A 7h30, la voiture est repliée et rangée, et on est en route pour Monticello, la maison de Thomas Jefferson, où a lieu une cérémonie de naturalisation de nouveaux Américains ainsi qu’une célébration du 4 juillet. On gare la voiture sur le parking de l’université voisine, et une navette nous emmène jusqu’au lieu de la cérémonie. On a un peu l’impression d’être VIP. La cérémonie a des airs de gros festival bien organisé où les volontaires en T-shirt jaune ou rouge sont nombreux et efficaces. On arrive à Monticello à 9h, pile pour le début des discours.
On prend une bonne dose de patriotisme au visage, mais rien d’anormal : c’est la fête nationale, après tout. Après divers rappels sur le rôle de Jefferson dans la rédaction de la déclaration d’Indépendance, un des officiels précise combien l’Amérique a besoin de l’immigration, et combien elle ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui sans ce mélange de cultures. Une très bonne transition, qui fait applaudir une partie de l’assistance, et grincer des dents quelques rangs de vieux, sur leurs sièges pliables. Le juge (car c’est un juge qui dirige les événements, les naturalisations ayant besoin d’être prononcées par un homme de loi) entame la procédure. Les 67 naturalisés prêtent serment, sous le soleil de plomb de ce début de matinée, de renoncer à leurs allégeances passées, de se comporter en citoyens modèles, et de porter haut les couleurs et les valeurs américaines. Il y a de tout dans cette petite assemblée : des Philippins, des Honduriens, des Mexicains, des Anglais, un Italien, des Ghanéens, des Irakiens, des Iraniens, des Néerlandais… Quand ils sont appelés individuellement pour recevoir leur certificat de nationalité, l’assistance les applaudit et leur famille, souvent présente, siffle et s’exclame.
Puis la course au patriotisme s’accélère. Serment au drapeau, hymne national, d’autres chants que tous connaissent et récitent la main sur le coeur, et nous, au milieu de tout ça, avec nos baskets et nos appareils photos, ne comprenant pas très bien pourquoi la fête nationale, ce n’est pas juste un défilé aérien et des feux d’artifice.
Il fait trop chaud pour s’attarder : les officiels mettent vite un terme au calvaire du public qui rôtit en plein soleil, et la cérémonie s’achève dans les applaudissement. On profite de l’occasion pour visiter la maison de Jefferson gratuitement, puis on se replie à la voiture - pardon, au four à pain qu’est devenue Sheila.
On met le cap sur un café de Charlottesville, où on s’attelle à notre projet pour passer un bon 4 juillet. Sur des cartons récupérés à Walmart, on écrit notre message : « FRENCH GIRLS CELEBRATING THEIR 1ST 4TH OF JULY » et « HELP US CELEBRATE ». Ça a l’air de marcher : dans le café déjà, deux dames, profs d’art à Charlottesville, viennent nous donner mille conseils pour visiter la ville. On accroche nos pancartes à nos sacs à dos, on pique nique vite fait sous un arbre, puis on repart.
Sur les conseils de l’office du tourisme, on va à Carter Mountain Orchard, une exploitation qui fait principalement du cidre. Ils ont l’avantage d’être perchés sur une colline qui surplombe Charlottesville, ce qui en fait un excellent point de vue pour les feux d’artifice du soir. Ils ont su capitaliser là-dessus en organisant une journée entière d’activités et de concerts gratuits pour faire venir du monde. Et ça marche.
Un peu comme nos pancartes. A peine arrivées dans les lieux que Tom, qui travaille à la brasserie de l’exploitation, prend une photo avec nous et nous invite à goûter leur cidre.
