis à poste quelques grands gardiens des côtes : des phares, tous plus faramineux les uns que les autres. Nous longeons alors la côte alerte de tous bruits suspects et de toutes ombres douteuses. Dans  l’obscurité, bien plus que le jour, nos sens autre que celui de la vue sont très sollicités. C’est d’ailleurs à l’oreille que nous reconnaissons d’abord nos convoyeurs de l'extrême. L’eau rejetée et l'air expulsé par leur évent produit un son semblable à celui que je produisais avec mon tuba cet été durant mes sorties plongée. Nous sommes effectivement escortés par un petit groupe de 4, 5 dauphins communs que j’aime appeler “dauphins copains”.

Quel bonheur ! Ces animaux dégagent tant de douceur, de grâce et d’espièglerie. Leurs trajectoires détectables aussi par le faible éclairage de notre feux de position en haut du mât ne semblent pas être aléatoires. Ils ont plutôt l’air avisés et savent jouer de notre embarcation. Dans un calcul parfait et à tours de rôle, ils quittent un côté, s'engagent sous l’étrave du bateau pour resurgir de l’autre. Dans son sillage, ils se lancent dans une course folle et sur quelques pointes d’accélération, dépassent Yes Aï d’une traite ! Trop facile ! Debout dans la descente d’escalier, je vis pleinement ce moment. Je m’accroche au winch à proximité et me penche dans le sens de la gîte côté tribord, les yeux rivés vers les profondeurs. Je chante, j’hurle, j’exulte ma joie comme je connais ces mammifères dotés d’une excellente ouïe. Je cherche le contact, j’aimerais pouvoir les toucher, juste même les effleurer. Découvrir la douceur que leurs peaux laissent paraître. Mieux encore, plonger ! Plonger et les rejoindre dans ce vaste océan. Chérir ensemble notre passion commune pour la mer et badiner à l’unisson dans ses ondulations. Pourquoi pas, devenir dauphin pendant un temps et partager leur allégresse ! Mais je ne peux pas car je ne suis pas un dauphin c’est vrai 😂 Nager comme eux m’est impossible, voir comme eux aisément de jour comme de nuit ne sont pas des attributs humains. Alors, autre créature que je suis, je me satisfait exclusivement de cette rencontre en apprenant d’eux. Eux qui adultes continuent de jouer. Ne dit-on pas d’un enfant qu’il joue au foot ? Et ne dit-on pas d’un adulte qu’il fait du foot ? Pourquoi ? Pourquoi arrivée à l’âge de la maturité, nous devons arrêter de jouer ? Ne voyons-nous pas nos animaux de compagnie demeurer joueurs ou tout au plus folâtres jusqu’à leurs derniers souffles ? Si je peux tirer une leçon de cette rencontre, ce serait de continuer de jouer. Adulte, solliciter encore et toujours l’enfant qui sommeille en nous et qui ne demande qu’à s’exprimer ! Profiter d’être l’adulte que nous sommes devenu, pour enfin l’écouter vraiment et le laisser vivre comme il l'entend. Prendre la vie comme un jeu. Goûter chaque bons moments sans retenue et regarder l’existence comme étant malicieuse plutôt que dommageable…

Certes, je ne suis ni un dauphin, ni une sirène. Je suis une femme, avec deux jambes et deux bras qui n’aurait pas tenue 2 secondes sous l’eau dans ces conditions. Qui plus est, une nana qui se relève tout doucement d’un mal de mer bien carabiné (6h en PLS). Je ne remercie pas cette houle reçue de travers qui me retourne l’estomac, me donne froid et m’assène de violents tremblements. Je remercie au contraire ces mammifères marins qui, par leur simple présence, m’ont aidé à me sortir du mordor ! J’ai la chance d’être au moins capable de toujours ou presque, connecter à une joie intérieure, une part de moi qui ne me quitte jamais et à laquelle je me raccroche dans les moments les plus difficiles tel que cet état nauséeux. C’est une sorte de calme intrinsèque, une confiance absolue. Celle de croire que tout ira bien, tout se passe bien, tout va bien, je vais bien. 

