Pour notre dernière étape en Amérique latine, nous revoilà à Bogotá, capitale colombienne qui nous accueille pour la troisième fois. Ça n'est pas un stop coup de cœur, mais un arrêt souvent nécessaire du fait de sa situation géographique, en plein milieu du pays. A croire que tous les chemins y mènent...et y repartent. Car il y a un temps pour tout, et vient pour nous le temps -un peu trop vite que souhaité- du retour à la maison.
Migrer vers l'Est en pleine période hivernale, retrouver le froid qui pique, les nez qui coulent, gratter la voiture le matin ... Ça ne fait que peu rêver les Colombiens qui ne sont pas habitués aux saisons, ni aux températures négatives, mais nous ça ne nous effraie pas. Parce qu'on sait que l'hiver c'est aussi les soirées au coin du feu, les sorties luges, le ski et les raclettes ! On vit donc cette échéance avec philosophie, on essaie d'ailleurs de ne pas trop y penser, de "vivre le moment présent", ça paraît con et bateau cette formule toute faite, mais elle a beaucoup de sens, essayez pour voir.
Pas de place au coup de blues, à chaque jour une rencontre ou une amitié retrouvée. Mais aussi des découvertes de lieux insolites, encore des surprises et de belles émotions. On a passé un après-midi avec Andrès, un très bon ami du CISV que je n'avais revu qu'une fois depuis notre camp il y a neuf ans. Accompagné de sa copine, il nous a emmenés déjeuner dans un resto complètement dingue, à la déco et au menu 100% colombien, puis on a traversé la ville pour l’immanquable dessert de crème fouetté, le mille feuille d'Alpina. Encore une fois on a été témoin de la générosité sans borne des Colombiens, qui ne se limite pas à prendre une journée de congé pour balader ses invités, mais suppose également de les rincer et de leur offrir des cadeaux. Bon, en France on a encore du chemin à faire pour espérer leur arriver un jour à la cheville !
On a aussi revu Amalia, l'autre membre de la délégation colombienne du Youth Meeting auquel on avait participé en 2010 avec Andrès, qui nous a donné rendez-vous dans un bar beaucoup trop chic pour nous. Ambiance guindée, manucure/robe longue/brushing parfaits, cocktail à 16 euros... S'y retrouver pour boire un verre à à peine 25 ans frise l'indécence et ça ne nous ressemble pas du tout. On fait tâche dans ce décor, mais ne nous trompons pas, c'est plutôt ce décor qui fait tâche en Colombie. Amalia nous le dit elle-même, "95% des Colombiens sont pauvres", selon quels critères on n'en sait rien, mais pour vous donner une idée plus précise, en 2017, 27% de la population active gagnait moins de 72 euros/mois (sources : business France). Pour que de tels lieux existent, c'est qu'une élite locale se plait à s'y retrouver, comme dans une bulle. Déconnectée du vécu du peuple colombien, cette bourgeoisie richissime ne représente qu'une infime partie de la population. Ce n'est pas par hasard que la Colombie détient d'ailleurs la onzième place des pays du monde les plus inégalitaires en termes de répartition des revenus entre les individus, très très loin derrière les autres que l'on a parcourus pendant ce voyage (source atlasocio). Triste palmarès dont les réalités sociales qu'il traduit nous ont explosé en pleine figure ce soir-là...
Cet ultime retour a Bogotá a enfin été l'occasion de revoir Sofia, une autre cisver qui nous avait gentiment gardé un sac d'affaires pour nous éviter de le porter pendant les deux mois et demi qui nous restaient à parcourir la Colombie. Etudiante en architecture, elle nous proposa un tour guidé du quartier excentré d'Usaquen, devenu partie intégrante de Bogotá au cours de l'expansion de la ville. L'avantage de sortir avec la jeunesse dorée c'est qu'on découvre des coins où on ne serait assurément pas allés, mais qui méritent le détour. Usaquen tout comme Chapinero sont des endroits branchés qui regroupent à la fois des parcs et jardins récréatifs, des zones résidentielles en mode banlieue londonienne et des rues plus animées, avec commerces, ateliers, vitrines, resto soignés et bars décalés. Faute de temps (non, trois mois en Colombie sont loin d'être suffisants !) on n'y sera malheureusement passés presque qu'en coup de vent.
