-"Lago Agrio ?"
"-Si Senor, siga siga por favor, nos vamos !"
Nous sautons dans le bus sans réellement réaliser où nous nous rendons. Nous avons réservé avec Guillaume un séjour dans l'Amazonie primaire. L'excitation est débordante et la route escarpée ce qui rend la nuit dans le bus fort peu agréable. La tête collée à la vitre, le jour se lève enfin et le soleil vient révéler les paysages que la nuit se gardait jalousement. La forêt. Je l'ai fantasmée durant toute la nuit. Comment sera t-elle ? Dense ? Hostile ? Touristique ? Surfaite ?
Ma première impression est assez inattendue. "Finalement ce ne sont que des arbres". C'est vrai que le sentiment de dépaysement n'est pas celui que j'escomptais. Même l'arrivée dans notre lodge perdue le long du fleuve Cuyabeno ne me transporte pas. Et je ressens la même réserve du côté de Guillaume. Mais l'important est là : nous y sommes. Après 18h de voyage et de négociations il est temps de partir explorer la forêt.
Après avoir englouti notre almuerzo nous faisons la rencontre de notre guide, Javier. Javier c'est le type d’équatorien très agréable et gentil dans une enveloppe trapue et imposante. Le genre de mec à qui on s'attache dans une série télévisée et qui meurt héroïquement en sauvant le salaud du groupe... Javier nous tend deux pagaies et nous rejoignons la pirogue amarrée sur le ponton de la lodge. Sans moteur, il est plus facile de se déplacer discrètement et d'observer les animaux. Je me place à l'avant de l'embarcation, la vue m'offrant un paysage qui petit à petit commence à m'émerveiller.
Imaginez vous.
L'air est chaud et humide. Le soleil écrase l'atmosphère de ses rayons. A l'ombre des arbres nous avançons dans l'eau froide du fleuve. Le bruit des rames répond aux bruits de la vie, la vraie. Pas celle du vacarme citadin, la vie sauvage de la forêt qui grouille. Insectes, oiseaux, singes. L'orchestre nous offre une harmonie aux variations digne des plus grands compositeurs. Je me plais à avancer muet dans cette musique. Mes yeux scrutent le rivage à la recherche de la moindre trace de mouvement. Chaque tronc se transforme dans mon imaginaire en ébullition en un puissant alligator. Soudain une silhouette vient de fendre la surface du fleuve. Une tête dépasse. Serait-ce le fameux reptile ? Je fais signe à Guillaume. Nous accélérons le rythme pour rattraper l'animal sauvage. Une loutre! L'excitation retombe mais d'après Javier nous avons beaucoup de chance d'observer le mammifère.
Une des activités que j'attends le plus de cette expédition est sans doute la pêche aux piranhas. Dans un bras de rivière un peu plus calme nous immobilisons l'embarcation et notre guide nous tend 2 cannes à pêche en bambou, et un peu de viande. Aussitôt l’hameçon plongé dans l'eau, une multitude de coups viennent s'enchaîner autour de l’appât, je tente de ferrer... mais trop tard ! La viande a été totalement déchiquetée par les poissons. Ne perdant pas espoir je replonge une nouvelle fois ma ligne. Je ne pensais pas qu'il pouvait y avoir autant de vie sous la surface de ces eaux troubles... d'autant que je m'y suis baigné il y a à peine quelques heures ! Cela fait froid dans le dos. Après quelques heures de bataille acharnée, Guillaume et moi aurons sorti de l'eau les seuls piranhas de la journée ! De quoi flatter nos égos d'aventuriers.
Nous sommes à environ 1h du campement et la nuit est tombée sur la forêt. L'ambiance est totalement différente. Les bruits des toucans ont laissé place à ceux des chouettes, et les reptiles sortent chasser tandis que les singes hurlent. C'est impressionnant ! Les frontales sur le front, Javier nous invite à scruter le bord du rivage. Le reflet des lumières dans les yeux des animaux nyctalopes met en exergue dans la nuit deux points rouges.. J'avais tendance à imaginer la jungle comme un zoo grandeur nature, mais finalement j'aime réaliser qu'il est difficile d'observer les animaux malgré tous nos efforts ! Le moment fugace où nous arrivons à en surprendre un dans son habitat, rend cela encore plus intense. Nous observerons ainsi une poignée de caïmans, sans jamais pouvoir réellement en approcher un.
