"Le Machu Picchu c'est surfait", "ça coûte cher", "c'est bondé de monde", ...
J'ai, le temps d'un instant, hésité à m'y rendre. Après toutes les choses incroyables que j'ai eu la chance de réaliser, cela vaut-il le coup de rejoindre les hordes de touristes qui se ruent vers la cité Inca ? Mais à la fois, passer à quelques kilomètres de la première merveille du monde sans m'y rendre, c'est totalement idiot non ? J'ai croisé bon nombre de voyageurs qui comme moi ont eu cette réflexion... et comme tous les autres j'ai décidé moi aussi d'y aller; mais différemment !
Il existe plusieurs façon de se rendre à la cité. La plupart des gens prennent un train, hors de prix, et arrivent tous en même temps devant l'entrée du site. D'autres, plus aventuriers, décident de passer par des treks de 3/4 jours avec des agences, à la manière dont j'avais fait le trek du Santa Cruz. Mais si certains chemins ont une restriction en nombre de places (comme le chemin de l'inca à réserver 6 mois a l'avance...), la plupart des autres ne sont pas soumis à limite et les agences se font un malin plaisir d'y envoyer plusieurs centaines de randonneurs par jour. Niveau aventure on a connu mieux.
Mais finalement un dernier élément a fini par faire pencher la balance. J'ai entendu parler de la petite sœur du Machu Picchu, mais n'accueillant pas plus de 10 personnes par jour. Cela s'explique notamment par le fait qu'elle est accessible seulement par un chemin difficile de 4 à 5 jours de randonnée. La visiter est rapidement devenu une obsession.
Mais voilà... une randonnée de 9 jours rejoint les deux cités, "el camino de los locos" (le chemin des fous), réputée randonnée la plus dure du Pérou. Et nous posons actuellement pied, totalement seuls, sur le premier mètre de ce sentier qui nous mènera en plus de 170km à l'un des plus beaux moments de ce voyage...
La veille du départ nous mangeons en compagnie de Francisco, à la chaleur d'une cabane en terre plutôt rustique. Ce péruvien de 72 ans ne les paraît pas. En pleine fougue de la jeunesse, il nous raconte des heures durant ses expériences de vie et ses secrets de longévité. Une réelle source d'inspiration. J'aime la façon dont il interprète notre voyage : un laboratoire de la vie, rempli d'expériences, et d'expérimentations.
Réveil vaseux au petit jour et déjeuner sommaire. Pas le temps de tergiverser, il est temps de partir. J'enfile mon sac, rempli d'eau, de nourriture et de matériel divers pour un poids d'environ 15kg. Dès la première montée, je me demande comment je vais pouvoir le supporter tout le long du chemin. Mais qu'importe on a voulu se mettre en difficulté et on peut dire que l'on est en plein dedans. Le jeu en vaut la chandelle. Arrivés au premier mirador la vue est encore une fois à couper le souffle. Les Andes comme je me les imaginais avant de partir. Des vallées sans fond recouvertes d'un vert profond et un ciel cotonneux s'accrochant aux sommets enneigés. Nous pouvons discerner de l'autre côté du fleuve le chemin que nous allons emprunter et il est vraiment effrayant. Le mieux à faire est de rentrer dans sa bulle et d'avancer, sans oublier de profiter au maximum de la montagne. Malgré cela la première journée est interminable. L'arrivée au crépuscule se fait dans la souffrance. Mais nous avons bien avancé et dès demain nous pourrons visiter la cité de Choquequirao.
Un plat de pâtes, sauce tomate, éclairé d'une faible lumière blanche nous redonnera le sourire. Le bonheur est souvent caché dans des choses simples. Nous partageons ce repas de fortune avec un anthropologue venu étudier la cité que nous visiterons le lendemain. Il partage avec nous une collection d'histoires et d'anecdotes sur la civilisation inca toutes les unes plus surprenantes que les autres. Nous rentrons sous nos tentes projetant dans nos rêves la vie foisonnante qui régnait ici il y a de ça 600 ans.
Quelques kilomètres de marche plus loin premier contact avec le Choquequirao. Nous le toisons avec respect. Il se découvre dans une épaisse forêt quasiment impénétrable. Il faut savoir qu'aujourd'hui seulement 30% du site est visible.
