Encore une belle rencontre. Timisoara est une ville magnifique...dans le centre. En fait On m'avait prévenue à la frontière quand j'ai donné ma destination "Essayez de trouver un hébergement avant, ce serait prudent" (même les douaniers qui m'avaient fait garer sur le côté pour vérifier cet équipage étrange avaient baissé les bras). En fait je me suis retrouvée au centre de Timisoara, sans avoir eu le temps de reprendre mon souffle. Quand Katarina a vu ma voiture, elle m'a immédiatement proposé sa place de parking privé dans l'hôtel (celui du staff), dans une petite cour privative. Elle travaille 24h de suite, et l'hôtel tient plus de l'usine à dormir que de la résidence de campagne. En résumé, elle est très occupée. Elle a pris le temps de m'accompagner, me guider dans la manœuvre délicate, le soir et le matin. Je lui ai donné un petit billet, elle n'a pas refusé. Merci Katarina.
Flore est professeur de droit international à l'Université de Cluj. Il a fait ses études à Paris (avec le statut d' exilé politique puis, ensuite, celui d'étudiant). Ce professeur, qui est lui aussi bien occupé, a consacré son dimanche à une visite guidée pour la petite française débarquée des Estables. Il a toutes les clés (dans tous les sens du termes) aussi bien celles des espaces publics que des églises et bien sûr celle du parking de l'Université pour que ma voiture soit en sécurité. Nous avons au cours de notre promenade rencontré Georges, enseignant chercheur en histoire, qui a enseigné l'histoire du communisme à Paris VIII. Georges parle aussi couramment français et, comprenant mon intérêt pour l'histoire de ce pays, il m'a spontanément invitée à déjeuner le lendemain à l'Université. Toujours au fil des rues, nous avons croisé Vincent aliasVicenzo qui habite Paris et a, plusieurs années, enseigné le Roumain à l'Université Jean Monnet à... Saint-Etienne. Une belle entrée en matière.
Flore est orthodoxe pratiquant. Une chance pour moi de pousser la porte de la cathédrale. Le service dure plus de 2h. Plus de 1000 personnes assistaient à l'office. J'ai été très impressionnée. Des gens de tous âges, même des tous petits dans les bras des parents debouts. Pas de cris, pas de pleurs. Beaucoup de choses m'ont paru très étranges (les rituels, la communion...). Je n'ai pas vu passer le temps, car la messe est soutenue par les chœurs absolument magnifiques. A Sarajevo, j'étais réveillée à 6h par l'appel à la prière des moquées, ici ce sont les cloches des églises. Les pays sont différents.
Construite à l'époque du communisme, à l'intérieur d'un immeuble, pour que le lieu de culte reste discret. On comprend que la pratique de la peinture religieuse maintient une tradition très forte chez les artistes encore aujourd'hui (de nombreuse églises en chantier, avec le même programme iconique).
J'ai été invitée deux jours de suite à manger au restaurant de l'Université. Là non plus, on ne voit pas le temps passer. Georges recale les faits historiques de la Roumanie, récite une fable de La Fontaine, ou des vers de Macbeth, ironise sur ces français, enfants gâtés qui râlent toujours et Flore connaît mille anecdotes sur le communisme et Ceausescu qui me font beaucoup rire (maintenant!). Nos repas durent au minimum 3h. Ces messieurs ont été interpellé par mon projet artistique qui les dépasse un peu, mais les titille quelque part. En partant Georges m'a dit "J'aimerais bien être sur une photo, vous ne pouvez pas me trouver un costume". Il faudra faire quelque chose car ça, j'adorerais.
