Trois mois et demi après être parti de Calgary, retour à la case départ. Trois mois et demi d'un road trip durant lesquels j'ai traversé deux fois l'Amérique du Nord, d'un océan à un autre. Trois mois et demi durant lesquels j'en ai souvent pris plein la vue, mais durant lesquels tout n'a pas toujours été aussi évident qu'espéré. Avant de revenir sur les sentiments qui m'animent au moment de rentrer au Canada, voici plusieurs chiffres, bien plus évocateurs que de longues palabres :
Au moment de faire le bilan de cette dernière aventure, mes sentiments sont assez partagés. Je vais commencer par évoquer les aspects négatifs, ce qui m'a dérangé, déplu, fatigué, etc. Pour ensuite aborder le positif qui, au final, doit largement prendre le pas sur tout le reste !
Le timing – Pour commencer, je sais que je n'ai pas autant apprécié ce road trip que si je l'avais fait en tout début de voyage. Déjà parce que l'excitation de l'aventure s'est un peu estompée, qu'une part de fatigue morale s'est installée, ensuite parce que cela fait déjà quelques mois que ressens l'envie, le besoin de rentrer en France, de revoir certains proches, de renouer avec une culture qui me ressemble bien plus. L'envie aussi de retrouver une certaine stabilité, de m'engager dans de nouveaux projets. L'envie de retrouver une vie normale, bien rangée, en quelque sorte. Et je me sens d'une certaine manière coupable d'éprouver ce genre de sentiments, car ce voyage est un choix, est une opportunité, est une chance, et j'estime ne pas avoir le droit de me plaindre de quoi que ce soit.
La solitude – Mais un voyage c'est souvent bien d'avantage que de belles photos et de beaux récits. C'est aussi, pour ma part, une part de solitude qui m'allait bien durant la première année, aussi longtemps que je l'ai assimilée à une réelle liberté de décision, de mouvement et de rencontre. Or, durant ce road trip, et certainement pour la première fois depuis mon arrivé au Canada, je me suis senti fautif de parcourir tous ces kilomètres, de voir tous ces paysages, tous ces parcs, sans en faire profiter qui que ce soit, et sans pouvoir le partager (si ce n'est avec une amie durant une dizaine de jours). Je pense avoir compris durant cette partie de mon voyage (dès l'Alaska d'ailleurs) que se créer des souvenirs c'est bien, mais pouvoir les partager c'est encore mieux.
Les rencontres - Autant durant cette première année j'ai multiplié les rencontres via Couchsurfing. Autant ici je n'ai sollicité des hôtes qu'à une reprise, à Whitehorse, au Yukon. Et pour cause, mes plans changeaient constamment : parfois je restais plus longtemps que prévu à un endroit, souvent moins longtemps, parfois je changeais ma route. Pouvoir dormir dans mon véhicule me rendait également sans aucune mesure plus libre dans mes déplacements et dans mes choix que lorsque je faisais de l'auto-stop. Si je voulais garder cette liberté, difficile donc de consacrer chaque jour ou presque au moins une heure à solliciter des hôtes. Enfin, faire du Couchsurfing n'est pas totalement gratuit : il est courant de cuisiner pour nos hôtes ou d'aller boire un verre. Autant de dépenses que je ne pouvais malheureusement me permettre. Beaucoup plus rares en devenaient donc les personnes avec qui je pouvais échanger, discuter, partager.
La dynamique – Au cours de ce road trip, je me suis également rendu compte de la difficulté d'intégrer une ou plusieurs personnes à son voyage. Voyager de la sorte, faire attention à chaque dépense, ne pas se préoccuper de son propre confort, avoir une alimentation basique, accepter de ne pas avoir une hygiène toujours irréprochable, etc. n'est pas forcément en adéquation avec les attentes de quelqu'un qui te rejoint pour quelques jours, avec un budget vacances équivalent à six mois de voyage pour toi, avec l'envie de ne pas se limiter, de profiter autant que possible. Aussi, une personne en vacances va parfois avoir la volonté de « décrocher » des réseaux sociaux, de son téléphone, là où moi je n'ai absolument pas cette envie. Au contraire, mon téléphone et les réseaux sociaux demeurent mon lien avec la France, avec ma famille et mes amis. Un lien qui m’est important. Deux dynamiques totalement différentes donc, qui occasionnent quasi inévitablement des conflits.
Le contenu – Enfin, tout ce que j'ai vu ne m'a pas plus. J'ai tout d'abord quitté l'Alaska légèrement déçu, mais ça c'est plus lié à un mauvais choix de ma part. Il faut s'y rendre en hiver ou en été, mais pas à l'intersaison. Aussi, de Cleveland à Minneapolis, j'ai souvent eu l'impression de perdre mon temps. Huit villes enchaînées, sans qu'aucune ne m'interpelle réellement. Au Canada, c'est d'avantage le fait d'avoir raté mon passage par les parcs nationaux de Banff et Jasper qui reste une déception. Encore un mauvais choix de ma part en décidant de m'y rendre fin avril, alors que la neige y étaient encore très abondante. J'avais en tête d'y revenir en toute fin de périple, avant de retourner à Calgary, mais faute de temps, et ayant déjà explosé mon compteur kilométrique, j'ai préféré faire définitivement une croix sur ce que beaucoup considèrent comme deux des plus beaux parcs du pays. Dommage.
