Vivre et travailler à Fort Smith

Publiée le 16/04/2018
Avant de reprendre mon voyage, dernière pige de deux mois dans le froid des Territoires du Nord-Ouest.

Heartbreak Hotel

« Heartbreak hotel » (littéralement « Hôtel des cœurs brisés »), tel est le doux nom donné par les locaux au camp dans lequel j'ai vécu ces huit dernières semaines. Le cadre est posé.

À notre arrivée à Fort Smith, lorsque mon collègue et moi avons découvert ces cinq vieux préfabriqués, associés les uns aux autres, on a rigolé… jaune. On a tout d'abord cru à une mauvaise blague d'un autre collègue, arrivé quelques jours plus tôt, qui nous avait transmis l'adresse. Avant que ce dernier n'apparaisse, sourire jusqu'aux lèvres, derrière la porte principale. « Bienvenus à l'Heartbreak hotel ! ».

Le camp qui nous loge date des années 70. Il a été racheté puis transporté à Fort Smith il y a une dizaine d'années, pour loger les travailleurs de passage en ville. Entre six et douze personnes y logent en permanence. Au retour du travail, à peine les chaussures de sécurité ôtées que le doux bruit de décapsulage des canettes de Budweiser se fait déjà entendre. La même mélodie raisonne quotidiennement jusqu'au coucher. Ici, bon nombre sont ceux à avoir un penchant déclaré pour la boisson. Mais derrière ce cadre peu glorieux, ces murs qui sentent le vécu, ces douches à l'hygiène douteuse, je n'oublie pas qu'ici, je n'ai pas un dollar à dépenser. Un chef est là dès 5h du matin pour préparer le petit-déjeuner, livre soupe et sandwichs sur les différents chantiers à l'heure du déjeuner et prépare un bon dîner, que chacun savoure à peine la journée de travail achevée. Avec un dernier repas servi à 17h30, inutile de préciser qu'il ne fait pas bon être espagnol par ici ! Pour ma part, je passe le plus clair de mon temps libre dans ma chambre, à lire, regarder des films, m'enquérir de l'actualité française sur le blog de Jean-Marc Morandini, à compter les jours et surtout, à peaufiner mes prochaines étapes. Je suis ici pour gagner de l'argent et l'économiser, pas pour tomber à mon tour dans l'alcoolisme.

Le camp

Le travail

Mon travail durant ces huit semaines fut relativement similaire à celui qui était le mien à Fort McMurray, bien qu'à première vu un peu moins complexe : élever des murs en bois autour d'une imposante ossature, elle aussi en bois, montée par une autre équipe de charpentiers. Le projet final est un complexe multi-usages pour la communauté des Premières Nations. Le rythme est également similaire : 10 heures par jour, avec une moyenne de deux jours de repos par périodes de trois semaines.

Salt River First Nation Multipurpose Facility
Salt River First Nation Multipurpose Facility
Vue de l'intérieur
Transporter une planche de 120 mètres de long (au moins) !
Un dimanche matin, de bonne heure et de bonne humeur !
On voit le bout !
Vue sur Fort Smith depuis le toit du bâtiment

En réalité, c'est la perception du froid qui m'a le plus bousculé durant ce séjour à Fort Smith. Alors que durant les mois passés, je m'étais relativement habitué à travailler par -25 °C, j'ai rapidement été saisi par un froid bien différent ici, un froid qui pénètre encore d'avantage, un froid bien plus annihilant. Quel bonheur alors quand, début mars, arrive une pleine semaine de grand soleil, accompagnée de températures légèrement positives. Quelques jours d'un avant-goût de printemps, à travailler en t-shirt, avant le drame : un mercure qui descend de nouveau allègrement sous les -30 °C, accompagné d'un vent glacial. Le -38 ressenti dans les Territoires du Nord-Ouest fait mal ! Dans ces moments-là, je ne pense qu'à une chose : « Vivement que ce putain d'hiver interminable s'achève, vivement que je reprenne ENFIN la route ! ».

Trois paires de gants minimum !

Fort Smith et ses activités

Malgré ce froid, la fatigue liée au travail et l'impatience grandissante quant aux prochaines étapes de mon voyage, j'arrive tout de même à réellement profiter de mon séjour à Fort Smith. Bien plus que je ne l'espérais d'ailleurs. Tout d'abord parce que je garde conscience que je vis une expérience formidable. Jamais plus, je pense, je n'aurai l'occasion de travailler dans un tel environnement, de travailler si au nord. Je m'émerveille aussi de la couleur du ciel, au lever comme au coucher du soleil, avec l'impression de n'avoir jamais observé de tels dégradés auparavant. Aussi, comment ne pas s'extasier devant des aurores boréales ! Je n'ai jamais vraiment rêvé d'avoir la chance d'en observer, mais, n'ayant pu en voir à Fort Mac, j'étais réellement impatient de découvrir ce spectacle de la nature. Et effectivement, quel spectacle surprenant et fascinant que ces voiles verts qui illuminent le ciel endormi. Impossible de ne pas succomber à cet étrange phénomène ! Impossible aussi de prendre des photos qui rendent pleinement justice à ces moments avec un iPhone :(

Une aurore boréale juste au-dessus du camp
Aurores boréales à Fort Smith
Aurores boréales à Fort Smith

Mon nouvel environnement me séduit également, bien plus que Fort McMurray. Fort Smith est une petite communauté (très) isolée, qui peut certainement paraître hostile au cœur de l'hiver. Mais Fort Smith est une ville où il semble faire bon vivre, une ville pleine de quiétude disposant de toutes les commodités. Et Fort Smith c'est surtout une petite citée située au milieu d'un cadre magnifique, bordée au sud par le parc national de Wood Buffalo et au nord par la rivière des Esclaves. Aussi, qui dit petite localité dit police très discrète et prises de libertés. Il n'est par exemple par rare de voir des gens circuler en motoneige sur l'artère principale.

