Avant de livrer mes impressions sur ce périple en auto-stop qui m'a mené sur la côte est des États-Unis, de la Floride au Vermont, voici quelques chiffres qui permettront de mieux comprendre l'expérience :
Avant même de partir, on m'avait dit qu'il était impossible de faire du pouce aux États-Unis. Impossible vous av(i)ez dit ?! Alors, effectivement, il est devenu très difficile de faire de l'auto-stop au pays de l'oncle Sam. Cette pratique, apparemment très répandue entre les années 60 et 80, est depuis tombée en désuétude. Cela peut s'expliquer de diverses raisons : l'avènement de l'automobile ; tout le monde ou presque en dispose d'au moins une aux USA. Quelques affaires sordides liant des auto-stoppeurs, qui ont ancré dans l’imaginaire collectif cette pratique comme étant à risque. Enfin, cet exercice est plus ou moins interdit dans la majorité des États (« plus ou moins » car je n'ai jamais réussi à savoir si il est prohibé uniquement sur les autoroutes ou sur l'ensemble du réseau routier).
Avec du recul (au moment d'écrire ces lignes, j'ai terminé ce trajet il y a près de deux mois) et après avoir depuis pas mal expérimenté le pouce dans l'est Canadien, je me rends compte qu'il m'a réellement été compliqué de me déplacer de cette manière aux États-Unis. Je pense avoir attendu en moyenne une heure à chaque fois avant de trouver un lift (un « lift » étant un « déplacement » offert par un chauffeur). J'imagine que dans le centre du pays, cet usage doit s'avérer encore plus compliqué. Je ne parle même pas du fait que je suis blanc, jeune, sans barbe ni tatouage, etc.
Durant tout ce temps passé au bord des routes, j'ai pu constater à quel point les étasuniens ne sont pas (plus) familiers avec la pratique et à quel point ils sont méfiants de tout et de tout le monde. Lorsque tu attends durant plus d'une heure à un endroit et que tu vois défiler plus de 750 véhicules à l'heure (au bout d'un moment, tu te prends à faire des statistiques :D), pour l'immense majorité disposant de plusieurs places libres, sans qu'aucun ne s'arrête, c'est qu'il y a un problème quelque part… Les regards ne trahissent également pas. J'ai pu constater à de nombreuses reprises de l'incompréhension (beaucoup voient un auto-stoppeur pour la première fois de leur vie), de la surprise (beaucoup m'ont dit ne pas avoir vu d'auto-stoppeur depuis plus de quinze ans…), de la suspicion, voir même du dégoût ou du mépris. J'ai souvent eu le sentiment d'être assimilé à un sans domicile fixe : beaucoup regardent du coin de l’œil tout en essayant de faire comme s'ils n'avaient rien vu… Certains vont même jusqu'à prendre des photos ou te filmer, probablement pour alimenter leurs réseaux sociaux. Il était aussi parfois amusant de voir des gens me parler depuis leur véhicule, probablement pour m'expliquer la bonne excuse qui les pousse à ne pas s'arrêter (Heuuu… Tu sais que je ne t'entends pas mec ?!). Moins amusant : les conducteurs qui te font des doigts d'honneur pleins de rage (Pourquoi tant de haine ?!), qui te font des feintes, qui t'enfument délibérément (pratique appelée le rolling coal) voire même qui feignent de vouloir t'écraser. Heureusement, ces pratiques restent très marginales. Il m'est même arrivé à deux ou trois reprises que l'on m'embarque puis me dirige dans la mauvaise direction (certains ont apparemment quelques difficultés avec leurs points cardinaux…).
Malgré tout, même si ce fut parfois long et difficile, si c'était à refaire, je le referais dix fois ! N'ayant d'autre choix que d'être patient et que de rester toujours positif et souriant, je pense que c'est un excellent travail sur soi-même, Qui plus est, cela m'a permis de faire énormément de belles rencontres et de me rendre compte qu'il y a tout de même énormément de personnes qui sont toujours prêtes à aider (parfois au-delà de nos espérances).