Malgré cette litanie d'aspects négatifs, je n'ai que peu de regrets quant à ce road trip. J'ai conscience d'avoir eu l'opportunité (je n'aime pas dire « la chance » parce que j'estime que c'est à la portée d'à peu près n'importe quelle personne qui s'en donne les moyens) de voir énormément de choses, de (re)parcourir 8 des 13 provinces et territoires canadiens, de découvrir 20 nouveaux États des États-Unis, de visiter une vingtaine de parcs nationaux, etc. Et tout ceci en totale liberté, dans mon véhicule personnel, sans avoir eu le moindre accident ou réel ennui mécanique. Il est toujours possible de faire mieux, de s'attarder plus à certains endroits, de faire plus de rencontres, mais il faut aussi savoir accepter ses contraintes de temps et budgétaires. Un exemple parfait je trouve : mon terrain de camping favori fut les parkings du Walmart, mastodonte de la grande distribution qui autorise la plupart du temps les gens à stationner devant ses magasins pendant la nuit. Bien loin de la carte postale du type qui se réveille dans son mini-van au bord d'un lac au pied des montagnes. Mais cela m'offrait de nombreux avantages : c'était gratuit, j'avais accès à du WiFi et à des toilettes en y arrivant et en repartant, je pouvais aller y faire mes courses au jour le jour et c'était assez sécuritaire du fait de la présence de caméras de sécurité. Aussi, cela m'évitait surtout de passer, chaque soir, une heure à trouver un endroit autorisé où me garer.
Ainsi, si ce road trip était à refaire, j'y changerais finalement assez peu de choses : je songerais peut-être à effectuer la boucle dans le sens inverse par exemple. Mais pour moi qui adore conduire, parcourir ces 38 000 kilomètres fut un vrai plaisir. Être au volant de mon mini-van, à écouter de la musique et profiter de paysages et de parcs tous plus variés les uns que les autres, loin de l'agitation touristique de certains sites, était parfait ! Ma voiture fut d'ailleurs l'endroit où je me sentais le mieux, le plus libre. Je me sentais d'ailleurs tellement libre qu'il m'arrivait souvent de douter durant quelques secondes de la ville, de l'État, voire même du pays dans lequel je me trouvais à l'instant T. Peut-être un symptôme d'une surconsommation de lieux, mais qui m'amusait plus qu'autre chose :)
Une dernière chose vraiment appréciable lorsque l'on voyage en Amérique du Nord est la quasi absence d'autoroutes à péage. Il n'y a guère qu'autour de certaines grandes villes qu'on en trouve, et ces axes sont facilement contournables. C'est pourquoi je n'ai jamais déboursé un dollar pour emprunter une route.
En ayant définitivement terminé avec les États-Unis, je vais également dresser un bilan sur ce pays qui apparaît souvent comme un eldorado, une destination de voyage privilégiée, le pays des libertés, de la démesure, etc. Pour y avoir passé de nombreux mois au cours de l'année et demie écoulée, j'en ai désormais une vision assez différente.
Les États-Unis sont extrêmement vastes, variés et d'une grande richesse naturelle. Avec pas moins 60 parcs nationaux et des dizaines d'autres sites protégés, tous plus différents les uns que les autres et parfaitement aménagés, ils constituent un vrai paradis pour les voyageurs. Il est également très facile de s'y déplacer, avec un réseau routier très étendu, globalement en bon état, et gratuit ! Aussi, même si j'y ai souvent eu l'impression de voir et revoir les mêmes villes, certaines d'entre elles sont tout de même réellement d'exception, pour différentes raisons :
Mais la vision que je garderai de ce pays est malheureusement toute autre. Si je me suis finalement rendu compte que ce ne sont pas les gens qui m'y agacent, mais la société, pour moi les États-Unis c’est :
Les États-Unis est un pays que j'ai adoré visité, que j'ai adoré détester, où j'ai aimé retourner, où j'ai vu et vécu des choses incroyables, mais j'ai également toujours éprouvé un certain soulagement en repassant la frontière vers le Canada, tant cette société, totalement détraquée à mes yeux, finissait par m'oppresser. Un pays où il me reste encore beaucoup à découvrir, mais où je ne retournerai très probablement jamais.
« Si tu rencontres un Asiatique à plus de 2,5 kilomètres de son moyen de locomotion, c'est certainement qu'il est perdu. »
– Fabien S. J.