Français naïf que je suis, j'ai tendance à prendre mon cas pour des généralités bien trop souvent. Sur le mode de transport, de nourriture ou bien encore... vis à vis de ma capitale : Paris. J'ai déjà entendu d'une oreille fuyante que Paris est "la plus belle ville du monde". Mais cela ne prend pas une réelle valeur tant qu'on ne le ressent pas depuis l'étranger. Et honnêtement Bogota a été le parfait exemple d'une capitale sans grand intérêt. C'est donc sans grande excitation que nous rejoignons Quito, de nuit dans le froid mordant de la deuxième capitale la plus haute du monde (2800m).
Naïf...
Le centre historique est empreint d'un fort héritage à l’architecture et aux couleurs coloniales. Bâti au XVIeme siècle sur les ruines d'une cité inca, il a été le premier site à être classé patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO, en même temps que les îles Galapagos ! C'est tout simplement le centre historique le mieux préservé d'Amérique du sud. La meilleure façon de le découvrir c'est sans doute de s'y perdre. Marcher dans les rues, découvrir les dizaines d'églises, cathédrales, musées, places, parcs, ... La seule limite à notre curiosité est sans doute nos jambes ! Pendant 3 jours nous avons pris le temps de déguster les ruelles de la ville sans jamais nous lasser.
Seulement un détail exacerbe d'autant plus cette beauté éphémère. Le plus haut et imposant volcan du monde, le Cotopaxi, jette son regard de braise sur la capitale. Réveillé en août 2015, il est sans doute le volcan le plus dangereux du monde dû à sa proximité directe avec deux millions d'habitants. Il est à Quito la plus grande source de fantasme. Il y a quelques années de ça, quand j'ai pris mes crayons de couleur pour la première fois, le volcan en forme de cône parfait que je dessinais représentait en fait ce volcan ! Culminant à 5900m, avec plus de 1000m de glacier, son ascension est possible mais très compliquée. La même obsession remplit alors mon esprit et celui d'Alex : le dompter. Mais avant cela faut-il encore supporter l'altitude et donc s'acclimater à cette ambiance... explosive !
Le Rucu Pichincha - 4700m
Le "Teleferiqo" nous propulse directement à 4000 mètres au dessus des océans. Dans le silence de la cabine nous regardons la ville s'éloigner petit à petit sous nos pieds. La pression est palpable, cette "petite ascension" est un réel test pour nous. Jamais nous n'avons posé pieds au dessus des 4000m. Des français expérimentés nous ont pourtant prévenus la veille : l'altitude les a empêchés de rejoindre le sommet (fatigue, essoufflement, nausées,...). Le vertige de la montagne nous gagne !
D'ici la vue de Quito est à couper le souffle. La ville étend sa domination au delà des montagnes. Le combat entre l'homme et la nature fait rage et nous ressentons pour la première fois que l'homme n'est pas celui qui est en train de triompher... Nous commençons à suivre le chemin, bizarrement très emprunté, menant vers les cimes du volcan éteint.
Le début est plutôt facile et relativement plat. Mais plus nous avançons et plus les marcheurs font demi tour. Bientôt les nuages rejoignent notre échappée et nous barrent la vue. Le chemin s'arrête net devant une paroi rocheuse à grimper. Nous sommes à une centaine de mètres de notre but et aucun symptôme du mal des montagnes ne se fait ressentir. La neige rejoint le bal, l'orchestre est au complet. Les mains sont froides et le vent joueur mais nous continuons d'escalader jusqu'au sommet.
Nous y sommes ! Bon pour la vue c'est pas vraiment une réussite. Le cratère est caché par un épais mur de brume... Mais qu'importe ! Nous y sommes et sans vraiment souffrir. L'instant est bête, être sur la crête sans pouvoir profiter du paysage, mais la sensation d'accomplissement prend le dessus. Une accolade, une salade de pâtes à l'abri des éléments et nous repartons pour Quito avec l'intime conviction que nous allons pouvoir continuer notre acclimatation...
