. Franchir le pont, c'est pénétrer dans un décor de théâtre identique à tous les décors des sites touristiques. Ils sont conçus pour donner au visiteur ce qu'il espère. Les états dépensent des fortunes pour nourrir les rêves et donner l'illusion que rien n'a changé dans leur pays, et que rien ne changera jamais.. Le tourisme c'est beaucoup de mouvement pour capter un arrêt sur image, un fragment du monde qui irrémédiablement se défait.
Poutine à mis beaucoup d'argent sur la table pour redorer la ville sinistrée par les guerres. J'ai passé 2 mois à St Peterbourg en 2004 chez des artistes qui habitaient en plein cœur de la ville, tout près de la Neva, de l'autre côté du pont l'Hermitage. Il s'agissait d'un ancien appartement bourgeois haut de plafond et de fenêtres, sans doute ancien appartement communautaire de l'époque soviétique. L'endroit était magnifique, il y avait cependant un problème non négligeable :l'eau. Les premiers étages de l'immeuble avaient de l'eau normalement, mais au fur et à mesure des étages l'alimentation s'epuisait. Au 5e étage ou nous étions, il n'y avait qu'un filet d'eau saumâtre que nous récupérions la nuit dans des seaux pour les toilettes. L'eau claire, je ne me souviens plus d'où elle venait, mais il y avait un peu pour la vaisselle et la toilette (dans la grande baignoire). De l'autre côté du pont (toujours des ponts) , des hôtels de luxe avec Spa et jacusi.
Je suis restée un moment à le regarder travailler, puis la conversation s'est engagée. L'icône en cours de réalisation était une commande venue de France. Nous avons parlé technique..L'artiste utilise la technique de la peinture à l'œuf répandue du Moyen Âge, .Le dessin non plus n'a pas changé. On refait à l'identique de génération en génération. La transmission est rigoureuse. On ne piétine pas les images. Il faut un mois de travail pour réaliser une icône et son fond d'or. Le fond d'or est la partie la plus délicate. Elles sont vendues 450 euros.
Lorsqu'il m'a demandé de lui montrer mes dessins j'ai eu un moment d'hésitation. Et puis pourquoi pas ? Donnant, donnant. Les dessins de plage d'Odessa, il n'a pas commenté, mais le guitariste sur le pont du bateau il a bien aimé.
Ensuite nous avons évoqué le Kazbek, (plus de 5000m) qui se trouve à 1h 30 de Tbilissi..Il a tout de suite pris l'affaire en main, c'est-à-dire son téléphone ( les religieux n'étant pas seulement connectés avec le ciel) et m'a trouvé un hébergement et un transport pour cette destination qui fait rêver dans le Caucase autant que la Tour Eiffel à Paris. J'aurais aimé un séjour dans un monastère, mais en Géorgie ça ne se fait pas.
Nous devons nous revoir samedi le jour de mon départ, avant 14h, parce qu'il se rend l'après midi à la prison pour faire un atelier avec les détenus. Il le fait depuis 30 ans. Certains, la peine purgée, sont devenus de grands décorateurs d'églises. De la feuille d'or en prison du jamais vu. Ça valait la peine de venir dans le Caucase.
Sur les centaines d'œuvres que j'ai regardé, pour certaines avec beaucoup d'attention, j'en est retenu plus d'une centaine et maintenant il faut que je n'en sélectionne que 5 ou 6. Je rage comment ne pas faire partager le travail de ces artistes fabuleux, à côté desquels la peinture en France depuis les années 70 semble atonique .On a beaucoup critiqué le muselage des artistes à l'ere soviétique, la contre culture institutionnalisée en France, c'est guère mieux. Ce qu' il y a de passionnant ? La plupart des artistes ont été formés dans les écoles d'art de l'époque soviétique très académiques, ils ont ensuite exploré les limites mises à l'épreuve par le fauvisme et l'expressionnisme, botté en touche avec l 'abstraction et rué dans les brancards. Tout ça dans un cursus individuel. Ce sont eux aussi qui ont formé la génération d' aujourd'hui.. Je compte me rendre à l'école des Beaux arts pour me rendre compte de l'impact de cette transmission.
Un creve cœur, mais c'est la seule façon de vous faire comprendre ce que j'ai écrit plus haut.
Un petit bonus. Et puis aussi celle qui vous fera sourire (j'ai dépassé mon quota.😕)
En fait il y a beaucoup de peintures très colorées. J'aurais pu faire un autre choix. Mission impossible.
Il y a 6 bains, tous concentrés au même endroit, là où surgit de terre l'eau sulfureuse à 50 degrés. Le choix doit se faire entre le plus luxueux, le bain public et l'entre deux. J'ai choisi le bain public bien qu 'il n'y ait pas de piscine mais seulement des douches. Bien m' en a pris, j'étais toute seule et ces dames ont pris grand soin de moi. 2 euros l'entrée, 1 euro pour le thé, 3€20 pour ce qu'ils appellent le peeling, je ne savais pas de quoi il s'agissait, mais j'ai pris.
Il y a dans un coin une table basse longue que l'on nettoie au jet comme dans les abattoirs ou les boucheries. C'est la dessus que devait avoir lieu le peeling. Une petit femme boulotte et costaud m'a empoignee, rabotée comme une planche (le papier de verre ce n'était pas du 200 mais du 80) en me retournant comme un crêpe (petite mais costaud). Toute les copeaux se sont collés sur ma peau ramollie. La petite dame s'est emparée d'un long manchon en plastique très doux rempli de mousse. Elle en jouait comme d'un accordeon et m'a littéralement noyée dans cette mousse en me frottant énergiquement avec le manchon très doux vidé de son contenu. J'étais habillée de mousse, comme dans les pub. On aurait pu prendre une photos, il n'y aurait rien eu d'indecent. Après, j'ai été invitée à retourner me doucher.
Irma m'a confirmée ce que j'avais déjà compris. Il n'y a pas de travail pour les hommes. Cela fait 3 ans que son homme est à la maison. Ils ont deux beaux garçons d'une trentaine d'années. L'aîné chante, danse et joue de la guitare Caucasienne. Il fait de l'élagage acrobatique à Stuttgart en Allemagne et envoie de l'argent à ses parents. Au bain j'ai pu entendre les chants Caucasiens. Nous nous sommes donné RDV aujourd'hui. J'ai testé le peeling, je vais tenter le massage.
PS on construit partout à Tbilissi. Un ouvrier dans le bâtiment gagne 220 euros par mois. Il doit faire un 2ème travail pour vivre (s'il en trouve)