La voiture est achetée, soit. Mais elle est coincée chez le garagiste jusqu'à mercredi après-midi pour changer les pneus neige. De dimanche, où on a conclu la transaction, à mercredi, on a champ libre. On en profite pour se mettre à jour : finances, messages aux amis, écriture du blog et du long rapport de séjour que l'on doit rendre à Sciences Po pour leur raconter notre troisième année. On s'attelle à tout ça dans des cafés et des Macdo, bref partout où la wifi ne nous coûte pas plus qu'un café.
La bonne nouvelle, c'est qu'on peut enfin découvrir Vancouver. On se balade un peu, et lundi soir, on décide d'aller boire une bouteille sur la plage avec Ulysse. Le plan change très vite. À peine installés sur notre rondin de bois sur Kitsilano beach, on croise le chemin d'une jeune femme, Quisha, qui nous tend des instruments de musique pour que l'on joue tous ensemble. Elle à la guitare, nous aux percussions. Quelques gorgées de vin plus tard, Quisha allume ses enceintes et elle danse sur KC and the Sunshine band, dans le sable.
Quisha fait des signes à un homme qui nous regarde avec curiosité, quelques mètres plus loin. Il nous rejoint, et on commence à discuter. Il s'appelle Azhi (prononcer Aji), il est Kurde et vient d'Irak. Il a à peine 21 ans, mais paraît plus vieux. Il prend la guitare de Quisha, et commence à en jouer en s'excusant : il dit qu'il ne sait jouer que de la cithare, et qu'il essaye de s'adapter au mieux. Il joue des airs tristes à quatre cordes, puis s'arrête, et, de fil en aiguille, nous dit qu'il croit que le destin est une suite de probabilités, et que les choix que l'on fait tous les jours sont circonscrits dans un nombre limité d'options que la vie offre à nous. Que nos vies peuvent être schématisées par des arbres de probabilités. Pendant ce temps, Quisha et Ulysse discutent les pieds dans l'eau.
La soirée avance, et Azhi propose de nous faire écouter de la musique Kurde. Tous les cinq, on se tient la main, et il nous apprend à danser à la kurde, en se balançant d'un pied sur l'autre et en bougeant les épaules. La musique accélère, et notre ronde prend des airs de sarabande effrénée. Je lâche la main de Margaux et je m'écroule sur le sable, essoufflée.
Il nous faut bientôt partir : Ulysse habite à une heure de la plage. On monte dans le bus en négociant avec le chauffeur, parce qu'on n'a pas de pièces pour payer. Puis, une fois à notre arrêt, on fait une pause dans une station service pour acheter un pot de glace pour bien finir la soirée. On partage notre Ben & Jerry's avec les colocs d'Ulysse, avant d'aller s'écrouler dans son lit, comme les jours précédents. Cette fois-là, on a encore du sable sur les pieds.
Deuxième jour à attendre la voiture - deuxième plage. Celle-là, elle est sur le campus même de UBC, où on est allés avec Ulysse : lui pour dire au revoir, nous pour découvrir. Evidemment, c'est immense, comme tous les campus nord américains : il y a un musée d'anthropologie, des centaines de terrains de tous les sports, des piscines. Ce qui change, ce que ici, il y a la plage (parfois nudiste) et des sentiers de rando à même le campus. On descend l'un d'eux pour aller sur la plage, où l'on fait la rencontre de Robert. Robert a au moins 70 piges, il vient du Quebec (il est tout content de nous parler français), et il a beaucoup, beaucoup d'histoires à raconter. Il a vécu un peu partout au Canada. Il a inventé et rendu obligatoire les LEDs sur les voitures, en partenariat avec la ministre des transports du Canada, pour laquelle il faisait une course dans son taxi à ce moment là. Quand il était taxi, il a aussi sauvé pleins de vies. Après une petite dizaine d'histoires comme ça, il nous dit bon voyage et faites attention à vous, les yeux dans les yeux, et il nous donne une pièce de cinq dollars canadien en argent pur en nous ventant ses propriétés un peu magiques. On profite du coucher de soleil sur la mer et les montagnes et on partage un sandwich aux oeufs pour le diner.
Ce soir, si tout va bien, on récupère la voiture. Après ça, c'est la course contre la montre pour tout faire avant le coucher de soleil que l'on veut définitivement voir du côté américain. Faire le plein, passer par la maison d'Ulysse récupérer les sacs + un futon offert par la joyeuse coloc et aller chercher une couette pour notre lit de fortune (chez un particulier qui la revend), avant de faire les courses pour les deux jours de camping qui nous attendent, et finalement passer la frontière avec toutes les emmerdes qui vont avec (imaginez trois français, résidents du Canada, avec une voiture de Colombie Britannique, qui passent aux US sans adresse précise mais avec l'idée de dormir dans le coffre, et qui veulent rester la durée maximale autorisée par le visa, soit trois mois). L'idée, c'est de prendre Ulysse avec nous, de dormir deux nuits en campings dans des parcs étatiques sur la côte et dans les îles (Larrabee State Park et Deception Pass State Park).
A la prochaine connexion wifi !