On avait prévu de faire le trek « W » du parc Torres del Paine (prononcé « Païné ») en 4 jours et 3 nuits d’Ouest en Est. Il paraît que dans ce sens il y a plus de descentes que de montées et cela permet de terminer par le plus beau : les trois pics de Torres et son lagon bleu-vert.
Toute la partie préparation est expliquée dans l’étape précédente « Puerto Natales ».
C’est parti pour le « W » alias Wilson pour les 4 prochains jours seul(s) au monde.
Petite précision : on aime bien donner des petits noms à tout ce qui nous entoure, alors ne soyez pas surpris au cours de la lecture :)
JOUR 1 - 31 janvier 2019 :
Puerto Natales -> Laguna Amargua
Départ matinal, on prend le premier bus qui part à 7h du terminal.
On met environ 2 heures à rejoindre l’entrée du parc national au Laguna Amargua. Tout se déroule bien, on s’acquitte du prix d’entrée, on montre nos justificatifs d’hébergement et on obtient « LA » carte avec les indications des distances et temps entre chaque étape, les dénivelés, les heures de lever et coucher du soleil, etc. Bref, notre Graal pour ces 4 prochains jours.
Laguna Amargua -> Refuge Paine Grande (orange sur la map)
Comme on commence par l’Ouest, on reprend un bus qui nous emmène à l’embarcation du catamaran à Pudeto. Le bateau ne part que dans 1 heure donc on attend dehors en compagnie d’un vent violent et glacial.
Le catamaran traverse le Lago Pehoé pendant environ une demi-heure. On arrive dans notre premier Refuge Paine Grande à 12h.
On se dépêche de poser nos affaires et surprise : on est surclassé ! Ici, ça équivaut à avoir un oreiller et des couvertures, et surtout on est dans une petite pièce mais que tous les deux en amoureux. On pense qu’ils ont attribué leurs lits premium libres aux premiers arrivés.
Du coup, nos oreillers gonflables et sacs de couchage ne nous serviront à rien, mais on devra porter leur poids quand même. Un bien pour un mal ou un mal pour un bien, tout dépend le point de vue.
Refuge Paine Grande -> Glacier Grey (rouge sur la map)
Distance théorique : 11 km aller
Distance réelle : 21,2 km aller-retour (demi-tour au 8e km théorique)
On décolle du refuge vers 12h30, on a normalement une demi-journée pour aller jusqu’au Refuge Grey et revenir en longeant le lac du glacier Grey.
Le temps de plus en plus pourri ne nous facilite pas la tâche. On a froid et on peine à marcher car on doit se battre avec un vent de face qui nous oblige à doubler nos efforts pour avancer. Sur les hauteurs, à découvert perchés sur les rochers, le vent nous stoppe en plein vol et nous empêche de respirer.
Le moral est moyen, le sentier est quasiment qu’en pierres et cailloux et il y a pas mal de dénivelés. La végétation est triste, morne et désolée, les arbres sont blancs et morts. On apprendra par la suite que cette partie du parc a été détruite par un des pires incendies forestiers du Chili entre fin décembre 2011 et janvier 2012. C’est tellement dommage, ça devait être si beau avant cette catastrophe…
L’ascension jusqu’au premier mirador est éprouvante. Devant un panneau de progression, on se rend compte que les km annoncés sont probablement calculés à vol d’oiseau car ils ne correspondent pas aux km réellement parcourus. On commence à se demander si on pourra faire l’aller-retour avant la tombée de la nuit.
Sonnés par le vent et par cette découverte, on grimpe maladroitement sur le rocher qui offre une vue sur le glacier Grey et ses icebergs bleus flottants tout autour. On profite du panorama et de la pause pour reprendre notre souffle avant de repartir.
Aux 3/4 du trajet pour rejoindre le Refuge Grey, cela fait 5h qu’on marche et on décide de faire demi-tour pour éviter de rentrer trop tard.
Pour le retour, le vent cette fois dans le dos nous donne des ailes et on file à toute vitesse. On arrive vers 19h30 à notre refuge pour manger notre super dîner : de la purée lyophilisée et un plat préparé à réchauffer au micro-onde.. En plus d’être triste, c’est dégueu !
Avant de dormir, on prépare nos sandwichs pour le lendemain midi. Une tempête se lève dehors et fait trembler la vitre de la fenêtre. On compatit pour nos camarades dehors dans les tentes de camping du refuge.
JOUR 2 - 1er février 2019 :
Distance théorique : 16,5 km (7,5 km Campement Italiano, 4 km aller-retour Mirador Vallée Francès, 5 km Refuge Cuernos)
Distance réelle : 21,2 km
Refuge Paine Grande -> Campement Italiano
Le matin en quittant le refuge, on aperçoit une maman renard et ses 2 petits qui se chamaillent. Le personnel du refuge nous dit qu’ils sont là tous les matins pour venir fouiner dans les poubelles des campeurs une fois que tout le monde est parti.