Je ris même et je blague. Déglutissant quelques absurdités temporisant le mal bien mal placé pour le rendre dérisoire. De cette façon, je garde la tête hors de l’eau, prend un minimum de recul et regarde avec humour toutes situations aussi infâmes soient-elles 😀. 

Traversée par des pensées du style : “OMG, je suis graaave dans le mal !! 🤢 Mais alors qu’en je serai sortie de ce calvaire, qu’est ce que ça va être drôle d’y repenser ! 😆” Oui intérieurement je ris, à me voir vautrer sur la banquette, Cahuète allongée sur moi vivant le même abattement. Assailli de redoutables renvois gastriques, je me vois remonter ensuite l’escalier tant bien que mal afin de rejoindre et soutenir Marvin à la barre, lui aussi pas au top de sa forme il faut bien le dire. Et je continue de rire... Imaginant l’image que je renvois, avachis dans le cockpit, recroquevillée sur moi-même à surmonter les mouvements vas et viens de Yes Aï. Je cherche à assister le capitaine dans les virements de bord mais alors, quel effort colossal que de soulever son derrière afin de laisser filer l’écoute sur laquelle je me suis malencontreusement assise ! Quelle lutte pénible que de tenir la barre un court instant soit-il ! Me voilà un parfait zombie que même des litres d’alcool déambulant dans mon sang et mes veines n’ont auparavant jamais trouvé le chemin pour me transformer de la sorte…. 

Bon ok… Il va falloir revoir nos plans. Bénodet est à peu près à 35 milles de notre position ce qui représente approximativement 7h de navigation pour une moyenne de 5 nœuds…Et nous sommes à peu près à la hauteur d’Audierne…

“On n’irait pas plutôt à Audierne” dis-je d’un air découragé et d’un ton désolé

“Ce serait peut-être mieux ouai… Tu veux que j’aille voir ?” répond Marvin

“Ce serait peut-être pas mal oui..” Océane

“Ok j’y vais” Marvin

À peine descendu, le voilà qui remonte en avant-post proclamant haut et fort : “Ça l’fait, on peut y'aller ! On devrait encore avoir les dernières minutes de flot avec nous et la marée sera au plus haut, c’est nickel !  Par contre peut-être qu’on devra tirer des bords dans la rivière…”

“La magie des dauphins opère, avec un peu de chance, d’ici-là je me sentirais encore mieux ” Océane

“Bon ok allez, on vire !” Marvin

Changement d’allure et soulagement, la côte se rapproche ou plutôt nous nous rapprochons d’elle. Nous prenons maintenant la houle de derrière, c’est bien plus confortable ! Cependant elle est toujours aussi grosse et vient se fracasser sévèrement sur ce qui ressemble à une plage. Nous comptons sur le fait que le port soit dans le cul de sac d’une rivière pour la voir diminuer et moins dangereuse.

C’est parti, nous laissons la balise cardinale ouest de la Gamelle sur tribord et embouquons le chenal. Dans un premier temps, nous nous retrouvons littéralement encalminés à son entrée avec sur bâbord, la jetée et ses grands murs de pierre et sur tribord, à une dizaine de mètres, des vagues déferlantes potentiellement … embarrassantes. Il faut faire vite, vite prendre une décision. 

“On tente le coup !” me crache Marvin sans plus l’ombre d’un doute. Il me signale que nous n’allons pas prendre le risque d’attendre le vent, nous allons créer le nôtre. Nous voilà nous faufilant dans une veine de courant permettant à Yes Aï, fin comme un oiseau, de tirer profit d’un filet d’air à peine perceptible pour commencer sa glisse. Bientôt, l’œuvre alchimiste opère et un vent apparent naît. L’oiseau s’élance, matelots se lancent. Cheminant entre des perches pas toujours lumineuses d’un côté et cette houle déferlante sur plusieurs grèves mal pavées de l’autre, le passage est drôlement étroit. “Ça va être technique” ajoute le capitaine d’un air à la fois sérieux et joueur.

