Nous sommes mardi 10 décembre, il est 8h30, nous nous levons avant l’aube et profitons de l’aurore par une dernière petite marche avant de quitter la terre ferme pour quelques jours. Le temps est au beau fixe. La tempête est définitivement passée, le vent s’est pacifié, il en reste juste suffisamment pour entrevoir un départ imminent.
11h, nous sommes fin prêts. Nous quittons Sainte-Marine conscients que cette fois, nous entamons une traversée bien plus costaude que les précédentes. Le golfe de Gascogne est situé entre la Bretagne en France et la côte cantabrique en Espagne. Il couvre une surface d'environ 223 000 km2 et sa profondeur maximale atteint 4,7 km. Cette typologie géologique, entre autres, lui confère une vilaine réputation. L’entrée et la sortie du canyon sous-marin peut alors créer de redoutables perturbations comme augmenter la hauteur de la houle, faire lever des vagues et parfois créer des déferlantes. C’est un espace maritime où convergent souvent les courants, les différents régimes de vents et les différentes provenances de houles. En bref, un joyeux bordel ! D’où l’importance de bien anticiper ce voyage, choisir la bonne fenêtre météo pour modérer ses risques et son inconfort.
Aujourd’hui, les prévisions concordent idéalement avec nos besoins et ce pendant plusieurs jours. Un anticyclone s’est ENFIN installé sur les îles britanniques, créant un flux de nord-est sur tout le contour atlantique. Avec un vent assez soutenu de 20 nœuds établi et des rafales à 25 à 30 nœuds, nous choisissons de réduire la GV à 2 ris et de gréer sur étai largable un foc solent (petite voile d’avant) plutôt que notre fidèle gégé.
La première manœuvre ne manque pas de panache. Une marche arrière foc à contre et ¡Aquí vamos!
Nous passons les premières balises et dès maintenant ce n’est pas plus compliqué que ça : Durant 320 milles, c’est cap 210°. Je suis la première à tenir la barre. Elle est diablement ardente cette coquine ! 1 heure est passée, j'ai déjà mal au triceps droit. Apparemment, ce sera le même bord tout du long ce qui sous-entend la même posture et les mêmes muscles en action du début à la fin. OH-MY-GOD !
Nous avons défini un planning de quart justement pour se relayer à la barre. Tout compte fait le roulement s’est fait de lui-même en tenant-compte des circonstances à savoir, une fatigue trop intense, un léger mal de mer, un renforcement du vent ou que sais-je encore ! Les heures s'enchaînent, parfois elles passent vite, d’autre fois elles paraissent longues. Ceci est vrai lorsqu’il faut se tenir éveillé à 3h du matin par des températures approchant les 3, 4°C, sous un taux d’humidité relativement élevé. En outre, figé dans le cockpit à répéter les mêmes gestes semblable à un automate et se prendre tantôt des grains de pluies, tantôt des “paquets de mer” comme il est coutume de dire dans le jargon marin. Dans de telles conditions, ça n’a pas été sans surprise de constater ensuite la facilité avec laquelle nous avons pu nous assoupir et ce à n’importe quelle heure. Le remue-ménage, les quelques embardés, les sifflements dans le gréement, rien ne nous retient de sombrer dans un sommeil parfois même profond. Efficace du moins, pour une à deux heures avant de retourner au bagne. Le bagne ? Non, pas totalement ! Une mise à l’épreuve ? Évidemment. Une immersion envoûtante et grisante au cœur d’un environnement inconnu pour l’homme dont 75 % des zones très profondes restent, sachons-le, encore inexplorées. Hostile et magique à la fois, il nous repousse dans nos retranchements, oblige nos corps frêles à se renforcer et à augmenter leurs capacités adaptatives. C’est ce que l’on appelle jouer avec la loi