On entame la route jusqu’au Campement Italiano avec notre packtage. Le sentier alterne plat et dénivelés raides, forêt, buissons et caillasse. On passe devant Angela, la montagne aux 3 granites de couleurs différentes.
Il fait beaucoup plus beau et le vent s’est calmé. La végétation ici n’a pas brûlé et lorsqu’on longe le Lago Skottsberg les panoramas sont juste magnifiques.
Quand on arrive au campement, un espace est dédié pour poser son sac à dos avant de se diriger vers le mirador Vallée Francès puis le mirador Britanicó encore plus haut.
Campement Italiano -> Mirador Vallée Francès -> Campement Italiano
L’ascension vers le premier mirador, c’est principalement des cailloux, petits et gros. Presque tout au long de la montée, on a une vue sur le glacier Francès et sur les lacs turquoises, le panorama est fou !
On traverse des ruisseaux, rivières et cascades. Dès qu’on peut, on en profite pour remplir nos gourdes de cette eau fraîche et pure.
On arrive vers 13h30 au mirador et comme de nombreux autres randonneurs, on s’y pose pour déjeuner. On a une vue en 360° sur le glacier Francès, les lacs et Angela. On est totalement sous le charme.
La neige couchée sur les pics noirs du glacier est balayée par le vent, s’envole et se confond avec les nuages. Les glaces bleutées agrippées à la roche viennent fondre en cascade et se déverser dans la neige au pied du glacier.
En discutant autour de nous, on apprend qu’il faut minimum 3h aller-retour sans pause et avec un bon rythme pour aller au mirador Britanicó.
On est un peu dégoûté car le commercial de Fantástico Sur nous avait dit qu’entre les Refuges Paine Grande et Cuernos on aurait le temps de monter jusqu’au mirador Britanicó.
Sauf qu’en réalité, celles et ceux qui y vont prennent une nuit au Camping Francès à côté pour faire l’aller-retour avec les deux miradors en une journée. Ceux qui venaient de Paine Grande comme nous ne faisaient que le premier mirador.
On a donc décidé de redescendre au Campement Italiano pour ensuite prendre la route et rejoindre le Refuge Cuernos.
Campement Italiano -> Refuge Cuernos
On récupère nos sacs et on entame les 5 km derniers théoriques. C’est principalement de la descente et les pentes sont raides. On se félicite d’avoir choisi de faire le « W » d’Ouest en Est en croisant des randonneurs rouges et haletants dans l’autre sens.
Un peu avant d’arriver au refuge, on longe une jolie plage de galets blancs, gris et noirs. On s’y repose un peu, le bruit des vagues douces est apaisant.
On arrive vers 18h au Refuse Cuernos, on s’installe dans notre dortoir de 8 lits et on fait connaissance avec nos colocataires. On profite de notre demi-pension avec un dîner qui nous fait presque oublier celui de la veille. On papote avec nos voisines de table, deux néo-zélandaises adorables. On rencontre aussi des québécoises et une famille d’américains.
Chaque échange est ponctué des mêmes questions : « Vous venez d’où ? », « Camping ou refuge ? », « Quelle est votre ancienne/prochaine étape ? », « C’est comment tel ou tel passage ? ». Parfois on en vient aussi à échanger sur nos vies, boulots, projets. Chaque rencontre est un vrai plaisir.
On prépare nos sandwichs pour le lendemain et on se fait une petite partie de Jenga en amoureux avant d’aller se coucher. Inutile de préciser qui a gagné à chaque fois quand on connait les deux mains gauches de Lola…
JOUR 3 - 2 février 2019 :
Avec seulement 11,6 km à faire d’un refuge à un autre, cette journée devait être la plus simple et pourtant…
Distance théorique : 11,6 km
Distance réelle : 15 km
Refuge Cuernos -> Refuge Torres Central (matinée)
La matinée commence par une pente raide de chez raide, qui nous en fait bien baver mais qui nous amène à un mirador absolument magnifique. Perchés sur une immense falaise rouge brique, on reste un bon moment à admirer le lac turquoise qu’on a surnommé « Rorschach » du fait des ombres des nuages sur le lac.
On croise de nouveau les néo-zélandaises avec qui on papote un peu. Il règne une ambiance agréable et conviviale entre tous les randonneurs, c’est un vrai bonheur !
Le soleil grimpe dans le ciel et commence à taper de plus en plus fort. On troque nos manches longues en laine pour des t-shirts, nos réserves d’eau fondent comme neige au soleil.