Durant ces deux mois passés aux États-Unis, j'ai été marqué par la profonde culture de l'insécurité et de la suspicion. De mon point de vue (largement partagé par les gens que j'ai rencontrés), tous les américains sont racistes : les blancs sont racistes des noirs, les noirs racistes des blancs (voire même des noirs non-américains, selon les dires d'un nigérian croisé qui a ce sentiment) et les asiatiques ne se mélangent quasiment pas aux autres communautés. Je n'ai d'ailleurs jamais été pris en stop par une personne d'origine asiatique et rarement par des gens de couleur. Lorsque ce fut le cas, ils n'étaient pas américains (africains, haïtiens, cubains ou sud-américains).
Un discours qui m'a également marqué, venant d'un policier hors service qui me conduisait : lorsque je lui ai demandé s'il avait déjà voyagé hors des États-Unis, sa réponse fut sans équivoque : « Non ! C'est beaucoup trop dangereux ! ». Affamés de médias d'informations, beaucoup sont persuadés que le monde est d'une dangerosité sans nom (à commencer par la France, où ils vont tous mourir du terrorisme s'ils y posent le pied…) et qu'ils sont bien plus en sécurité au sein de leurs frontières, armés jusqu'aux dents. Autre exemple significatif (à mon sens) : la nuit, tous laissent la lumière extérieure de leur maison allumée, se sentant ainsi plus en sécurité.
La grande majorité de mes rencontres prononçaient également les mêmes mots au moment de les quitter : « Fait attention à toi, c'est très dangereux ici tu sais ! », « Ne fait pas confiance aux gens ! », « Ne vas surtout pas là, c'est trop dangereux » (en parlant à chaque fois de quartiers où la population est en majorité afro-américaine…). Merci de vous soucier de moi les gars, mais honnêtement, à la longue, ce discours est vraiment fatiguant à entendre. En quarante-huit jours, je n'ai jamais eu le moindre problème avec personne (si ce ne sont des gens qui ne voulaient pas m'adresser la parole quand je les sollicitais, mais ça, c'est un autre problème), je n'ai jamais eu la moindre crainte en parcourant des quartiers « noirs », je ne me suis pas senti une seule fois en insécurité. Je ne prétends pas que ce climat d'insécurité est infondé, mais je pense qu'il est largement alimenté par les ouï-dire et très rarement par de réelles expériences personnelles.
Au fil des jours, je comprends de mieux en mieux ce qui peut m'aider à motiver les gens à s'arrêter pour moi. Premièrement, il faut avoir bien conscience que les automobilistes ont souvent un bref instant pour prendre leur décision, de l'ordre de deux ou trois secondes. Il faut donc leur donner envie de s'arrêter, ou au moins ne pas les en dissuader :
Voici quelques faits qui m'ont marqué sur les États-Unis, en vrac :
Quelques clichés sur les Français, entendus durant ces quelques semaines de voyage :
La première chose qui me vient à l'esprit pour conclure est : ne laissez personne vous dire que quelque chose est impossible ! Faire du pouce aux États-Unis a été compliqué, mais loin d'être insurmontable. Bien que je n'ai croisé aucun autre auto-stoppeur sur les routes, je sais qu'il y en a d'autres qui continuent à en faire dans ce pays. Les gens qui m'ont dit que c'était impossible et dangereux n'en ont, pour la grande majorité, jamais fait de leur vie… De la même manière, sachez écouter quand on vous déconseille de faire quelque chose où d'aller quelques part, mais ne prenez pas ça comme argent comptant. Faites-vous votre propre expérience.
Le théorème du singe est une histoire enseignement utilisée pour mettre en valeur le fonctionnement du conditionnement mental à travers une expérience scientifique comportementale imaginaire menée sur des chimpanzés.
Elle exprime la transmission et la perpétuation de croyances collectives au sein d'une population progressivement renouvelée, et ce même après que la cause première de ces croyances soit éteinte et après la disparition de tout témoin de cette cause.
En savoir plus : Wikipédia
J'ai l'impression d'avoir constaté ce phénomène aux États-Unis plus qu'ailleurs. Il est vraiment désolant de voir à quel point ses citoyens sont, pour leur grande majorité, craintifs de tout et de tout le monde, suspicieux et vivent avec un sentiment d'insécurité permanent. J'ai vraiment le sentiment qu'ils ont perdu toute notion de confiance entre l'autre.