De retour à la lodge, Guillaume et moi sommes comme deux enfants, engloutissant le repas en quelques minutes pour chausser nos chaussures et partir nous enfoncer de quelques centaines de mètres dans la jungle. Le vacarme est encore plus saisissant que depuis la barque ! Et puis l'on se sent beaucoup plus vulnérable que dans un bateau. Les yeux rouges des singes nous scrutent depuis la cime des arbres, les araignées s'échappent sous nos pieds et les feuillages bruissent à quelques mètres de nous. J'avoue que j'ai peur, mais ce sentiment animal primaire a quelque chose de plaisant. Cela me rappelle les chasses au Dahu dans la forêt des Landes, mais cette fois je sais que ce n'est pas mon père qui se cache derrière les buissons... Nous ne tardons pas à rentrer nous coucher, heureux de retrouver la lumière humaine, mais ravis de cette expérience sensorielle.
5h30. J'émerge rapidement, avec l'envie de découvrir les surprises que nous réserve cette nouvelle journée. Javier nous attend sur le ponton avec les rames pour partir découvrir le lever du soleil sur la canopée. Sur une même partie de jungle nous avons ainsi pu observer l'évolution de l'atmosphère au long de la journée! Je crois que c'est un de mes moments préférés. D'un commun accord, personne ne parle pour profiter du chant des oiseaux. Les lumières et le jeu d'ombres sont splendides. Dans l'humidité du petit matin, nous nous arrêtons au bord de la rivière pour observer quelques animaux. Capucins, Holy Monkey, Toucans. Les quelques vidéos décriront mieux l'ambiance de l'aurore que je ne puis le faire.
Finalement c'est bien plus que "de simples arbres".
Dernière partie de notre programme, nous partons en bateau (motorisé cette fois), découvrir la laguna grande. 3h de pirogue pour rejoindre cette étendue d'eau regroupant une richesse écologique unique. Descendant le fil de l'eau la forêt s'épaissit au fur et à mesure que nous nous enfonçons dans la réserve Cuyabeno. Nous y verrons tout un florilège de singes de différentes espèces. A vous de les trouver sur la vidéo !
Après quelques heures de navigation, le décor se découvre enfin. L'immensité de ce bosquet inondable contraste avec l'étouffement de la jungle. Comment un tel lieu a t-il pu être créé ici ? Actuellement en période sèche, le niveau de la lagune est très bas, nous n'aurons pas la chance d'observer les dauphins roses qui habituellement viennent jouer avec les pirogues. Les arbres que vous voyez sur les photos sont habituellement complètement inondés !
Néanmoins ici nous apercevons de nombreux caïmans d'environ 3 mètres de longs. Je comprends la fascination des cultures pour cet animal terrifiant... Et je ne suis pas au bout de mes peines ! Notre guide accoste le long d'une plage. Il y a quelques jours, ici, un autre groupe a pu voir un anaconda géant. Et nous partons à sa recherche.
Nous nous enfonçons dans la forêt, où cette fois-ci aucun chemin n'est ouvert. Sautant de branches, en branches avec Guillaume dans un bosquet d'arbres aux courbes psychédéliques, l'immersion est totale ! Nous arrivons enfin au fameux étang, habitat de l'anaconda. Celui-ci n'a plus l'air d'être là... déception. Mais nous remarquons dans un cours d'eau voisin le passage d'un immense reptile dans le lit de la rivière, laissant derrière lui une marque imposante dans les sédiments. Ni une ni deux, nous traquons la bête dans la forêt. Je peux vous dire qu'on ne pouvait pas plus nous faire plaisir ! Le chemin sinueux nous mène jusqu'à une souche d'arbre couchée sur le sol, creuse. Le guide nous indique que l'anaconda est certainement caché à l'intérieur, mais que certains étant venimeux, il ne vaut mieux pas jouer à le débusquer. Mais qu'importe ! L'essentiel est là. Même sans voir le reptile j'ai eu l'intime conviction de l'approcher l'espace d'un instant.
Une baignade dans la lagune est prévue en fin de journée. Je m'inquiète auprès de Javier de la présence de caïmans. Il rigole à cœur joie de ma crainte et me répond : "nos veremos". Il prend son élan depuis la plage et saute en plein milieu de lagune. Nous ne tardons pas à faire de même. Quelle journée !
Nous rentrons de nuit avec la pirogue pour récupérer notre bus. J'ai envie de rester encore plus longtemps ici, mais finir sur une journée comme celle-ci nous semble cohérent pour Guillaume et moi. Dans la nuit, je descends de la barque avec nostalgie pour rejoindre la route. Je sais que j'y reviendrai, au Pérou dans quelques semaines. Cela m'apaise. Le bus arrive et j'en profite pour me caler sur mon siège. Le regard dans le vide :"finalement c'était bien plus qu'une simple forêt".