On s’exécute (cidre de pêche et de poire, mais que fait la France quand il faut inventer des parfums de cidre ?) Alors qu’on déguste nos verres, perchées sur des chaises de bar, on est interpellées par Danièle et Madeleine. La première est d’origine Québécoise, mais ne parle plus qu’Anglais, depuis le temps, et la deuxième est d’origine Philippine. Elles ont plus d’un verre dans le nez, et nous donnent la moitié du hummus qu’elles viennent d’acheter, ainsi que des conseils. Elles blaguent en riant fort, les gens sont amusés, nous regardent, on est un peu le spectacle. Tom vient nous offrir de la pastèque, qu'il nous conseille de manger avec du sel pour faire ressortir le goût (????).
Un jeune couple à côté de nous propose de nous prendre en photo avec nos nouvelles copines. On se prête au jeu. La jeune fille, Courtney, commence à discuter avec nous : elle a 21 ans, et revient d’un an d’échange à l’Université de Caen. Elle y a elle a rédigé un article sur la mémoire de l’intervention américaine en Normandie à l’aide d’interviews de témoins directs des événements. Je n’en reviens pas. Je la presse de questions, lui parle de mes projets. Elle me donne son numéro, et on verra la suite.
On reste un moment à discuter avec elle et son copain, Thomas, avant d’être interrompues par un groupe de 3 : deux garçons et une fille d’environ 25 ans. La fille nous demande de leur montrer nos panneaux, parce que ses amis ne la croient pas quand elle dit qu’on est françaises. On leur explique qu’on veut vivre le plus américain ds 4th of July. A peine a-t-on fini notre phrase que Jake, Kenny et Kylie nous embarquent sur le parking, nous font grimper dans l’arrière de leur pickup, ouvrent des bières avec les dents et nous les font descendre cul sec : « shotguns in the back of a truck! It doesn’t get more American than that » nous lâche Kenny en riant ("Des culs secs à l'arrière du pickup, on ne fait pas plus américain !"). Puis Jake, entre deux rots monumentaux, nous explique qu’il est dans l’armée, et que ça aussi c’est bien américain.
On se redirige vers la foule, et je cause un peu avec Jake le militaire : il m’explique que dans 10 jours, il va être envoyé à Guantanamo garder les détenus. « That should be fun ». Tu m’étonnes. On s’éclipse aux toilettes, histoire de prendre le temps de comprendre ce qui vient de se passer. Quand on en ressort, nos amis ont disparu.
On se balade un peu plus loin dans l’exploitation, et on tombe sur une dégustation de vin. On rentre, curieuses, on joue la carte « on est Françaises, on s’y connaît, impressionnez nous », mais même s’ils sont tout contents, ils nous demandent quand même nos cartes d’identité. La mienne passe, pas celle de Margaux. La serveuse me donne des petits verres que je ne bois pas en entier et que je passe à Margaux en douce, sous le bar, pour qu’elle les termine. On se laisse convaincre et on lui commande un verre de rouge, mais la serveuse se trompe de bouteille et finit par nous offrir un verre gratuit. C’est toujours ça de pris.
On va boire nos verres à l’ombre d’une terrasse, où un monsieur vient discuter avec nous. Il s’appelle Aiuto (orthographe non contractuelle), vient du Brésil et travaille dans la peinture de carrosseries. Il est ici pour un déplacement professionnel. Il a l’air fasciné par les US, et c'est sympa de parler un à camarade non-américain en ce jour de patriotisme intense.
Il est 17h, temps pour nous d’arrêter de boire et de cuver en faisant une sieste dans l’herbe. On reprend la route à 22h, et on préfère prévoir large. Les cinq heures suivantes sont donc dédiées à de la lecture sur la colline, à un petit concert et à un cornet de frites dans l’herbe. Et puis on continue à taper la discute à des Américains qui viennent nous féliciter pour notre premier 4th of July (oui oui, nous féliciter).
La pelouse se remplit, le soir se couche, et les feux d’artifice commencent. On doit s’éclipser avant la fin, parce que notre camping ferme ses portes pour la nuit à 22h et qu’on a une heure de route devant nous. Mais happy 4th quand même !