Debout et près à en découdre de bonne heure, je rejoins le point symbolique du « Mile 0 » de la route Transcanadienne aux alentours de 7h30. Après plus d'un an à y penser (probablement chaque jour), m'y voici ENFIN ! Pour cette première journée, direction Nainamo, pour environ 110 kilomètres sur la Route 1. La première partie de parcours, légèrement accidentée, se passe très bien, jusqu'à ce qu'au détour d'une petite descente, je me retrouve avec une tige métallique de quelques centimètres littéralement plantée dans le pneu arrière. Je suis alors à une dizaine de kilomètres du terminal où je dois embarquer sur un ferry. Après les premiers questionnements à base de « Vais-je devoir marcher jusque Nainamo ? », « Je peux toujours faire du stop, mais je vais tricher ! », « Putain, merde ! », je finis par colmater le pneu avec de la glue et du ruban adhésif et changer la chambre à air. Bien que le pneu soit déformé, la jante semble intacte, ce qui me permet d'attraper le ferry dans les temps. Finalement de retour au sud de Vancouver, je décide de compléter cette première journée par une trentaine de kilomètres supplémentaires.
Malgré cette mésaventure et un pneu hors d'usage à peine parti, cette première journée s'est tout de même relativement bien passée. J'ai de bonnes sensations et ai déjà parcouru un peu plus que mon objectif quotidien de 130 km.
Ce deuxième jour de route jusque Hope marque mon « entrée » dans la fumée qui recouvre en large partie la Colombie-Britannique depuis maintenant plusieurs jours (voire semaines à certains endroits). Cette fumée est la conséquence de centaines de feux de forêt qui ravagent la province. Malgré tout, aussi étonnant que cela puisse paraître, ça ne me gêne absolument pas pour respirer. Je ne la sens qu'exceptionnellement. J'aurais même tendance à dire qu'elle m'aide car elle me protège du soleil, m'évitant de souffrir de la chaleur. Après 137 kilomètres d'une route tantôt cabossée, tantôt parfaitement longiligne et plate, j'atteins finalement Hope. Sans pépin mécanique cette fois ! Autant la veille la fatigue se faisait peu ressentir (probablement lié à la coupure du ferry), autant en ce deuxième jour, j'arrive cassé de chez cassé. Mal aux cuisses, mal aux fesses (surtout aux fesses d'ailleurs… !) et très, très fatigué. Il me faudra près de deux heures et une sieste dans un parc pour retrouver mes moyens. Ça s'annonce bien cette histoire !
Remis de mes émotions de la veille, mais les cuisses toujours brûlantes, il est l'heure de s'attaquer aux montagnes Rocheuses ! Dès la sortie de Hope, ça grimpe pour une quinzaine de kilomètres, et ce sera comme ça toute la journée ! La traversée du parc provincial E. C. Manning est particulièrement douloureuse. Autant j'avais l'habitude de jouer dans les Pyrénées et les Alpes avant mon départ, autant grimper de la même manière avec un vélo moins performant et surtout alourdi de bagages, c'est pas la même chose. Après une journée de 10 heures et demi, dont près de 8 heures passées sur le vélo, j'arrive enfin à Princeton. J'ai avalé 2 200 mètres de dénivelé positif ce jour-là, ce qui restera ma plus grosse journée en terme de dénivelé. Aussi, bien que très fatigué, je mets beaucoup moins de temps que la vielle à récupérer. Le métier commence à rentrer !
Réveil difficile en ce quatrième jour. Non pas parce que les cuisses piquent toujours, mais parce que j'ai eu la bonne idée de planter ma tente au beau milieu de l'arrosage automatique du complexe… Résultat : tente trempée comme s'il avait plu toute la nuit et surtout, j'ai dû passer de longues minutes à étudier la rotation des buses pour savoir à quel moment je pouvais en sortir… Un sketch !