La boucle de Quilotoa - 4000m
Dans notre auberge, une oreille qui traîne et nous voilà partis vers notre prochain objectif ! Un couple autour d'une discussion nous a laissé entendre que la boucle de 3 jours rejoignant le volcan immergé de Quilotoa possède les plus beaux paysages d'Equateur... Il ne nous en faut pas plus pour sauter dans le prochain bus.
Ce dernier nous dépose dans un village en dehors de toute réalité européenne. Perdus dans les Andes, seulement armés d'une carte et d'une volonté inflexible nous nous enfonçons progressivement dans ce cadre naturel écrasant de pureté. Le long des canyons nous progressons, croisant tour à tour de jeunes voyageurs de différentes nationalités. Un petit mot échangé dans la langue de Shakespeare, quelques kilomètres partagés et nous voici arrivés à notre auberge.
Malheur !! Nous n'avons pas pris la peine de réserver et tous les dortoirs sont occupés... Pas de soucis, un petit sourire d'Alex à la réceptionniste et cette dernière nous fait bénéficier d'une chambre postée en haut de la montagne, dans une cabane en bois avec baie vitrée et poêle à bois pour le même prix. Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises ! L'auberge nous propose un Cocktail en happy hour dans le bouillon d'un spa. Ni une ni deux, nous enfilons nos maillots de bain pour siroter nos boissons en compagnie des marcheurs plus tôt rencontrés. Le soir, le repas est servi pour tout le monde dans la salle commune sur un fond de musique rock/jazz. Quel bonheur de manger un repas d'un telle qualité et équilibré ! Un concert au coin du feu finira cette soirée en apothéose. Alex et moi sourions du moment simple mais terriblement beau.
Les jours suivant nous continuerons à croiser nos amis de la veille. Au fur et à mesure que nous prenons de la hauteur les paysages se subliment. L'arrivée au pas de course en haut du volcan est à peine croyable. Le ciel bleu de midi nous offre un spectacle de couleurs, de reflets et d'ombres. L'eau piégée dans le cœur du volcan possède plusieurs teintes de verts et une surface que le balai du vent vient rider et lisser. Je repense à cette fille à l'auberge qui nous disait avec aplomb que cette randonnée était la plus belle de toute sa vie... je ne peux pas vraiment la contredire. L'ivresse de ce diamant naturel nous prend et nous pousse à marcher encore, et encore. Nous descendons dans le cratère, remontons jusqu'au sommet, complétant la boucle entière du volcan. Assis sur la roche volcanique et les pieds dans la lave transformée en eau il nous faut repartir. Sur une note de nostalgie nous laissons derrière nous le spectacle que le coucher du soleil offre sur les flancs de Quilotoa. Mais une dernière étape nous attend le lendemain et il nous faut nous reposer...
La main d'Alex secoue mon duvet. Il est 23h, l'heure de se réveiller pour partir à l'attaque du géant. La nuit dans le refuge fut courte. Le bois grince sous les attaques perpétuelles du vent et l'appréhension a agité mon sommeil. Nous avalons un bout de pain, un peu de maté de coca et nous enfilons l'équipement : crampons, piolet, casque, lampe frontale, pantalon et veste de haute montagne, ... tout y est !
00h - Notre guide ouvre la porte en bois du refuge situé à 4800m d'altitude, nous le suivons d'un pas incertain. Les derniers à avoir tenté l'ascension n'ont pas atteint le sommet. La météo n'étant pas clémente à cette période de l'année rien ne permet d'assurer notre réussite. Seulement 30% parviennent à gravir les quelques 5900m qui font de ce volcan un mythe. Pourtant cette nuit est bien différente.
Les crampons s'enfoncent dans la glace et je lève les yeux au ciel. Ce dernier est complètement dégagé. Sergio le guide insiste bien sur le fait que pour arriver au sommet nous devons profiter au maximum de la montagne, rien de plus simple ! Les étoiles, les lumières de la ville de Quito et les cristaux de glace reflétant la lumière des frontales scintillent dans le noir absolu. Nous entamons la montée.
