Entre temps l'Alliance a déménagé dans un endroit très sympa en centre ville. Marina m'attendait à la descente du wagon. Une délicate attention. J'ai retrouvé le même hôtel, la même chambre,les mêmes réceptionnistes, toutes aussi adorables. Le parc Gorki, juste en face n'est plus sous la neige mais rempli de fleurs, d'enfants et de poussettes. On dirait un décor d'opérette.
Avant mon arrivée, le programme était déjà prêt. Michael, à l'initiative du projet, veut me faire découvrir l'art contemporain russe (c'était en fait l'objectif de mon voyage, mais j'étais restée un panne) , rencontrer des artistes de Perm avec lesquels je pourrais envisager une collaboration pour le projet (que rêver de mieux!), m'emmener en bateau sur la Kama, fleuve énorme, pour voir et comprendre la géographie du lieu puis ,bien sûr ,nous rendre à l'endroit où le projet doit se réaliser : sa "Dacha" au bord de la Kama. Une Dacha est l'équivalent, à l'origine, de nos jardins ouvriers ; un morceau de terrain alloué, dans les années 60 aux habitants des villes pour cultiver un jardin. Le projet initial a bien évolué et les espaces attribués aux dachas sont devenus des zones periurbaines très particulières, forme hybride entre campements de gitans et lotissements. La nature est toujours là, luxuriante, mais aussi le kitsch et les poubelles. La dacha de Michael est pourtant encore un objet poétique au confluent de deux fleuves immenses : la "Tchoussovaïa" et la "Kama". Il me donne carte blanche pour le jardin ma deuxième (première?) passion.
Avec Michael, on cherche le nord. Cette oeuvre a été mal placée. L'artiste avait mesuré exactement (au mètre près!) toutes les distances qui séparent les grands musées du Centre d'Art Contemporain de Perm. Ce Centre a été fermé suite à des coups bas d'ordre politique et déménagé loin du centre ville dans un bâtiment quelconque. Avec lui, le poteau de signalisation a été déplacé et positionné différemment, du coup, le Centre Pompidou, se trouverait au coeur de la Sibérie (je propose que l'on aille y planter un poteau!). A la grande époque de la Révolution Culturelle de Perm , Michael a été a la direction du Musee d'Art contemporain qui était situé dans un très beau bâtiment ancien au bord de la Kama. Le bâtiment a été fermé et il tombe en ruines. Michael a été terriblement affecté, mais avec courage et ténacité il continue de batailler pour l'art contemporain dans sa ville. il a ouvert une galerie dans une ruelle près de l'Opéra ballet. Il avait contsitué pour le Musée une incroyable collection (digne du Musée d'Art Moderne de Saint-Etienne). Elle est en ce moment exposée et il me l'a fait visiter : j'ai découvert les artistes russes, des années 70 à 2000. Illya Kabakov est un parmi beaucoup d'autres :"The nest group", Dimitri Petukbov, Vitaly Komar, Andrey Monastyrsky, les nez bleus, Oleg Kurlik ...
Je ne pouvais pas trouver un guide plus enthousiaste et passionné. Ici devant son oeuvre préférée, un morceau de tissu polyuréthane "vivant". Le tissu est toujours en mouvement.
"People's choice" de Vitaly Komar et Alexander Melamid. Evidemment cela mérite une explication. Une analyse sociologique a été faite auprès des habitants de la ville pour déterminer leurs goûts en peinture : le tableau qui les ravirait et le tableau qu'ils détesterait. D'après leurs descriptions, une artiste a réalisé les oeuvres. Evidemment, à Perm, ils adorent les paysages dans le style du mouvement ambulant et ils détestent l'art abstrait du début du XXe. Très rigolo à Saint Petersbourg, le cheval cabré avec la couverture rouge.
Le rocher à la confluence de la Kama et de la Tchoussovaia en amont de Perm, juste en face de la dacha, est un lieu mythique. Des fouilles archéologiques ont permis d'identifier la présence de populations venues d'Iran et de Syrie. Une légende circule concernant Zarathoustra. Michael a tenu à ce que je m'approche physiquement de ce lieu pour être à mon tour touchée par son magnétisme! En tout cas la baignade était délicieuse.