Une friche industrielle gérée par une association d'artistes. 40 ateliers, des studios pour le théâtre, la danse, les performances, des salles d'exposition. Christina, une des responsables, m'a accueillie très simplement et gentiment, et nous devrions mettre en place le projet vêtement-photo, la semaine prochaine. Je prolonge donc mon séjour d'une semaine à Cluj. Alexandra m'a fait visiter les différentes expositions d'art contemporain. Effectivement c'est bien de l'art contemporain. Entre autres une sorte d'hommage à Brancusi (prononcer Brancouch), qui est l'artiste fétiche des roumains, bien qu'il ait du quitter la Roumanie par manque de reconnaissance dans son propre pays. Alexandra s'est occupé du pavillon roumain à Venise pendant un mois, nous aurions pu nous croiser. Elle veut participer au projet vêtement-photo.
"La fabrique de pinceaux" intègre plusieurs galeries indépendantes qui ont un espace pour programmer des expositions. En l'occurrence, la galerie Superliguidato expose une artiste de la Fabrique "Maria Balea". .Alexandra évoque la dimension critique de la démarche dans une société qui valorise le paraître à l'être. Le corps a disparu sous les accessoires. Le kitsch envahit. J'aime bien l'idée de la colonne. La mode nous transforme en potiche.
Il y a du monde dans cette grande maison pleine de dépendances, de coins et recoins, dans un quartier très tranquille pas très loin du centre de Cluj. Stefan travaille à l'Institut français, comme homme à tout faire et sa fille, Gabriela est secrétaire au même endroit. Nous pouvons donc communiquer facilement et la famille se met en 4 pour m'assurer un séjour agréable. En arrivant petits gâteaux maison de bienvenue et, le soir, petite soupe sur le bord de la fenêtre (vraiment délicieuse et il y en a pour 2 jours). Dans la chambre j'ai tout ce qu'il faut et même plus. Ma voiture est en sécurité dans la cour fermée par un portail. La moquette sur le goudron, c'est pour que les enfants ne se blessent pas s'ils tombent de leur tricycle. C'est joyeux.
Afi, personne ne connaît ce prénom en Roumanie. Pour cause, c'est le résultat d'une histoire amusante : Afi devait être un garçon (normal, c'était le deuxième enfant de la famille). Quand on a su que c'était une fille le nom d'Afrodita lui a été donné (Aphrodite). Afrodita est devenue Afi. Avec les mots on ne règle que partiellement le problème. Les Roumains bricolent apparemment beaucoup avec les symboles. La voiture par exemple : le numéro d'immatriculation de la voiture est CJ 26PZA. CJ (Cluj) 26 date anniversaire de Stefan, P (Pityu, nom hongrois de Stefan) Z (Zoltan, son fils), A pour Afi. J'imagine qu'ils doit y avoir de la créativité pour les mots de pass internet.
La pelle et la valise c'est pour Caroline. La pelle en céramique avec les images brisées et réparées : le travail d'une artiste iranienne. Tout un symbole: l'outil, utilisé par les fossoyeurs de la culture, garde la trace de fragments d'enluminures anciennes réparées . La cassure reste malgré tout visible . La valise, c'est rigolo et plus anecdotique, l'artiste cite le pop art (c'est un américain évidemment). Il y avait beaucoup d'autres œuvres dans le même esprit. Comme à la Biennale de Venise les artistes revisitent la culture de leur propre pays (postmodernité?). Les autres œuvres que j'ai choisies sont beaucoup plus formelles. Les 3 petits bols très émouvants : si fins, si fragiles, combien de temps vont-ils résister?
J'ai pu rencontrer Benoît, directeur de l'Institut français et, lui-même, artiste. Il m'a réservé un accueil très sympathique et a permis la réalisation de mon projet "vêtement-photo" qui devrait prendre forme samedi (si tout va bien) à la Fabrique de pinceaux. Il m'a aussi conseillé d'aller au musée de Cluj voir les œuvres du peintre Nicolae Grigorescu, et en particulier "les prisonniers turcs". Effectivement!
