La question du dénivelé ne s'est finalement pas posée. Nous avons bien eu quelques montées ici ou là, certes parfois raides mais trop courtes pour constituer une difficulté notable. Étrangement le site de calcul d'itinéraires avait calculé une élévation de près de 600 mètres quand en fin de journée le GPS en affichait 250.
Quant aux prévisions météo pessimistes, elles se sont révélées exactes mais nous en sommes bientirés : il y a bien eu des orages violents, quelques kilomètres plus au nord quand nous quittions Besançon, à Baume-les-Dames avant que nous n’y arrivions. Nous sommes passés entre les gouttes. Ou presque. Il nous a quand même fallu enfiler le K-Way quelques minutes au sortir de Besançon mais quelques minutes seulement. La température est restée assez fraîche toute la journée. Fraîche mais jamais froide, bienfaisante en somme. Une température idéale pour rouler.
Toute la journée nous avons suivi le Doubs ou les canaux qui le doublent ici et là sur quelques dizaines ou centaines de mètres. Il a été notre compagnon fidèle du matin au soir. Nous avons rapidement quitté département du Jura pour revenir dans celui du Doubs.
En quittant Seurre, nous passons voir le site de l'ancienne forge. Des centaines d'ouvriers ont travaillé ici pour fabriquer les éléments métalliques du premier étage de la Tour Eiffel, de la Gare de Lyon, du pont Alexandre III. Le site est reconverti en centre culturel. Dans le parc qui entoure la belle cheminée emblématique de la ville a lieu chaque année - c'était pour nous inattendu - plus grand festival de reggae de France.
Du moins ce site là ne menace pas ruine.
Je suis toujours étonné de voir qu'on s'emploie à tenter de préserver et à restaurer tant de châteaux ou d'églises quand on laisse à l'abandon tant de sites qui furent l'âme des territoires et le centre de la vie des hommes et des femmes qui y vécurent. Les friches industrielles des Ardennes, du Nord Pas-de-Calais ou de Lorraine ont elles moins à dire que les pierres des cathédrale ? Ces lieux où, ceux des houillères, des lainières, ceux de la rue de Longues Haies, ceux de la métallurgie, ceux du Plateau, connurent les joies et les malheurs d'une vie, le dur labeur et la lutte pour conquérir des conditions de vie dignes, ces lieux ne méritent-t-ils pas autant que les demeures des rois ? Ne devrions nous pas connaître de la catastrophe de Liévin autant que de la défaite de Waterloo ? Sait on le nom des responsables de la tuerie de Fourmies quand chacun sait qui est Ravaillac ? Et qui est donc Jules Durand ?
Mais poursuivons notre chemin...
La palette des couleurs a encore changé, elle est devenue plus variée et plus vive. Sur les rives de la rivière poussent des fleurs plus gaies que les jours précédents, jaunes, bleues, roses, mauves, violettes.
Ce n'est plus l'ambiance un peu austère du Rhône ou de la Saône, magnifiés par la colère de la crue. Là-bas le fleuve est tout, tant il en impose, tant il s'impose, Ici, les forêts de feuillus qui s'invitent dans le paysage au fil de la journée déclinent une infinité de verts. Ici, c'est le calme et la douceur qui s'imposet. Dans l'après-midi, la roche de la montagne ajoutera encore des nuances de blanc et de gris. À la toute fin de l'étape, les pâtures sur les côteaux abrupts où paissent les vaches sont d'un vert tendre que contredit la couleur bien plus sombre des forêts qui les dominent.
Un seul mot désigne toutes ces verts pourtant si différents. II en faudrait d'autres aujourd'hui. Pouvoir les nommer révélerait je crois ces couleurs qui restent cachées ou au moins confusément percues parce que, non nommées, non nommables. Des mots pour le dire, certes mais aussi en somme des mots pour le voir.
Quant à trouver les mots qui donneront à voir la forêt...
Il faudrait être André Dhôtel. Autre forêt, celle d’Ardennes, mais émotions cousines à n'en pas douter. C'est d'abord, depuis Dole, celle de Chaux, mythique, si belle, si grande. Mais il en est d'autres sur notre parcours.
Tout un peuple d'arbres. Ce bruit... est-ce celui des feuilles agitées par le vent ou celui de la vague ?
En Namibie, les Himbas, ne peuvent, dit-on, distinguer le bleu du vert. Les deux couleurs leur apparaissent semblables. Il n'ont - cause ou conséquence, on y revient - pas de mots pour les differencier. Verraient-ils une différence entre la couleur de la rivière et celle de la forêt qui la borde ? Entre celle du Doubs et de la Méditerranée où finiront ses eaux, charriées par la Saône et le Rhône.
Il faut se méfier du Doubs, il est facétieux. En jetant un coup d'œil à la carte, on découvre que la distance entre sa source et son confluent n’est que de moins de 100 kilomètres quand son cours est long de plus de 450 kkilomètres.. Le coquin fait demi-tour à mi parcours et revient presque à sa source. En aval de Pontarlier, ses pertes vont alimenter une résurgence qui constitue la source de la Loue, un de ses principaux affluents, qui doit donc sa source au Doubs dans lequel elle se jette. Parabole et paradoxe de l'existence...
S'il fait mine d'arroser Montbéliard pour finalement s'en détourner et se diriger au sud-ouest avant d'atteindre la ville - autre facétie -, il passe bien en revanche à Besançon, nous l'avons vérifié. Il nous faudra, co.me à Dole, revenir et séjourner l'an prochain sur la route de Constanţa. La ville est trop belle pour que nous la négligions comme nous l'avons fait aujourd'hui.
Comment dire ? À force de dire chaque jour que nous avons vu des choses et des paysages magnifiques, croisé des gens formidables, il devient difficile d'établir une hiérarchie.
Le faut-il ?
Le voyage eest l'expérience de l'émergence d’un éternel présent.
Chaque jour efface les sensations de la veille et en offre de nouvelles. Effacer n'est d'ailleurs pas le mot juste. Il vaudrait mieux dire qu'il associe, synthétise toutes ces sensations, qu'il les confond - le double sens du mot, mélanger | se tromper, convient bien ici - dans une impression conmmune. Le regard porté sur les choses, les événements, les gens en est sans cesse enrichi. Celui d'aujourd'hui hérite de l'expérience d'hier mais l'enrichit d'autant car il donne à comprendre autrement dans son ensemble ce temps suspendu qu'est le voyage.
30 mai - 30 juillet, deux mois précisément que nous sommes partis. Déjà.. C'était hier, c'est aujourd'hui. Déjà.
Peu à peu, jour après jour se construit une expérience. Du reste, ”voyage" n'est-il pas un mot de la même famille que "voir" ?
Au sujet des lieux de travail clos et remis en valeur , il y a eu ou il y a le musée de la filature à Flers installé dans l'ancienne entreprise et pourvu des métiers à tisser et autres outils de travail ; à une époque , les " anciens " faisaient fonctionner leur outil de travail pour les visiteurs .
A voir également , entre Flers et Domfront , juste à côté de la piste cyclable , les forges de Saint Bomer les Forges , bien mises en valeur dans leur cadre ( verdoyant ) d'origine .