Serguei est ouvrier dans une usine de Perm. Il a construit seul un magnifique Katamaran . Il a tout fait, jusqu'aux outils pour fabriquer les différentes pièces. C'est un ami de Michael, il nous a emmené en repérage sur le fleuve immense/
Son atelier est situé, avec d'autres ateliers de peintres, en haut d'une tour construite dans les années 80. C'est un labyrinthe au milieu des toiles. Beaucoup d'oeuvres de toutes sortes, de toutes époques. Beaucoup de travaux qont graphiques et picturaux, d'autres oscillent entre peinture et scupture. J'aime beaucoup. En ce moment, Slava associe l'informatique et les arts graphiques pour superposer des images qui deviennent formellement très complexes. Nous devrions travailler ensemble. Nous avons bu du thé et grignoté quelques sucreries sur la table basse dans la caverne d'Ali Baba perchée au dessus de Perm.
Ce n'est que 3 jours après mon arrivée que nous nous sommes rendus à la dacha pour une reconnaissance. Violetta, la femme de Michael nous attendait. Nous avions apporté quelques provisions pour un "pique nique". Michael a fait griller des poissons, Violetta a ramassé les légumes dans le jardin et moi j'avais apporté du caviar de Vladivosok.
Au delà des palissades qui entourent les dachas, des grands prés, des bois et un étang; L'herbe n'est jamais fauchée et aucun animal ne vient y pacager. La végétation est luxuriante.En allant ramasser des champignons, il y a quelques surprises.
Anita est mon guide, mon interprète, ma secrétaire, mon assistante, ma maman.... Marina lui a confié "l'artiste", le temps de son séjour. C'est un vrai chantier. Il faut dire qu'elle a la carrure. Sibérienne, elle est née dans une de ces villes surgies de nul part et dont la seule logique d'implantation est le pétrole. Elle se rapelle ses jeux d'enfants sur les énormes citernes, son paysage au quotidien. Les moustiques? Ce n'est pas un problème: il suffit de ne pas gratter. J'essaye de suivre le conseil qui me paraît plein de bon sens. Lorsque je lui parle des écrits de Svletana Alexievitch ("La fin de l'homme rouge"), elle sourit "Oui, vous en Europe cela vous touche, mais nous,nous ne sommes pas vraiment intéressés, on a tous vécu ça, c'est notre histoire, alors..." Elle est professeur à l'Université, son français est excellent et elle est très rigoureuse sur l'emploi du mot juste. Elle s'est plongée dans le champ lexical de la botanique pour le projet. l'image pour l'ouverture de la page est celle d'une baie que je n'ai jamais vue en France. C'est de la famille du pommier "Irga" en russe.
En haut de la colline, la carcasse d'un hôpital entièrement neuf dans les années 90 . Il n'a jamais été utilisé. On comprend que rien n'a été perdu et que tout a été recyclé : portes, fenêtres, carrelages... sans doute pas très loin!
Toutes les dachas sont regroupées dans un périmètre clôturé par une palissade, comme dans Astérix. A l'intérieur, un vrai labyrinthe. Chaque propriétaire a calé sa maison comme il a pu sur une parcelle parfois minuscule. Je suis étonnée : aucune barrière entre les jardins, seulement des petits chemins qui partent un peu dans tous les sens et sur lesquels on circule sans crainte de déranger les propriétaires qui jouent aux cartes, boivent le thé ou font simplement une petite sieste, profitant de la chaleur de l'été qui est court à Perm. Les limites entre vie publique et vie privée s'éffacent.
Le jardin que je croyais à l'abandon est parfaitement entretenu par Violetta qui y passe ses journées. La carte blanche est en fait un carton rouge ; je n'imagine pas intervenir dans un espace déjà occupé. Vais-je trouver une solution ou abandonner le projet? Vous le saurez au prochain épisode.