La journée de vélo en elle-même s'est bien passée : 80 premiers kilomètres en légère descente, durant lesquels j'ai de nouveau crevé, toujours à l'arrière. À cause d’une simple agrafe cette fois-ci. Après avoir changé la chambre à air (heureusement que j'en avais prévu deux de rechange à mon départ !), je reprends rapidement la route et termine la journée par une bonne ascension d'une dizaine de kilomètres, pour redescendre sur Osoyoos, point de chute de la soirée. J'avais les jambes pour continuer, mais il fallait vraiment que je m'occupe de mon vélo après la mésaventure du premier jour (je n'avais pas trouvé de magasin de vélo les jours précédents). Je décide d'investir dans deux nouveaux pneumatiques, bien plus résistants. 100 $ pièce, mais au moins ça devrait m'éviter de crever tous les deux jours !
À l'instar de Couchsurfing, Warmshowers est une communauté d’entraide, essentiellement destinée aux cyclistes. De nombreux hôtes proposent un lit, un canapé, un espace pour planter une tente, mais surtout, une douche chaude aux courageux de passage ! L'avantage du second par rapport au premier est sa flexibilité : il y est beaucoup plus facile de trouver un hôte la veille, voire le jour même.
C'est donc à Osoyoos que j'ai été accueilli par mes premiers « hôtes Warmshowers », au milieu des vignes de la vallée de l'Okanagan. Un vrai plaisir ! :)
C'est avec deux pneus flambants neufs (mais montés à l'envers, comme me le fera remarquer quelqu'un un peu plus tard dans la journée -_-), et toujours dans une épaisse fumée, que j'attaque mon cinquième jour de route par un bon 20 kilomètres de montée sèche. Ouch, ça fait mal, très mal ! Je passe ensuite le reste de la journée à monter et descendre des côtes, plus ou moins longues (jusque 30 kilomètres de long pour la dernière…). Je me surprends néanmoins à arriver relativement en forme à Grand Forks, au terme d'un peu plus de 6 heures passées sur le vélo. Une bonne journée, où l'omniprésence de cette fumée me donne pour la première fois un léger goût d'amertume. Je n'avais en effet pas eu l'occasion de venir dans la vallée de l'Okanagan durant mes précédentes gesticulations canadiennes, et je me faisais un plaisir de venir y rouler. Malheureusement, je n'ai guère pu en profiter.
Cette sixième journée passée sur le vélo marque le passage par le point culminant de mon parcours : Paulson Summit, 1535 mètres. Encore une monté d'une trentaine de kilomètres, assez compliquée à aborder avec un tel vélo. Mais au terme de deux heures et demie d'effort, ce passage, sans réelle saveur, devient du passé. Outre le ballet des hélicoptères bombardier d'eau, cette journée qui s'achève à Nelson est également marquée par les premières douleurs aux genoux, qui en deviennent parfois assez vives. Je comprendrai le lendemain que j'ai stupidement mal réglé ma selle…
Le dernier jour de cette première semaine de vélo se déroule en grande partie le long du lac Kootenay, sur la route la plus sinueuse que j'ai eu l'occasion de rouler. J'ai littéralement passé mes 7 premières heures à monter et descendre un nombre incalculable de bosses. Même la boucle de Cap Corse ne m'avait pas autant donné le tournis. Malgré tout, c'est en milieu d'après-midi que je débarque à Creston, terme planifié de mon étape du jour. Finalement peu émoussé, je décide de continuer jusqu'à ce que le ciel s'assombrisse. Je passerai la nuit sur une aire d'autoroute, après une longue journée de près de 11 heures, durant laquelle j’ai parcouru plus de 160 kilomètres. Un record pour moi.
960 kilomètres parcourus au terme de cette première semaine, avec un peu plus de 10 000 mètres de dénivelé positif. Après 2-3 premiers jours un peu plus difficiles physiquement, avec quelques ennuis mécaniques à la clé, je sens que j'ai finalement assez rapidement pris le rythme de l'aventure. La fatigue se fait bien moins présente à la fin de chaque journée et les jambes sont bonnes lorsqu'il faut repartir le lendemain matin. Je ne cache néanmoins pas que j’ai chaque jour énormément mal aux fesses, et que c’est ce qui m’handicape le plus. Je suis curieux de voir comment mon corps réagi dans les longues semaines à venir !
« Si vous souhaitez voyager vite et loin, il vous faut voyager léger. Oubliez toutes vos envies, vos jalousies, votre rancœur, votre égoïsme et vos peurs. »
– Cesare Pavese