Il y a beaucoup d'étudiants français à Cluj. Il viennent faire leurs études de médecine, vétérinaires ou dentaires. Les médecins et les dentistes roumains sont très présents en France, mais il y aussi tous les médecins et les dentistes français formés en Roumanie. Pour moi c'est une découverte.
Mon histoire roumaine continue, j'ai hier été présentée à un artiste spécialiste des "décorations" d'églises orthodoxes (le mot décoration est discutable). C'est lui qui a réalisé la chapelle des étudiants dont la photo est sur cette page. Nous avons rendez-vous à 80 km d'ici sur le chantier d'une cathédrale. Il y a 15 ans qu'il y travaille. Je pourrai monter sur l'échelle et mieux comprendre la technique de la fresque byzantine, telle que la tradition l'a transmise depuis des siècles (enfin j'essayerai!). On l'appelle, paraît-il, la fresque barbare car elle sollicite une réelle performance physique . C'est aussi de l'art contemporain. P'tit Pom, je rapporterai de l'or pour ajouter des auréoles à nos anges de ferraille pour nos futurs chantiers..
Merci à Cristina, Kinga, Simina, Ingrid, Bianca, Patricia, Sipi, Alexa, Miki, Alexandra, Corina, Silvia, Lovena, Teodora, Claudiu et le chien à trois pattes dont je ne sais pas le nom.
Mais la journée était loin d'être finie pour les travailleurs de la Fabrique qui préparent le festival international "Temps d'images" (initié par Arte) pour la semaine prochaine. 10 jours de programmation intense. Malgré la charge de travail, on a, au pied levé, rajouté mon projet...avec le sourire.
Lorena Copil
Yours sincerely,
I'm really sorry for being this late in sending you the picture with the red dress. I received your email address just now. I understand how important it is for you to have all the pictures in your archive, as these clothes became more than just clothes on their way in time - and also, on their way around the world. I can give you my word that I will happily take care of them and respect the value they've had - and still have - to you. They are more than just clothes for me too, as I received them in such an unusual, wonderful manner and I can feel they have their own kind of magic. I hope I didn't sadden you, and, if I did, I honestly ask for your forgiveness.
Dear Ms. Nicole,
Le 2 novembre, après 17 jours à Cluj (2 prévus initialement),J'ai refait mes bagages (ce qui n'est pas une mince affaire!). Consulté la carte avec Stefan (ce qui ne m'a empêché de me perdre un peu puisque je ne l'ai plus consultée pendant le trajet), dit au revoir à Cluj, pris la route de Nasaud vers le nord. Un peu plus de 100km . Peu de distance, mais le dépaysement a été total. Je ne suis plus qu'à une centaine de kilomètre de la frontière ukrainienne.
"Puisque vous vous êtes carapatée aux Carpates... " C'est un jeu de mot de Gabriel qui m'accueille avec Joconde, sa femme, à Nasaud. Deux anges sur mon chemin (merci Dominique). Ils m'ont ouvert la porte de leur petit appartement pour le dîner (et le déjeuner du lendemain). Omelette aux trompettes de la mort ramassées le jour même, caviar d'aubergines et de poivrons et vin de Vâlcea ( région d'origine de Joconde au sud de la Roumanie). Tout était délicieux. l'appartement est un appartement d'artiste, j'avais l'impression d'être à Montmartre dans les années 50 : Tout l'espace est dédié aux livres, essentiellement des livres français, classiques et contemporain, Mallarmé, le Clezio et des auteurs que je ne connais pas. Il faut empiler les livres sur le canapé pour déplier la table pour le repas. le gros poêle en faïence donne une douce chaleur. Il y en a un dans chaque pièce, c'est-à-dire deux.
Gabriel m'a greffée au groupe d'élèves de CAP avec lesquels il avait prévu une sortie botanique. Quel(le) est l'élève le (la) plus appliqué (e)? Non, tout cela n'est que mise en scène, en fait les élèves ont été super, adorables avec moi. Ils me ramassaient les prunes qu'ils trouvaient sur le chemin, car ils avaient remarqué qu'elles me plaisaient beaucoup.