Nos pronostiques étaient bons, nous avons à tirer des bords, chaque fois courts et rapides sur quelques dizaines de mètres comme on en fait en régate. Ça tombe bien, on a un régatier ! 1, 2, 3, 4, me voilà plus en forme que jamais. Le jour et la nuit entre maintenant et il y a 1/2h ! Marvin à la barre, moi en “wincheuse”, nous sommes concentrés, dans un état de “flow”. Nos mouvements s’accordent parfaitement, c’est un régal !  Je passe en quelques secondes inlassablement d’une écoute à l’autre. Le génois se pavane d’un côté puis de l'autre réagissant idéalement dans un mouvement mutualisant la saccade et la fluidité. 5, nous avançons vigoureusement et défions chaque perche (perche = signal de danger localisé à son emplacement même) en les approchant de très près, à distance de 5 mètres peut-être. 6, 7, 8, nos manœuvres frôlent la perfection (croyez-le ou non !), nous profitons d’un déferlement de vagues pour prolonger la glisse sur un bord. Hiiiraaa ! Seule la sensation de faire corps avec les éléments se manifeste en nous. Aucune peur, aucune hésitation, nous jouons et croyons dur comme fer maîtriser la situation. Serait-ce le risque encouru qui, justement, fait que nous en retirons autant de plaisir ? Toutes voiles dehors, nous nous approchons sérieusement des pontons. Et 9, dernier bord. Après avoir passé la haie d’honneur de quelques bateaux au mouillage, sous l’ordre du capitaine j’enroule le génois. Pianissimo, nous progressons sur les derniers mètres et apercevons une place vacante qui n’attendait plus que nous. C’est maintenant ! Nous alignons notre bateau parallèlement au “pontoon” (version anglaise de ponton car j’en ai marre de répéter sans arrêt ce même mot !! En plus c’est mignon comme sonorité pontoon 😁) et feu ! À l’abordage ! Je saute sur la pseudo terre, courre pour devancer Yes Aï qui continue hâtivement sa course. De toutes mes forces, avec mes bras, mon torse mais aussi avec mon muscle droit sterno-cléido-mastoïdien, je retiens sans fléchir l'animal fougueux qui semble nous crier “Encore !  Encore ! J’en veux encore !”. Rejoints par Marvin, nous parvenons à le freiner et enfin, dans un dernier geste d’ardeur uni, nous l’immobilisons. Il est 2h du matin, notre arrivée  ressemble franchement à l’accostage clandestin de pirates irlandais sur leurs vaisseau fantôme venus d’outre-manche ! 

Le lendemain matin, après une courte nuit, chaussés de nos chaussures de marche, nous remontons par le sentier côtier, la rivière du Goyen par laquelle nous sommes arrivés. Théoriquement, nous connaissions notre parcours mais de le voir à la lumière du jour, il est un brin étourdissant. Quel spectacle cela devait être de voir Yes Aï s’engouffrer dans cette mince gouttière, silencieux et habile comme un chat.

Nous aurions tant aimé cette nuit pouvoir nous dédoubler afin de jouer en même temps que de nous observer le faire sur notre beau voilier. Le contempler de nos 4 regards soupirants et de vous raconter plus tard installé sur un banc de commérage, la rumeur courant autour d’un bateau pirate : “Novembre 2024, l’obscurité est à son comble. De retour victorieux de sa bataille livrée en mer, doublant balisage et traversant brume, un navire nommé Yes Aï n’est plus qu’à quelques mètres le séparant du port de pêche d’Audierne. Sur le point de déposer pour quelque temps sa coque et ses voiles, ses écumeurs s’en iront arroser gloire et fortune au café bar du quai Jean Jaurès juxtaposant la conserverie de sardine. En main, un journal encore papier dit et affirme : Il faut se rappeler qu’Audierne a longtemps été considéré comme un port d’accès fort dangereux par la présence d’écueils de la Gamelle juste à sa sortie. Il est reconnu comme le port de France où le canot de sauvetage sort le plus souvent !”

Yes Aï au repos à Audierne après une folle nuit de navigation
Audierne, port de pêche à la sadine
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2 commentaires

Xisca

Coucou les p'tits loups, allez vous bien ? YesAie en tout cas il semblerait que oui. Vous êtes les plus heureux du monde (je l'espère en tout cas).
Gros bisous à tous les 4 (si si, sur le bidouf de YesAi aussi 😁)
Merci pour ces partages.

  • il y a 1 mois

Jes

Super de vous lire les amis ! Quelle plume! Excellent

  • il y a 1 mois