J'ai malgré tout énormément apprécié ce trip car il reste, bien heureusement, encore énormément de personnes prêtes à aider et à rendre service. J'ai pu rencontrer énormément de monde, souvent l'espace d'un instant, durant un lift, parfois d'avantage. Le couchsurfing m'a également énormément aidé. Hormis la nuit d'hôtel à 60 USD que j'ai dû payer lorsque je suis resté bloqué sur la route de New York, je n'ai jamais dépensé un dollar pour me loger. Certains de mes hôtes préféraient se contenter de me fournir un toit quand d'autres, plus disponibles, ont été de véritables guides dans leur ville, me faisant découvrir des endroits que je n'aurais probablement pu deviner par moi-même. La contrepartie à cela est que, faute de réel vision au-delà de deux-trois jours, j'étais obligé de passer la plupart de mes soirées à rédiger des requêtes d'hébergement. Beaucoup de temps et d'énergie, mais au final, ça en valait la peine.
En outre, même si j'avais parfois accès à un vrai lit, cela restait l'exception. En l'absence de bonnes conditions de sommeil, additionnées à une mauvaise alimentation, à la fatigue physique liée au fait de marcher énormément pour visiter chaque ville étape et à la fatigue mentale liée à l'auto-stop, j'ai commencé à me sentir épuisé arrivé à Washington. Je m'endormais parfois dans les métros, voir même dans les voitures qui me transportaient… Cela m'a poussé à revenir me reposer à Philadelphie durant une dizaine de jours, où mon hôte me proposait de m'héberger de nouveau, gracieusement. Si j'évoque cela, c'est pour essayer de faire comprendre que, même si d'extérieur ce genre de voyage peut paraître magnifique avec un quotidien tout rose, ce n'est pas forcément le cas. Essayer de voyager avec un budget minimum est loin d'être reposant.
De plus, l'un des inconvénients de voyager en auto-stop est le manque de mobilité. En l'absence de voiture, difficile de m'aventurer en dehors des villes pour découvrir l'arrière-pays, les parcs, etc. Mon budget serré m'a également laissé à l'écart de la vie nocturne et des restaurants, souvent tout aussi importants pour bien saisir l'essence d'une ville. Comme précisé plus haut, j'ai dépensé environ 1500 € durant ces quarante-huit jours (dont dix passés à glander à Philly). Pour la totalité des trois mois et quatre pays visités, mon budget aura été d'un peu moins de 4000 €, billets d'avions compris.
Malgré les inconvénients d'un trip basé sur l'auto-stop et le couchsurfing (que je tenais à mettre en avant pour bien montrer qu'un voyage n'est pas juste de belles photos et de belles paroles), j'ai bien conscience d'avoir eu l'opportunité (ou plutôt de me l'être créée d'ailleurs) de voir et de découvrir énormément de choses, de rencontrer énormément de gens et, je pense, de m'enrichir personnellement (je fais bien évidemment référence aux 100 USD que l'on m'avait donné sur le retour d'Atlantic City !). J'ai énormément pris goût au pouce et ne me déplace désormais plus que de cette manière. Place désormais à la découverte des provinces canadiennes ! J’avais presque oublié être en PVT… au Canada !
Kilomètres parcourus en auto-stop : 4723 kilomètres.
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. »
– Mark Twain
J'aime beaucoup ce bilan avec recul sur l'auto-stop aux US mais surtout sur le road trip en lui-même avec le choix assumé du parti prix économique. La richesse des contacts en stop comme couch-surfing j'y crois. C'est une formule très courageuse avec la part de concessions (l'attente, l'incertitude de l'adresse du soir, le sacrifice des entrées payantes ou sorties...).
J'aimerais voir à quoi ressemble les chaussures de ce globe-trotteur et le contenu du sac à dos pour partir si "léger" si longtemps !!...
Bonjour, article très intéressant avec un excellent feetback pour moi qui découvre ce blog et ai un gros projet vers les US et le Canada en 2024. Voyage en train et car uniquement, mais aussi dans des endroits moins desservis, donc en auto-stop. Je découvre aussi le Couchsurfing dont tu parles. Merci encore pour ce beau retour d'expérience.