Il s'agit de trouver les villages, de s'y rendre et d'échanger avec les éleveurs. Comme les explications au téléphone risquent de compromettre la suite, j'ai choisi d'aller directement sur les lieux en promeneuse solitaire et de voir, au risque de me faire mettre dehors ou de trouver la porte close. Le coup de dé était un jeu occasionnel, cela devient un principe. Jusque là le principe fonctionne et je vis aux quotidien de belles aventures impossible à restituer. J'en choisis une, celle qui n'a pas marché, juste pour illustrer le fait que tout est bon à prendre, même si le résultat n'est pas là
Sorti des grandes avenues, les rues ne sont pas goudronnées et passablement défoncées. Se succèdent sans ordre les "belles" maisons, les baraques plus ou moins rafistolees, les taudis, les garages, les terrains vagues, les bouts de jardins et de décharge.. enfin partout des surprises qui égayent l'œil. Je voulais garder une image de ce petit coin de maisons, mais je n'ai pas osé. Deux hommes discutaient, juste devant.
Les deux hommes m'ont regardée m'approcher, hésiter un peu puis m'engager vers le fond de la rue qui était en fait une impasse. Lorsque je suis repassée, ils m'ont évidemment demandé ce que je cherchais... (si je le savais !) Enfin, comme on peut le comprendre, je ne suis pas pressée. J'ai pu répondre à l'invitation. Ce n'était pas une impasse mais une voie de garage.
Plutôt timide, il n'a pas dit un mot. Il est musicien. Il joue du doudouk. Comme en cette période on ne danse plus mais on enterre beaucoup, il a malgre tout du travail. Il touche 15000 drams par enterrement, soit un peu plus de 20 euros, ce qui est beaucoup puisque un vendeur dans un magasin touche 50000 drams par mois. Il a une femme, des enfants et une maison pas très loin. Il aurait bien été chercher son instrument pour me jouer un morceau, mais il avait un enterrement. Dommage, la musique ça fait du bien.
J'ai rejoint le boulevard à la sortie de la ville et tendu le bras en levant le pouce. Une petite lada à bout de souffle s'est arrêtée, à l'intérieur un géant avec une tête sympa.
Évidemment le cimetière (comme le garage) n'était pas ma destination et il me fallait reprendre ma route. J'ai donc redescendu la colline et longé l'allée interminable des tombes des jeunes soldats de Gyumri tombes au Karabakh. Ils avaient, pour la plupart, à peine 20 ans. Elles croulent sous les fleurs, les drapeaux arméniens flottent dans le vent et les mères agenouillees pleurent. J'ai traversé la route, tendu le bras et levé le pouce.