Qui dit conclusion dit long article. Au moins j'aurai prévenu ! :D
Il m'aura fallu du temps pour rédiger cette conclusion. Je la publie très exactement six mois jour pour jour après mon retour en France. Si je dois bien reconnaître que c'était essentiellement pas flemmardise et manque d'envie, ces quelques mois de recul sont néanmoins bénéfiques pour conclure ce voyage avec d'avantage d'objectivité. Comme j'avais déjà eu l'occasion de l'écrire, cela faisait déjà plusieurs mois que j'attendais ce retour avec impatience. Vingt mois à bouger sans cesse. Vingt mois passés à la découverte du monde, des autres et de moi-même. Vingt mois rarement dans le confort. Vingt mois souvent entouré, mais toujours seul. Vingt mois… c'est long et usant.
Malgré ce constat volontairement mélancolique, je commence peu à peu à réaliser à quel point cette expérience a été riche et extraordinaire. Pour être honnête, je n'ai qu'un vague souvenir des objectifs qui étaient les miens au moment de poser le pied sur le sol canadien : faire des rencontres, faire de l'auto-stop, visiter chacune des dix provinces, faire un tour aux États-Unis et renouer avec les travaux manuels. Au moment de regarder dans le rétroviseur, force est de constater que j'ai rempli chacun de mes objectifs, mais surtout que je suis allé bien, bien au-delà. Je n'aurais jamais envisagé une seule seconde traverser trois fois le Canada ; encore moins en auto-stop puis en vélo. Je n'aurais jamais envisagé une seule seconde visiter 30 des 50 États américains. Je n'aurais jamais envisagé une seule seconde passer un hiver entier à travailler le bois par -40°C.
Comme j'ai pris l'habitude de le faire, et puisque je pense que cela vaut mieux que de longues palabres, voici une liste de quelques chiffres évocateurs au sujet de mon voyage :
Sur ces vingt mois de voyage, j'ai passé près du tiers de mon temps en dehors du Canada. Ceci aussi, je ne l'avais pas envisagé. Mais ce ne fut pas suffisant pour autant pour me faire oublier que c'est ce pays qui m'a offert cette opportunité. Où que j'aille, je suis toujours revenu vers Le grand nord blanc, toujours avec un sourire non dissimulé. Notamment parce que je m'y sentais bien. Bien mieux qu'aux États-Unis notamment, où j'ai passé en tout et pour tout près de six mois.
Avec le Canada, j'ai réellement découvert la nature sauvage, les grands espaces, j'ai touché du doigt la vie dans des lieux reclus, à des centaines de kilomètres de la prochaine ville majeure. Le Canada m'a offert des expériences de vie et de travail que jamais je n'aurais pu avoir ailleurs. Il m'a permis de côtoyer des gens d'horizons tellement variés : à la boulangerie de Montréal, j'ai donné le change à des Srilankais, des Afghans, un Béninois, un Éthiopien, un Camerounais, un Salvadorien, un Jamaïcain, un Haïtien, etc. Sur les chantiers du nord de l'Alberta, j'ai fréquenté des Canadiens de toutes les provinces ou presque et des autochtones. L'auto-stop aussi m'a permis de croiser le chemin de tant de personnes : des jeunes, des vieux, des riches, des moins riches, des blancs, des noirs, des avocats, des policiers, des criminels repentis, etc. Autant de rencontre que je n'aurais jamais pu faire en restant sagement à Montréal. Autant de rencontres qui m'ont toutes apporté quelque chose.
Le Canada est un pays sublime, vaste, d'une grande richesse, dans lequel on se sent bien. C'est indéniable. Malheureusement, j'ai aussi découvert des aspects bien moins réjouissants. Et malheureusement, après mon retour, ceux-ci ont parfois tendance à prendre le pas sur le reste, car j'ai du mal à accepter l'image souvent trop policée que renvoie ce pays depuis l'Europe.