de l’Hormèse ! La banquette tribord constitue pour ces 2 nuits notre couchette entre chaque quart. D’abord, nous prenons soin de nous dévêtir et de nous faxer dans un douillet duvet pour accroître notre qualité de sommeil. Finalement, au fur et à mesure que nous pointons nos heures de services, nos pauses dodo qui suivent perdent misérablement en confort. C’est emmitouflé dans nos tenues de quart, les pieds couverts de deux paires de chaussettes encore dans leurs bottes et les têtes garnis d’un ou de deux bonnets que nous plongeons dans un état de somnolence voir d’anesthésie générale. Voyons le bon côté des choses, au cas où, nous ferions subitement naufrage, nous sommes au moins déjà équipés de nos gilets de sauvetage ! 😁La lune quant à elle toute puissante la nuit éclaire de part et d’autre le bateau. Non sans humour, elle négocie avec les nuages et laisse plusieurs fois entrevoir son profil cocasse en forme de patate. N’en déplaise à quiconque ! Car seuls au monde dans ces rouages aquatiques, nous ne pouvons que l'accueillir à bras ouverts. Sa lumière est réconfortante et jamais depuis la terre, je l’ai trouvée aussi radiante et véhémente. Un effet résultant du monde océanique sur lequel elle se reflète ? Là où aucune chose ne vient contrarier et freiner ses faisceaux lumineux ? Peut-être … Quoi qu’il en soit, aucun feux de bateaux de pêche et aucun cargos illuminés en course rapide, soumis au commerce maritime ne vient court-circuiter notre confidentielle correspondance. Et voilà qu’un rafiot me fait mentir. Néanmoins, pas pour très longtemps. Désinvolte, à la vue de notre embarcation, celui-ci finit par faire demi-tour. “Vous avez raison Marcello, à vos risques et périls, on approche pas un bateau pirate !”Bon, quel jour on est ? Quelle heure est-il ? Plus nous progressons sur notre cap et plus nous perdons la notion du temps. Nous devenons des ours, entrant et sortant de leur tanière. Complètement toqués, nous faisons des allers retours entre le cockpit et l’habitacle. Et c’est à peine si on se parle. Quelques futilités histoire de rester un peu des être-humains en phase avec l’espèce que nous sommes censés être… Sérieusement avec le recul, on dirait des barjos dans un état de psychose avancée, obsédés par cette chose droite, en apparence futile mais qui permet de tenir tout de même la trajectoire du bateau. Cette satanée barre prend possession de nous. Elle et le compas de route (puisqu’il n’y a forcément aucun autre repère à suivre). Une aiguille vacillant de droite à gauche et de gauche à droite qu’il ne faut absolument pas quitter des yeux. Chancelant plus exactement entre les numéros 240 et 180, nous la reluquons tellement qu’à force, nos yeux se disent bonjour. Celle-ci se révèle être très efficace dans l’accès à des états modifiés de consciences. Je la recommande donc vivement dans les cabinets d’hypnothérapie ! 💡. Meeeerrde !! 240° !! JAMAIS, je dis bien JAMAIS, ne JAMAIS chatouiller le 240 ! Sinon empannage et alors cataaa !! L’empannage est l’action de changer d'amure en passant par le vent arrière. Si on en vient là, nous risquons la casse voir un accident humain. Effectivement, la baume de GV peut alors rapidement changer de côté et assommer une pauvre tête qui se trouverait sur son passage… Qu’elle soit pleine ou vide, le scénario et le résultat dramatique sont les mêmes : C’est la mort annoncée. Tout au mieux vous vous retrouvez inconscient gisant dans le cockpit ou comme un linge étendu sur les filières du bateau. Dans le pire des cas, vous vous débattez dans la flotte entre les montagnes d’eau. Dans ce dernier cas, la procédure de sauvetage est lancée (je vous passe les détails).
