J'ai choisi le bus. Il faut compter une quinzaine d'heure en moins qu'avec le train et le passage de la frontière est paraît-il plus facile. J'arrive à l'heure dans une improbable gare routière plongée dans le noir, mais le bus est là. J'ai la place n° 21. Pas de chance, pas de fenêtre. Les sièges sont petits, juste la place des fesses, et les rangées sont très rapprochées. Le bus est blindé. A côté de moi une maman avec un bébé. Le voyage se fera à califourchon entre le demi siège restant et l'allée. La vue sur les steppes de Mongolie? iI ne faut pas y penser puisque les fenêtres sont calfeutrées de tissus matelassés pour protéger du froid. Dans les interstices les carreaux sont recouverts de givre.. Je me suis parfois déplacée vers le chauffeur, il m'a laissée faire. Un chauffeur vraiment sympa. On va le voir par la suite.
La route ? Petite départementale de chez nous, mais défoncée et verglacée. Les chauffeurs sont des as. Ils roulent entre 80 et 100 km/h, en évitant les trous et en grimpant sur les bas côtés losqu'ils croisent un autre véhicule un peu large (il n'y en a pas beaucoup).
La sécurité? On ignore. Lorsque des passagers suplémentaires arrivent, on déplie des chaises dans l'allée centrale, certains (pas tout jeunes) s'asseyent par terre.
Le voyage aura finalement duré douze heures en tout. L'enfant n'a jamais pleuré. Il a joué avec des bricoles qui se trouvaient à portée de main, exploré le peu d'espace mis à sa dispositon, , mangé (un tout petit peu, pas de bonbon, pas de sucreries), dormi (très peu). J'avais remarqué la même chose dans le train : les enfants voyagent tranquillement, comme les parents, sur plusieurs jours. Ils n'ont pas besoin de gadgets pour se distraire. Il faut dire que le train, par contre, c'est un vrai terrain de jeu, on peut grimper, faire discrètement un peu d'acrobatie entre les couchettes, aller voir ce que font les voisins..
Sur les aires de repos ... evidemment, on bavarde. Avec Adiso, étudiante en langues orientales, qui rentre de Corée, on parle de langues (elle parle le mongol, le russe, le coréen et l'anglais) et avec Koubito, qui est dans le business entre la Mongolie et la Russie (le rouble s'effondre, les affaires vont bon train), on parle de littérature. Il a lu tout Balzac et n'aime pas Gogol, ses phrases sont trop alambiquées. Ce qui est vrai, mais moi j'adore. J'aime bien me perdre dans les phrases.
La frontière, chacun emporte tous ses bagages pour s'engager dans les files d'attente. Frontière russe, pas de problème. Les bagages sont à nouveau bourrés dans les soutes et le car se déplace par un chemin défoncé jusqu'à a frontière Mongole. A nouveau, les bagages, la file d'attente jusqu'au bureau du douanier qui m'interroge en consultant mon passeport : "le visa?" - "Quel visa? Pour les ressortissants français pas de visa!"- "Si, depuis le mois dernier". Avec le pan des montagnes de Mongolie sur la tête, suivent les yourtes, les moutons et les lacs. "Et alors, on fait quoi?"-"Et bien je vais vous en faire un"- "En combien de temps ? Je suis dans le bus. " - "Tout de suite. Vous avez une photo? Non." Le douanier en souriant sort son appareil pour prendre une photo de Rainette, les yeux hagards. Il faut rédiger une lettre de demande en russe et remplir le formulaire. Mes genoux fllottent. Je crochette Koubito et nous nous installons sur un coin de table. Il assure vraiment, j'écris sous sa dictée, il indique du doigt les cases à remplir (c'est écrit tout petit). Le visa est prêt et je n'ai toujours rien payé. Direction le distributeur. L'argent mongol, je n'y comprends rien. Koubito est aux commandes, les billets dégringolent par paquets. 60 euros c'est beaucoup.Je veux déposer le paquet de billets dans les mains du douanier qui refuse, il ne peut pas recevoir d'argent, il faut aller à la banque au premier étage. Je lui dis qu'aujourd'hui ce sera l'exception et il prend, tout rouge, le magot. Une perle ce douanier Mongol qui parle russe. La grosse montagne immobile à proximité, c'est le chauffeur du car qui surveille l'opération sans manifester aucun signe d'impatience (il doit peser 150kg et il est magnifique). Je m'excuse. Il balaye mon excuse "Ne vous inquiétez pas, tout va bien". On bourre les bagages dans la soute pleine à craquer et je remonte l'allée centrale, comme dans un film, avec 45 paires d'yeux bridées braquées sur moi, les visages impassibles,le silence complet. Je me glisse en me tassant sur mon siège en demandant à ma voisine si l'attente a été longue "Non, pas vraiment."
Koubito au centre et Adiso toute en blondeur. Vous remarquerez le petit chapeau noir au fond à droite. Si vous empruntez ce moyen de transport, choisissez les places de 38 à 42. Comme vous le voyez les sièges sont en hauteur et donc au-dessus du calfeutrage des fenêtres. On peut voir le paysage.
La fin du voyage. Koubito est parti sans que je m'en aperçoive. Il est descendu à un arrêt que je croyais être une pause. Il me semblait qu'il allait jusqu'à Oulan Bator. Lorsqu'il m'a fait un petit signe de la main en franchissant la porte, je n'ai pas réagi. Le car s'est peu à peu vidé de ses passagers et j'ai pu grimper dans les balcons en cédant ma place au bébé. La dame au chapeau noir a été ma compagne de voyage. Elle rentrait d'un "tour" en Europe (Allemagne, Suisse, Italie). Femme d'affaire aussi, elle dirige une entreprise de matériaux de construction à Oulan Bator. Drôle et très ouverte, la fin du voyage a été sympa, j'ai pu me remettre de mes émotions (enfin presque). En arrivant son fils et sa belle-fille l'attendait dans un somptueux véhicule (gros 4x4 blanc rutilant, bourré d'électronique, de cuir et de bois précieux). Ils ont chassé la nuée de chauffeurs de taxi qui m'assaillait, pris d'autorité mes affaires qu'ils ont calées dans le coffre et m'ont conduite jusqu'au portail de l'hôtel, au fond d'une sombre impasse. C'est dans ce char magnifique que j'ai remonté Peace Avenue.La dame au chapeau noir? Je ne sais pas son nom.