L'une des choses qui m'a le plus marqué est le traitement fait aux peuples autochtones. Durant des décennies, des politiques d'assimilations ont été édictées, souvent avec la complicité de l'Église Catholique. Les peuples étaient destitués de leurs terres, les enfants étaient séparés de leurs parents, violentés, violés, les dialectes proscrits, les coutumes encadrées, etc. Il aura fallu attendre les années 80 pour que les autochtones soient de nouveau considérées. Mais le mal était fait : les langues et coutumes se sont perdues, les réserves sont sans commune mesure touchées par l'alcoolisme (même chez les plus jeunes), la drogue et le chômage. Aujourd'hui, pour essayer de gommer les tragiques « erreurs » du passé, les Premières Nations, les Inuits et les Métis bénéficient de nombreuses aides et passe-droits (sur la chasse et la pêche notamment). Ils sont également exemptés du paiement de certaines taxes. Si les engagements sont louables, ils ont eu pour effet pervers d'accentuer le clivage avec les populations blanches, qui ont parfois du mal à accepter de ne pas être soumis aux mêmes règles. J'ai d'ailleurs quelquefois été choqué d'entendre des « Moi je suis né ici ! » sortir de la bouche de certains « Blancs », pour rejeter cette différence de traitement, mais aussi, plus globalement, pour rejeter la politique migratoire dans son ensemble. J'avais envie de leur rappeler que ces peuples sont millénaires, qu'ils sont indirectement responsables de leur sort, et que, bien qu'effectivement nés sur ce sol, ils ne le foulent que depuis quelques générations… Ils ne sont rien d’autre que des enfants d’immigrés. Les canadiens ne sont pas tous aussi accueillant qu'on ne peut le penser.
Il ne faut pas non plus oublier que le Canada est un riche pays d'Amérique du Nord. Il n'est peut-être pas aussi déraisonnable que peuvent être les États-Unis, mais la société de surconsommation y règne tout de même en maître. Aussi, l'écologie semble bien loin des priorités et, en dehors des grandes villes, le racisme et la xénophobie m'ont paru plus ancrés qu'on ne le pense, simplement moins assumé que chez le voisin du sud. Par ailleurs, le Canadien (surtout le Québécois d'ailleurs) m'a bien souvent semblé assez égocentrique, affirmant plus souvent à la première personne que questionnant à la deuxième. Enfin, il est indéniable que les Canadiens sont chaleureux, accueillants et aidants. Mais cette apparente proximité avait parfois de faux airs d’hypocrisie et de superficialité : vous pouvez discuter dix minutes avec quelqu'un qui ne vous calculera pas s'il vous recroise cinq minutes plus tard… J'ai d'ailleurs une anecdote à ce sujet : au détour d'une conversation lors d'une journée de travail comme une autre à Fort McMurray, mon patron m'a dit un jour « Je ne comprends toujours pas ce qu'un type comme toi est venu faire ici ! ». Je me suis gardé de lui répondre « Bah… peut-être que si tu m'avais posé deux ou trois questions, tu le saurais… ! ».
Même si j'ai parfois été déçu par le Canada et me suis senti étranger à certains aspects de sa culture, ce n'est pas ce que je retiendrai. Comme je l'expliquais en préambule, six mois ont passés depuis mon retour au bercail. Et, en me remémorant quotidiennement des souvenirs plus ou moins signifiants, je me rends chaque jour un peu plus compte de l'opportunité extraordinaire qu'a été pour moi l'obtention de ce visa de travail. Ces vingt mois étaient parfois longs et l'appel de la France se faisait occasionnellement ressentir, mais j'y ai pris énormément de plaisir, j'y ai appris tellement de choses, sur moi, sur les autres, sur la vie, que cela restera une expérience gravée à jamais. Une simple liste de choses que j'ai faites au Canada et dans les quatre autres pays visités suffit à me donner raison :
Avec du recul, je pense avoir fait assez peu d'erreurs et avoir de rares regrets sur ces vingt mois de voyage. Ma principale erreur a peut-être été de vouloir parfois comparer ce que je visitais, ce que j'expérimentais avec ce que j'avais pu voir et faire les mois précédents, voire avec ce que j'avais pu observer sur certains réseaux sociaux comme Instagram. Chaque lieu, chaque expérience est et doit rester unique. Pour garder le goût du voyage, il faut parfois savoir oublier le passé pour pleinement apprécier le présent. Sur le sujet, Alex Vizeo, un voyageur émérite, a d'ailleurs proposé un podcast de quelques minutes très intéressant, intitulé « Comparer : la pire erreur que tu peux faire en voyage ».