J'imagine les interminables terrasses découpant le flanc de la montagne. Quand le site sera complètement découvert, la vue sera d'autant plus impressionnante. D'ailleurs, d'ici quelques années, nous devrions voir fleurir dans la vallée un téléphérique qui permettra de faciliter l'accès au site. "La petite sœur" remplacera alors le Machu Picchu qui devrait fermer pour préserver le site du tourisme de masse. Aujourd'hui moins d'une dizaine de personne foule sa terre chaque jour, dans 5 ans ce sera peut être des milliers. Quand nous reviendrons ici durant nos vieux jours ici, on se fera un malin plaisir d'expliquer aux "petits jeunes" que nous avons foulé ces terres vierges avant même l'exploitation de la cité. Un petit côté explorateur qui n'a rien pour nous déplaire.
Durant toute la journée nous déambulons dans les anciennes bâtisses inca, en autonomie. Une liberté déroutante quand on voit la qualité du lieu. Pas un garde pour nous siffler, ni un touriste pour gâcher les photos. Nous avons même le luxe de planter la tente directement sur les terrasses agricoles. Quand je raconterai cela dans quelques années, personne ne me croira !
Dans la suite du circuit nous aurons la chance de visiter d'autres ruines, l'occasion de nous perdre dans les landes péruviennes à la manière d'aventuriers en quête de trésors. Et en effet, c'est une richesse incroyable qui se cache dans ces montagnes. Des orchidées aux couleurs et aux odeurs enivrantes, des arbres sortis tout droit d'un film, et le vol des condors au-dessus de nos têtes. Un bijou naturel.
Pour voyager loin il faut ménager sa monture ! Nous prenons donc au sérieux l'hygiène de vie durant ce trek. Et cela se traduit notamment sur les repas. L'eau frémit dans la casserole, le feu crépite. Nous sommes isolés au fond de la vallée à plusieurs jours de marche de la première route. Un bain nu comme un ver dans une vasque naturelle, un café à la main et un burrito "riz thon mayo" nous attend sur l'assiette. Le sentiment de liberté est à son apogée. Seuls les reliefs rocheux pour contempler cette scène avec une jalousie évidente.
Le lendemain nous passons le premier col. Sur le chemin inca, se trouvent les mines Victoria, ancien site d'extraction d'argent. Avec Alex en professeur géologue, l'occasion est trop belle. Nous laissons nos sacs le long du chemin, et nous nous enfonçons dans les obscurs couloirs qui semblent ne jamais se terminer. Parfois il faut presque ramper, passer sur de frêles poutres en bois pour traverser des trous que l'humidité, omniprésente, a creusés dans le cœur de la montagne. Un ancien rail de wagon retrace notre avancée dans la mine. Nous ressortons bredouilles mais le cœur rempli de sensations fortes.
Alors que nous reprenons la route le temps se couvre soudain. Nous avançons dans un épais brouillard vers le sommet. La température aussi chute brutalement. Mais au moment où nous passons la crête de la montagne, le spectacle qui s'offre à nous a quelque chose de divin. Nous marchons sur des parois à pic, les nuages en contrebas donnent l'impression que la montagne flotte au dessus du vide. Le soleil éclaire une nature foisonnante. La seule présence est celle de quelques chevaux broutant de l'herbe verte quelques mètres plus bas. On en vient à se demander si nous ne sommes pas morts dans la mine, et si finalement on ne serait pas arrivés au paradis. Je surprends Alex se pincer à quelques reprises. Finalement un péruvien viendra mettre fin à nos doutes, nous arrivons de nouveau à un village après 3 jours d'isolement.
Nous retrouvons la route. C'est le 5ème jour d'affilé où nous montons plus de 1000 m de dénivelé, c'est épuisant pour les organismes. Nous arrivons bientôt au point le plus haut de la randonnée. Dorénavant il ne reste presque plus que de la descente jusqu'au Machu Picchu. Une petite danse de la victoire pour fêter la fin de la difficulté. Il ne nous reste plus qu'à apprécier. Un repas partagé chez l'habitant le soir venu, une bonne bouteille de vin rouge chilien et nous sommes fin prêts à terminer cette dernière journée de marche.
Nous rejoignons le Salkantay, chemin de randonnée bien connu par les centaines de personnes l'empruntant chaque jour . Fin de la tranquillité, mais aussi la signification que l'objectif n'est plus très loin.
Le village d'hydroelectrica a quelque chose de monstrueux. C'est de là que part le train rejoignant le Disneyland péruvien, Aguacalientes. Sur le bord des voies ont émergé de nombreuses boutiques profitant des flots continus de touristes. Nous choisissons de marcher le long des rails, les 10 derniers kilomètres. Nous arrivons vidés de toute énergie mais pourtant nous ne pouvons nous empêcher de nous lancer un ultime challenge. Après 8 jours d'un défi personnel quotidien, nous émettons l'idée d'arriver les premiers au petit matin sur le site du Machu Picchu, complètement vide. Les premiers sur la première merveille du monde. Il faut avouer, c'est complètement fou.