Bref, personnellement j’ai l’impression d’être une geek ne pouvant lâcher sa manette et son regard de l’écran. 210, 210, 210 😵 C’est l’alerte signifiant qu’il faut changer de barreur 😵
Quand le jour se lève, c’est comme si nous quittons un autre monde qu’est la nuit. L’ours disparaît et nous retrouvons petit à petit notre humanité. Doucement, nous nous défaisons de nos piteuses apparences sous un bienvenu soleil levant. Malgré toutes nos tentatives de se fondre dans le paysage, que ce soit par le meilleur réglage des voiles ou par nos longs moments de silence contemplatif et méditatif, nous faisons toujours tâche au beau milieu de l’océan. Cependant de cette façon, nous sommes très vite repérés par quelques sosies de Flippeur. Longeant enfin les côtes galiciennes seulement 48 heures après notre départ, on aperçoit au loin une alliance de grands dauphins. Un mirage ? Je les appelle, souhaitant les voir venir jouer avec nous et chouette, cela fonctionne. Ce n’est donc pas une hallucination mais bien ce que nous recevons comme une récompense. Un petit présent de Poséidon qui sait ! Offert à nous quatre pour avoir redoublé d'efforts, pour s’être mesurés à l’inconnu et pour avoir englouti le golfe de Gascogne en un temps record il faut bien l’admettre (au regard de la taille de notre voilier).
Souvent surfeur ou étalon, parfois taureau et occasionnellement gorille, Yes Aï demeure notre fétiche du périple. Alors lorsque la pétole arrive à l’entrée des balises verte et rouge, avant le passage de la digue de Viveiro, nous l’interrogeons et plutôt que de le laisser dériver jusqu’à la plage à droite, fort bien séduisante et attirante, nous appelons le port pour lui offrir l’hébergement 4 étoiles tant mérité. À l’abri du vent, loin des vagues et des houles, repos et quiétude sont au rdv pour notre bon vieux Yes Aï. Quant à nous, nous voulions tester le remorquage à l’étranger. Done ! Conclusion : ça coûte bonbon 🤑 De plus, l’arrivée à quai censément soutenue par une bonne poignée de bonhommes relève plus d’un entreposage hypothétique de morceaux de plastique. Le plastique, c’est fantastique !
Nous voyons le coup venir. Tracter par un zodiaque jusqu’à la place qui nous est destinée, j'introduis la scène par ceci :“Euuhh, ils comptent ralentir quand tu crois ?”“Je ne sais pas.. Dans pas trop longtemps j’espère …” MarvinEt Boommm ! Sans demi-mesure, l’étrave embrasse malencontreusement le ponton. Nous ne pouvons rien faire, nous sommes complètement démunis et pouvons juste désormais analyser les faits. La testostérone en action ce jeudi 12 décembre au port de Viveiro ressemble plus à une nuée de mouches affolées autour d’une m*** plutôt qu’à une démonstration maîtrisée d’un accostage par un groupe émérite d’employés du port. Voilà, pour nos prochaines virées, nous serons vigilant et précis jusqu’au bout des ongles dans le choix de nos itinéraires et nos heures d’arrivées afin d’éviter ce genre de situations. Heureusement Yes Aï n’a rien et se porte à merveille !Nous profitons du port et plus encore de notre ponton abondamment ensoleillé du matin au soir. Il devient notre terrasse privée pour la pratique du yoga, pour les piques-niques au grand air, pour le bricolage et les siestes ainsi que le lieu de bavardage entre brestois avérés !
Pour l’heure, c’est balades et randonnées pour tout le monde ! (Sauf note fétiche qui se revigore avant la sortie suivante). Le coin s’y prête bien puisque la ville est construite sur une ria, aux abords de la rivière Sor. Bordée de plages de sable fin et pailleté, elle est aussi profusément entourée de verdoyantes montagnes, essentiellement formées d’eucalyptus
En chemin, nous faisons la rencontre de nombreux animaux. Des chats, des gallinacés, des chiens, certains entre quatre murs, d’autres dans les champs veillant sur les troupeaux de vaches.
Plus haut, face à la beauté panoramique, nous sommes honorés de partager la compagnie de quelques chevaux en liberté. Broutant en toute sérénité la pelouse des pâturages, ils prennent part au tableau et embellissent merveilleusement bien le décor des hauts sommets.
À bientôt sur d’autres terres, vers de nouveaux horizons.
Têtes froides et pieds chauds, nous voguerons gaiement mais sagement,À la rencontre de petites et de grandes, toutes composantes nous rappelant à la vie,Saisissant toutes opportunités de jouir copieusement de celle-ci,De ce festin ouvert trop souvent tombé dans l'oubli.