Si on a détesté le vent le 1er jour, là il nous a bien manqué avec cette chaleur à creuver. On ne se doutait pas qu’on vivrait une canicule à Torres del Paine, on avait plutôt prévu des vêtements chauds et contre la pluie.
Viennent s’ajouter des problèmes de sacs à dos. Le daypack de Lola qu’on avait blindé pour prendre plus de poids lacère ses épaules et aisselles à cause des bretelles ultra-fines.
François en mode MacGyver trouve un système pour épaissir les bretelles, mais ça soulagera seulement un temps. Quand Lola commence à ne plus sentir ses bras et ses mains, on décide à regret d’attacher son daypack au sac à dos de François. Lola tentera d’attacher autour de sa taille un maximum de choses lourdes.
La journée devient de plus en plus éprouvante et on est encore loin… Les nombreux arrêts nous ont fait perdre beaucoup de temps.
Refuge Cuernos -> Refuge Torres Central (après-midi)
Sur la route, on est contraints de traverser une nouvelle rivière mais plus importante que les précédentes. À tel point qu’on est une dizaine de part et d’autre de l’eau à essayer de trouver comment passer.
À la guerre comme à la guerre, on emprunte un passage sur des cailloux mais les pieds dans l’eau. Pas de chance, François se fait tremper et doit vider ses chaussures et changer de chaussettes. Lola de son côté a réussi à garder les pieds au sec !
Allez, c’est reparti ! On marche pendant plusieurs km en passant à côté des montagnes Igor et Vladimir puis on arrive dans une vallée. Une vallée improbable. Chaque colline nous révèle un paysage complètement différent en alternant : lac, mars, désert, steppe, verdure. On passe du rouge, au noir, au jaune, au vert, c’est captivant !
Au loin on aperçoit des habitations, on jubile littéralement, la fin est proche !! On crame nos dernières forces, François souffre du poids du sac, la chaleur étouffante ne nous quitte pas. Mais en arrivant, on se rend compte qu’on est seulement au complexe hôtelier, le refuge est 2km plus loin…
Ces 2 km sont in-ter-mi-na-bles, on est à bout de force. François se bloque l’épaule et il commence à sentir son bras s’engourdir sous les bretelles du sac à dos.
Quand on arrive au refuge, on est pas triomphants, non non, on est titubants et on peine à parler à la réception.
Refuge Torres Central
Une fois installés dans nos dortoirs, on partage une bière avec des londoniens qui viennent de faire l’aller-retour jusqu’aux 3 célèbres pics Torres, ce qu’on doit faire demain. C’est leur premier jour de trek, ils sont en pleine forme, sportifs et ont mis 8 heures A/R.
Comme ce sera notre dernier jour de trek, on devra récupérer près du refuge le bus de 19h vers Puerto Natales. Avec la fatigue des 3 derniers jours et notre petit niveau de randonnée, on décide de prévoir HYPER large et de décoller à 6h du matin !
On dîne rapidement et pendant qu’on prépare nos affaires, le refuge tombe en panne électrique, il n’y a plus de lumière ni de courant. On branche tout au cas où ça reparte dans la nuit et on se force à aller dormir à 21h30.
JOUR 4 - 3 février 2019 :
Distance théorique : 17 km
Distance réelle : 27,6 km
Refuge Torres Central -> Refuge Chileno
Le réveil à 5h, ça pique ! Il fait nuit noire, le refuge est plongé dans l’obscurité car la panne de courant n’a toujours pas été réparée. Comme on avait demandé, un petit déjeuner déjà prêt nous attend, on mange dans le noir et dans un silence presque pesant.
Le jour commence à se lever doucement. Il est 6h15, c’est parti ! Il fait encore très frais, c’est calme et on croise pleins d’animaux dont des énormes lièvres et des renards.
Après être repassés devant le complexe hôtelier, on prend la direction des 3 pics Torres et on entame ce qu’on savait être la première épreuve : une montée bien raide jusqu’à l’étape du Refuge Chileno.
Clairement, la pente à 45 degrés sur le flanc de la montagne nous met la misère, on grimpe sans réfléchir en mode zombie. En partant, on pensait mettre le double de temps pour monter, soit 4h.
Arrivés au refuge Chileno, on en revient pas : on a mis 2h comme annoncé ! C’est bien la première fois qu’on arrive à respecter le temps théorique, du coup on est aux anges ! Il est 8h du matin et il fait pas encore trop chaud. La seconde épreuve nous attend dans plusieurs km : l’ascension vers les 3 pics : Las Torres de Granito.
Refuge Chileno -> Las Torres de Granito
On continue le sentier qui s’enfonce dans la forêt et longe des rivières. On est à l’ombre ce qui nous évite les premières chaleurs du soleil. On dépasse et on se fait dépasser plusieurs fois par des belges flamands adorables avec qui on sympathise bien.