Parmi mes quelques regrets s'il en faut, un rendez-vous manqué avec le parc national de Jasper et le Lac Moraine, l'État américain du Maine qui m'aura échappé jusqu'au bout et surtout la spectaculaire Dempster Highway, qui n'a pas ouvert à temps lorsque j'étais sur la route du retour de l'Alaska, me privant du même coup d'une visite de Dawson City. J'aurais également voulu compléter mon tableau de chasse avec le Yukon, le dernier venu des trois territoires canadiens. Mais celui-ci n'étant accessible que par les airs, s'y rendre était hors de prix.
Enfin, pas vraiment un regret, mais une envie qui m'est apparue assez tôt durant mon voyage et que, pour diverses raisons, je n'ai jamais eu le cran de mettre en œuvre : faire du train surfing sur un train de marchandise au Canada. Ces trains interminables n'ont jamais cessé de me fasciner et j'ai eu pour rêve (pas si irréaliste) de monter clandestinement sur l'un d'eux pour découvrir les somptueuses montagnes rocheuses via des passages inaccessibles par la route. Malheureusement, c'est une pratique non sans risque et il m'aurait fallu trouver une personne pour m'initier. Et j'avais la crainte d'y risquer mon visa en cas d'arrestation…
Ce voyage aura eu un autre grand mérite : me faire réellement prendre conscience de la chance que j'ai d'être Français et Européen. Il me semble qu'en tant que français, on a bien trop tendance à s'auto-flageller et à se décrédibiliser. Alors que la France est et reste l'un des plus beaux pays du monde, l'un des plus riches culturellement et géographiquement et, malgré tant de choses qui pourraient/devraient aller mieux, un pays où il fait très bon vivre. Il faut voyager pour réellement se rendre compte de la richesse et de la beauté de notre langue, de notre extraordinaire système de santé, de la chance d'avoir un système scolaire de qualité et peu coûteux (même si certainement très perfectible), de la qualité de nos infrastructures, de la qualité de notre système routier, du faible coût et de la qualité des abonnements téléphoniques et internet, et l'admiration que la majorité des étrangers vouent pour la France. L'Hexagone est un nain à l'échelle du globe (18 fois plus petit que le Canada !). Malgré cela, nous avons la chance d'avoir un accès à l'océan, à des mers, d'avoir des montagnes, des monuments connus de tous, une cuisine unique, etc. Nous n'avons vraiment rien à envier à d'autres.
Un exemple qui a fini par m'interpeller : lorsque je rencontrais une personne qui s'était rendue à Paris, j'ai souvent demandé ce qu'elle pensait des parisiens. M'attendant à me voir confier qu'ils sont désagréables et indifférents, j'ai, à de rares exceptions près, obtenu des témoignages parfaitement inverses. J'en suis donc venu à la conclusion que je contribuais à véhiculer une image négative de Paris (et indirectement de la France), alors qu'en tant que « provincial » (un terme qui m'hérisse), je peux difficilement être objectif sur la plus grande ville et capitale de mon pays, où tout est fatalement différent.