Dans la liste des indispensables à visiter, il nous manquait aussi Montserrat, cette colline pourtant si proche de notre Alveira bien aimée et de son hostel familial, où on a dormi à chaque fois. Profitant de la lumière rasante de fin de journée, on découvrit une fois en haut un panorama saisissant sur tout Bogotá, cette vallée apprivoisée par l'homme, bétonnée à perte de vue. De cette immense étendue nous n'avions visité qu'un minuscule périmètre ... Sachant que nos dernières heures en Colombie étaient comptées, on a aussi voulu profiter jusqu'au bout des trésors offerts par cette terre si fertile : un détour au marché de Paloquemao s'imposait ! Hop, avocats, mangues, bananes, fruits de la passion, granadillas et mangoustans, direct dans le sac à dos. "Mais Margot, demain on prend l'avion, on s'en va DEMAIN !!!", "oui, et alors ?!". Bon, j'avoue c'était un peu abusé. Mais j'y pouvais rien, vraiment, c'était comme une pulsion qui m'obligeait à acheter non pas un fruit de chaque mais douze ! Pas grave, le vol allait être long.
Derniers petits dej arepas/huevos pericos/jus d'orange savourés, dernières mélodies endiablées, dernières rencontres attendrissantes, encore des sourires, des accolades, un dernier café et quelques larmes difficiles à retenir. "C'est un avocat que vous avez dans votre sac ?" demande la dame à la douane. Nous : "oui madame". Elle :"ah... très bien, allez-y je vous en prie !". Dernier fou rire partagé avec une inconnue. "Una bomba" ces avocats, on vous avait prévenus ! Nos petits cœurs se serrent au moment du décollage, beaucoup d'émotions qui se mélangent, des souvenirs qui se bagarrent pour décrocher les meilleures places dans nos têtes et un gros, gros coup de fatigue.
La gorge se noue et les mains tremblent en écrivant ces quelques lignes, qui mieux que Gabriel Garcia Marquez pour voler à ma rescousse ?!
Pour les hispanoparlantes, parce que rien ne vaut jamais une version originale :
Viajar es marcharse de casa,
es dejar los amigos
es intentar volar
volar conociendo otras ramas
recorriendo caminos
es intentar cambiar.
es decir “no me importa”
es querer regresar.
Regresar valorando lo poco
saboreando una copa,
es desear empezar.
Viajar es sentirse poeta,
es escribir una carta,
es querer abrazar.
Abrazar al llegar a una puerta
añorando la calma
es dejarse besar.
es conocer otra gente
es volver a empezar.
Empezar extendiendo la mano,
aprendiendo del fuerte,
es sentir soledad.
es vestirse de loco
diciendo todo y nada con una postal,
Es dormir en otra cama,
sentir que el tiempo es corto,
viajar es regresar.
[ Viajar - Gabriel García Márquez ]
Traduction du poème "Voyager" de Gabriel García Márquez
Voyager c'est quitter la maison,
c'est laisser ses amis
c'est tenter de voler.
Voler en connaissant d'autres branches,
en parcourant des chemins,
c'est tenter de changer.
Voyager c'est se déguiser,
c'est dire "je m'en fiche"
c'est vouloir revenir.
Revenir en appréciant l’insignifiant,
en savourant un verre
c'est vouloir débuter.
Voyager c'est se sentir poète,
c'est écrire une lettre,
c'est vouloir étreindre.
Étreindre en arrivant à une porte,
en étant nostalgique,
c'est se laisser embrasser..
Voyager c'est devenir fétard,
c'est rencontrer d'autres gens,
C'est recommencer.
Recommencer à tendre la main,
en apprenant de tout,
c'est sentir la solitude.
Voyager c'est quitter la maison,
c'est se déguiser,
en disant tout et rien dans une carte postale.
C'est dormir dans un autre lit,
sentir que le temps passe vite,
Voyager c'est revenir.