3h30 le réveil sonne. La nuit a vite été écourtée. Quelques calories dans le ventre, une tasse de maté de coca, et nous courrons vers l'entrée des 1700 marches. Malheureusement nous sommes loin derrière les premières personnes qui se pressent devant la grille. Les portes en bas ouvrent à 5h. Les premiers bus mettent 30 min à monter en haut, nous devons être plus rapides si nous ne souhaitons pas nous retrouver derrière les photographes asiatiques. Challenge accepté. La montée est prévue pour 1h30 à 2h. Nous la terminons à bout de souffle en 26 min! Le gardien du Machu Picchu est même surpris de nous voir arriver si tôt. L'entrée est déserte mais pas pour longtemps, 5min après nous, débarquent les fameux cars. Nous l'avons fait. A 6h nous pénétrons dans l'enceinte. Courant et hurlant joie. On est partis il y a maintenant 8 jours et nous voilà au sommet du monde. Personne pour venir briser le mysticisme qui enveloppe le Machu. Même le brouillard nous laissera quelques minutes de répit pour profiter de la vue. Il ne pouvait en être autrement. Nous passerons 7h au total à arpenter les ruines. En fin de matinée le ciel se découvre totalement. Je pense pouvoir dire que nous avons vu la cité avec toutes les teintes que le soleil peut lui donner. Une chance rare. La présence protectrice de mon début de voyage ne m'a pas quittée !
Il est temps de rentrer vers Cusco. Nous nous remémorons les jours passés avec une nostalgie précoce. Quelle aventure ! L'accomplissement est total, on ne pouvait rêver de mieux. Un début en fanfare, des rencontres touchantes, une nature merveilleuse en solitaire et le final comme un feu d'artifice. Avec Alex et Guillaume nous allons bientôt nous séparer mais à chaque fois que nous nous reverrons, je sais que nous aurons ce regard de complicité si particulier, dans lequel transiteront des messages que seuls de véritables aventuriers peuvent comprendre.
40 jours au Pérou. Pourtant j'ai la sensation d'en avoir fait à peine la moitié. Nous l'avons réalisé au pas de course en laissant même derrière nous des lieux pour un deuxième voyage. Mais que ce fut intense !
Un début sur la plage, puis une croisière dans la forêt amazonienne, beaucoup de treks que ce soit dans la cordillère blanche ou l'apothéose au Machu Picchu.
Je ne regrette rien, et je suis content de l'avoir fait à ce rythme. Mais j'avoue qu'aujourd'hui l'envie de prendre le temps se fait ressentir. En Bolivie je vais quitter mes compagnons de voyage et pour la première fois me retrouver seul sur une longue période. Bien sûr que cela fait peur mais malgré tout je suis impatient d'entamer cette phase du voyage.
C'est vraiment dur d'avouer un tel constat, mais je suis un peu blasé des villes et des musées, et les paysages commencent à tous se ressembler, même s'ils n'en restent pas pour le moins incroyables. De plus le fait de vivre avec Guillaume et Alex, qui rentrent bientôt, me pousse à me projeter sur un retour en France.
Hier je viens de passer la date clé qui indique le milieu de mon aventure. C'est vertigineux de se dire qu'il me reste autant de temps à passer ici. L'envie d'un quotidien plus stable se fait donc ressentir. Se poser dans une ville, regarder une série, faire du sport, cuisiner, se faire des amis, apprendre le charango, conduire, boire du vin, pêcher, lire un livre, se faire un cadeau, en faire aux autres, prendre un bain, s'asseoir en terrasse, appeler ses amis, ... tant de choses simples que je ne prends plus le temps de faire. La suite du voyage sera donc moins dans l'accumulation mais plus dans la lenteur. J'insiste quand même sur le fait que je ne regrette rien de mon voyage. Je suis très heureux de ce que j'ai pu réaliser, l'évolution des envies étant un processus naturel que je n'ignore pas. Au contraire je prends un réel plaisir à le laisser s'immiscer dans mon esprit !
bravo les HOMMES , encore bravo... L'exploit sportif est impressionnant , que de souvenirs dans les valises . Mais ou trouves-tu le temps et la ressource physique pour écrire tout cela . C'est tout simplement BEAU et exceptionnel .Ton bouquin va se vendre comme des petits pains bio .Formidable séjour solitaire en Bolivie ; j'ai hâte . mille bisous . Ta plus grande fan .