J'ai également pris conscience de notre proximité culturelle avec nombre d'autres pays européens. J'avais toujours grand plaisir à croiser des Allemands (ils sont partout !), des Espagnols, des Belges, des Suisses, des Scandinaves, etc. de qui je me sentais bien plus proche que des Canadiens, des sud-Américains ou encore des Asiatiques. Au final, aujourd'hui, je me sens sans nul doute d'avantage Français et surtout, d'avantage Européen.
Avant et durant mon voyage, j'avais lu quelques articles évoquant une sorte de déprime post-voyage, un retour à la réalité que certains vivaient difficilement. L'une des questions qui m'a d'ailleurs été le plus posé à mon retour est la manière dont j'ai vécu cette ré-acclimatation à la France. Personnellement, je n'ai ressenti aucune « déprime », aucune période d'adaptation. Je vois plusieurs raisons à cela. Déjà, je n'ai pas subi ce retour, je ne suis pas rentré contraint par l'expiration de mon visa ou après quelconque infortune. Je suis rentré parce que j'en ressentais le besoin et parce que j'estimais avoir été au bout de ce que je voulais voir, vivre. Aussi, la date de mon retour était définie depuis un moment. Rentré en octobre, j'avais acheté mon billet retour fin avril. Même si j'ai finalement avancé cette date, je l'ai eu en tête durant près de six mois. Largement le temps de me préparer physiologiquement. Enfin, au moment d’atterrir à Paris, je n'avais plus un sous en poche, mais j'ai eu la chance de pouvoir retrouver ma famille, d'y être hébergé et d'être dans un cadre que je connaissais.
Lors d'un retour à la maison, le plus compliqué est certainement la bataille qui s'amorce avec l'administration… Je ne compte plus les démarches, les relances, les explications, etc. auprès d'organismes multiples, pour retrouver toute légitimité aux yeux de la France. Pour exemple, six mois après, je n'ai toujours pas récupéré mon permis de conduire français, échangé contre un permis de l'Alberta… Aussi, si retrouver un travail n'a pas été si difficile (j'ai la chance d'évoluer dans l'informatique), trouver un logement a été plus ardu. J'étais en effet incapable de fournir des documents aussi essentiels que mes derniers bulletins de salaires, mes dernières quittances de loyer et mes derniers relevés d'imposition… Enfin, ayant fait le choix de vendre tous mes meubles et mon électroménager avant de partir, j'ai aujourd'hui tout à racheter, une vie à reconstruire de zéro, ou presque. Mais même si ça n'a pas toujours été évident, le jeu en valait très largement la chandelle et je le referais mille fois !
Le Canada est un pays bien plus complexe qu'il n'y paraît, qui est aujourd'hui chahuté par certaines erreurs de son récent passé et qui fait face à plusieurs défis, comme celui de la place à accorder à la langue française dans sa société. C'est aussi un pays parfaitement singulier dans le monde, de par son immensité tout d'abord, mais aussi de par sa richesse. Si j'y ai passé plusieurs mois extraordinaires, je ne compte néanmoins pas y retourner, sauf opportunité exceptionnelle. En effet, après avoir traversé le pays par trois fois, avec trois moyens de locomotion différents, après avoir visité des endroits improbables, je pense aujourd'hui connaître ce pays bien mieux que l'immense majorité des Canadiens (en toute modestie, bien entendu :D). Bien d'autres pays m'attendent… !
Un grand merci à tous ceux qui m'ont aidé durant ces vingt mois, d'une manière ou d'une autre. Et merci à ceux qui ont eu le courage de me lire jusqu'au bout :)
« A mari usque ad mare »
Et bien merci à toi Fabien pour ce beau partage de voyage ! C'était un plaisir de te lire à travers toutes ces étapes, merci d'avoir pris le temps d'écrire car je le sais cela peut être une contrainte et merci pour ton recul sur ton expérience, c'est vraiment intéressant à lire.
Vivement le prochaine voyage :)