On arrive à un point de vue avec des panneaux d’informations de géologie. Sur le moment, on a pas compris que c’était le fameux point de départ de l’ascension des derniers km vers les 3 pics Torres, qu’on a surnommés « Bailey, Meredith et Callie ».
On a tout de même rapidement compris en voyant le sentier devenir de plus en plus caillouteux et incliné. On sort de la forêt progressivement, il est 10h et le soleil commence à bien chauffer.
On se retrouve ensuite en plein soleil pour grimper des énormes cailloux pendant environ 1h. On a plus de jambes, plus de force, mais l’adrénaline et la motivation nous permettent de continuer d’avancer. Le sentier n’en est même plus un, on se repère qu’avec les petits poteaux oranges qui dépassent de la caillasse et indiquent la direction.
Las Torres de Granito
C’est vers 11h qu’on arrive enfin en haut, on a le souffle court et coupé : 3 pics qui se dessinent sur un ciel bleu parfait avec un lagon de cette couleur bleu-vert incroyable. C’est juste magnifique !
On est seulement une vingtaine donc on ne se presse pas pour faire des photos. On mange tranquillement face à Bailey, Meredith et Callie TORRES. Mais de plus en plus de monde commence à arriver, car cette partie du « W » est accessible sous forme d’excursion à la journée depuis Puerto Natales.
Rapidement ce lieu calme et serein devient bondé de touristes avec l’incivilité qui va avec. Avant de repartir, on veut faire quelques photos au bord du lagon, mais les rochers sont pris d’assaut par des touristes qui ne veulent pas lâcher un cm.
À tel point que quand on demande gentiment 5 minutes sur le rocher, on a droit ni à un regard, ni à une réponse, juste une ignorance désinvolte. Sympa. Du coup on doit escalader des rochers pour s’éloigner et être tranquille.
Las Torres de Granito -> Refuge Chileno
On pensait avoir fait le plus dur ! Mais c’était sans compter nos corps qui se sont relâchés après avoir atteint le but ultime du Torres de Granito.
Du coup, peu de temps après avoir entamé le retour, Lola glisse et se blesse à un genou puis plus tard re-glisse et se blesse à l’autre. C’est pas comme si les genoux n’étaient pas essentiels en descente…
François s’y met aussi et fait une belle glissade sur les fesses et s’égratigne le bras. Le retour est finalement plus long et plus douloureux.
Mais, dans notre souffrance on se félicite d’être parti si tôt le matin en croisant une quantité astronomique de touristes (environ 400 personnes, oui oui !). Ils ont l’air complètement en souffrance car ils sont partis bien plus tard et on fait toutes les montées sous le soleil et la chaleur.
De plus, ils vont se retrouver tous agglutinés tout en haut. Beaucoup de personnes nous demandent essoufflés combien de temps il leur reste avant le sommet. Plus on descend, plus ça devient délicat de répondre car le moral joue un rôle énorme et annoncer qu’il reste 2h alors qu’ils pensaient être arrivés, ça pique !
Dès qu’on revient sur un sentier plus plat, on scotch sur François notre pancarte « We sale our sticks » (« On vend nos bâtons »), ce qui fait beaucoup rire les personnes qu’on croise. Mais en même pas 15 minutes, on tombe sur 2 jeunes filles ravies qui nous les achètent 50% du prix d’achat. C’est parfait : on est débarrassé de nos bâtons et on récupère des sous !
Refuge Chileno -> Refuge Torres Central
On se fait une petite pause au Refuge Chileno et on y rencontre un couple de français super sympa.
On entame la redescente finale et les 5 derniers km sont insoutenables. On a mal partout, il fait encore une chaleur intense et la fatigue atteint son maximum. On est au bord des larmes d’épuisement.
Quand on arrive enfin vers 17h, on est sous le choc, on réalise pas que ça y est, on a réussi !!!! On retrouve les 2 belges rencontrés le matin avec qui on partage notre dernière bière de Torres del Paine.
Refuge Torres Central -> Laguna Amargua (en orange sur la map)
Notre packtage sur le dos, on récupère à 19h la navette qui nous emmène à l’entrée du Parc National pour prendre le bus direction Puerto Natales.
Quand on arrive à notre auberge, la sensation est complexe : un mélange d’épuisement, de bonheur, de douleur, d’accomplissement, de fierté, d’émerveillement et de dégoût d’avoir trop marché.
Mais ce rêve, on l’a réalisé, ensemble ! Et ça, c’est gravé à jamais !
BILAN : Un épreuve physique et un rêve qui se réalise
Distance théorique : 56 km
Distance réelle : 85 km