J'ai rencontré Rita sur le parking de Lidl. Elle m'a accostée pour me demander quelques sous. Quand elle a compris que j'étais française, elle m'a lancé avec un joyeux sourire : "Salut Chérie, tu vas bien ! ", sans une pointe d'accent. Elle a passé 3 mois en France et elle parle notre langue couramment, ce qui n'est pas le cas dans le reste de la famille. Aujourd'hui, nous avons fait les courses ensemble, monté les sacs au dernier étage du HLM délabré (il y a l'électricité , mais pas l'eau). L'accueil a été très chaleureux, on m'a même invitée à dormir dans la pièce unique (15m2 environ) où vivent le papa et les 4 enfants (la maman est allée gagner des sous à Istanbul avec la petite dernière).
Dimanche 8 novembre. Après une journée magnifique dans la montagne, plus haut que les sources de la Somesh, là où se cachent les ours et le grand tétra, je m'en vais. Gabriel m'a fait découvrir les lieux de son enfance et, je referme à regret le livre "Ion, le roumain" de Liviu Rebreanau qu'il m'a prêté. J'ai pu arpenter le pays sur les traces de ces personnages dont l'histoire m'a fait rêver pendant une semaine "De la route qui vient de Carlibaba en accompagnant le Somesh, tantôt sur sa gauche, tantôt sur sa droite jusqu'à Cluj et même plus loin, se détache, plus haut qu'Armadia, un chemin tout blanc. Il passe la rivière sur le vieux pont de bois couvert de bardeaux moisis, puis il coupe le village de Jidovitza pour se perdre là-bas..."
La Roumanie a rattrapé au grand galop l'ère du numérique. Les roumains semblent balayer d'un revers de main ce qui a été pour se jeter (autant qu'ils le peuvent) dans la société de consommation. Ils ont beaucoup souffert, ils souffrent encore, c'est leur choix. J'ai vu tout ça. Il semble que je sois passée juste à temps pour capter des fragments de l'image qui est entrain de se brouiller ( pour en former une autre!).
Cette petite pause dans mon histoire pour nous tourner vers la vôtre : la fabuleuse histoire du village. Comme vous êtes joyeux et chaleureux ! Je vis un conte et tous les lutins et les fées des Estables sont là à chaque page (avez vous remarqué dans les coins de l'image que je vous ai transportés aux Carpates? N'est-ce pas magique?). Ce voyage ne serait pas ce qu'il est sans vous.
PS. Il manque mon ange gardien et ma Caroline chérie. Je compte sur Bea pour m'envoyer les images.
Bonjour,
Un grand bonjour à toi et à Flore un guide hors pair débordant d'énergie. Cluj est une ville qui accueille beaucoup d'étudiants français qui viennent faire médecine, il y a un très beau jardin botanique.
Gabriel m'a dit vendredi dernier rentrer en Roumanie ce mardi donc tu le verras probablement à Nasaud avec Joconde
Merci de transmettre mon bonjour au directeur de l'école forestière Gavrila Onul et aux professeurs que j'ai pu croiser comme Christian Kosma, et Stefan Buia (mais il est sûrement retraité);
profite mais attention à la tsuica !!!
bises de Marie-Cécile et Dominique
Bonjour Christine,
Une heureuse surprise, en fait je me doutais bien que tu me suivais dans l'ombre. Non l'Ukraine ce serait, en principe pour la semaine prochaine, je devrais partir lundi de Nasaud pour la Moldavie . Il ne faut malgré tout pas trop que je traîne car je pourrais être surprise par la neige (bien que j'ai chaînes et pneus neige et l'habitude de la conduite dans de mauvaises conditions, mais il ne faut pas tenter le diable, mes fées et mon ange gardien m'en voudraient!).
Merci merci pour ce petit mot