Les premières heures sont relativement faciles. La lune se couche à l'horizon et nous attendons avec impatience la montée du soleil. Cependant le guide refroidit rapidement notre enthousiasme : nous n'avons gravi que 300m de dénivelé sur les plus de 1100m au total. Le temps semble être une éternité. Je me risque à demander à Sergio notre progression, mais les réponses me paraissent tellement démesurées compte tenu de l'effort fourni. Je décide de me taire et d'avancer en silence. Les bruits de l'acier de nos piolets et crampons viennent briser cette marche sourde. Le vent est particulièrement fort cette nuit. Le guide lui-même souffre des bourrasques qui viennent sans cesse briser notre équilibre. C'est épuisant. Les premiers groupes rebroussent chemin car ne supportent pas l'altitude. La douleur essaye de s’immiscer dans ma tête mais je me refuse à céder. Le rythme est bon, le souffle suit, et les jambes tiennent. La constellation de la grande ourse pointe son nez et je suis son parcours dans le ciel pour tenter d'accélérer l'horloge. Nous n'avons plus conscience de l'heure ou du chemin parcouru. Une barre de chocolat, une blague, une tasse de thé pour adoucir la morsure du froid et les gifles du vent sur nos visages. Alex souffre aussi mais ne flanche pas. C'est un travail d'équipe que nous réalisons en ce moment, et cela forge entre nous un lien qu'aucun n'a envie de briser. Sans lui je ne crois pas que j'aurais pu continuer.
Tout d'un coup, une odeur bien connue vient me tirer de ma torpeur : le vent vient d'apporter à mes narines quelques particules de souffre. Habituellement je n'aime pas cette odeur, mais à ce moment là, qu'est-ce-que c'est bon !!! Le cœur du volcan nous souhaite la bienvenue. Je lève la tête et aperçois les premiers rayons qui viennent lécher les flancs de la montagne. Nous arrivons au sommet.
Il ne reste que quelques mètres mais je contiens l'excitation naissante. Trop de retours d'expériences ont montré que les grimpeurs s'arrêtaient à quelques mètres de leur but : ce sont dans les derniers pas que l'équilibriste tombe de son fil. Le mal de tête s'estompe et j'entraperçois Alex esquisser un sourire de victoire. L'odeur devient de plus en plus forte et nous parvenons enfin à la fin de l'aventure.
Toutes ces randonnées, ces marches d'acclimatation pour ce moment. Et nous le franchirons ensemble. Le spectacle qu'offre le lever du soleil sur la mer de nuages est un souvenir que je ne pourrai jamais oublier. Les deux amis se sont lancés un défi à la hauteur de leur démesure et profitent de ce moment magique. Juste le temps de prendre quelques photos et il nous faut déjà redescendre. Les gaz et l'altitude ne sont pas très bons, et il nous faut des forces pour rejoindre le refuge.
Dans une souffrance physique et mentale nous terminons la descente. Les muscles et les appuis sont sur le point de lâcher à chaque impact, et le manque de sommeil commence à se faire ressentir. L'excitation est retombée, le moment est ingrat. Je ne m'étais pas vraiment préparé à cela. Nous arrivons enfin sur les coups de 8h au point de départ.
Quelle expérience ! Je ne recommencerai pas si vite, Alex non plus. Mais nous comprenons tous deux la sensation d'accomplissement que procurent de telles ascensions. Le Cotopaxi s'est laissé vaincre aujourd'hui et retourne se cacher derrière une épaisse protection de nuages. Nous le regardons une dernière fois depuis l'arrière de la voiture, épuisés mais avec un immense respect pour ce volcan qui restera quoiqu'on puisse dire indomptable.
Ca alors. Honnêtement, même connaissant les deux énergumènes et les aventuriers que vous êtes, je n'aurai jamais parié sur cette ascension...
Vous m'avez bluffé là !
"C'est un travail d'équipe que nous réalisons en ce moment, et cela forge entre nous un lien qu'aucun n'a envie de briser. Sans lui je ne crois pas que j'aurais pu continuer."
C'est une chance de pouvoir partager des moments aussi forts tous les deux, profitez en bien.
J'attend un roman de cette aventure Léo à la fin, ce blog ne nous suffira plus !
Une grosse bise à tout les deux.
Un admirateur bien envieux.