L'artère principale de Fort Smith
Fort Smith et son château d'eau
Territoire des Premières Nations
Un panneau « Stop », traduit en quatre langues
La rivière des Esclaves

En parlant de motoneige, j'ai eu l'occasion d'en faire à mon arrivée. Une première pour moi. Et bordel, quelles sensations !! L'occasion aussi d'explorer les environ et de découvrir des paysages incroyables. Pas encore de quoi me convaincre de rester vivre à l'année dans ce genre d'endroit isolé, mais presque !

Canadian style!
La rivière gelée

Et si, comme moi, vous vous demandez comment les gens font pour descendre leur engin de leur pickup, voici la réponse en images :

Autre première : j'ai eu la chance d'assister au départ d'une course de chiens de traîneau. Alors que celle-ci n'avait plus été organisée depuis quatre ans, ce fut un heureux hasard que d'être présent à Fort Smith au moment de son retour. Et, une nouvelle fois, ce fut une très belle découverte. Contempler ces dizaines de chiens, tous plus excités les uns que les autres, est réellement fascinant.

Jeux d'Hiver de l'Arctique

Et comme le hasard fait souvent bien les choses, Fort Smith accueillait quelques jours plus tard les 23e Jeux d'hiver de l'Arctique, compétition opposant de jeunes athlètes (19/20 ans pour les plus âgés) en provenance de l'Alaska, de l'Alberta du Nord, du Groenland, de la Iamalie, de la Laponie, du Nunavik et des trois territoires canadiens (Nunavut, des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon). Parmi les sports, des classiques tels que le patinage artistique, le ski de fond, le biathlon, le curling, etc. Mais également, aussi surprenant que cela puisse paraître, des sports pas vraiment hivernaux, tels que le badminton, le basketball, le futsal, la gymnastique, etc. Travaillant, je n'ai malheureusement pas pu en profiter réellement, mais j'ai tout de même assisté à des compétitions de sports traditionnels.

Ça balaie dur !

La dizaine de sports de l'arctique proposée peut prêter à sourire, mais ceux-ci offrent de réels exploits sportifs et font partie intégrante de la culture commune de ces peuples.

Conclusion

Ces deux derniers mois de travail à Fort Smith ont été longs, très longs parfois. Déjà de par la météo, joueuse et intraitable, mais surtout parce qu'il ne se passait pas une journée sans que je rêve à la reprise du voyage, à mes différents projets pour les mois à venir. Mais, malgré tout, ce fut pour moi deux mois riches en nouvelles expériences, deux mois qui, à n'en pas douter, me marqueront à jamais. Ce séjour fut également l'occasion d'un premier contact avec des membres des communautés autochtones. Il fut intéressant d'échanger avec eux, pour notamment se rendre compte que ce sont aujourd'hui des Canadiens comme les autres, qui partagent les mêmes codes, la même culture, les mêmes gros pickups, et qui semblent, aujourd'hui, parfaitement intégrés à la société (ce qui n'a pas toujours été le cas).

À l'heure de faire un bilan de ces six mois de travail, je me souviens qu'au moment de ma recherche d'emploi durant la période hivernale, j'avais trois objectifs :

  • Rejoindre une région aux conditions climatiques difficiles.
  • Trouver un emploi manuel, en extérieur, de préférence dans le domaine de la construction, idéalement en lien avec le bois.
  • Gagner suffisamment d'argent pour pouvoir financer mes derniers mois de voyages.

Satisfait de constater que j'y suis parvenu, avec même probablement plus de succès qu'envisagé. Déjà parce que j'ai eu l'opportunité de travailler dans deux villes différentes, dans deux régions différentes, mais aussi parce que j'ai eu la chance de vivre des moments inoubliables. Et aussi parce que je me suis refait une santé financière, en réussissant à mettre beaucoup plus d'argent qu'espéré de côté : en six mois, j'ai gagné environ 23 400 CAD (environ 14 900 EUR au cours actuel), mais surtout, j'ai épargné environ 14 000 CAD (9 000 EUR), alors que j'envisageais, dans le meilleur des cas, entre 8 000 et 10 000 CAD. De quoi voir venir pour les huit derniers mois de mon PVT :)

Unique petite déception : je n'ai pas eu l'opportunité de faire du chien de traîneau. À Fort McMurray, ce n'était pas vraiment possible, aucun musher n'y proposait ses services. Il y en avait bien un à Fort Smith, mais je suis arrivé en fin de saison, et il n'avait plus de disponibilités. Dommage.

La rivière des Esclave, depuis Fort Smith

Au final, ces six derniers mois auront surtout laissé des traces d'une manière bien plus inattendue : mesurant en pouces et pieds quotidiennement, j'ai comme l'impression d'avoir complètement oublié le système métrique. Ça fait combien un centimètre déjà ?!

Et maintenant ?

Mon programme pour les mois à venir se résume en deux mots : road trip ! À mon arrivée au Canada, l'un de mes objectifs était de parcourir le pays à bord d'un van aménagé. Malheureusement, l'acquisition d'un tel véhicule est peu évidente (du fait de la rareté notamment), onéreuse et probablement synonyme d'une facture carburant bien salée. Après un passage par Fort McMurray pour récupérer ma voiture, je vais donc me rendre vers Edmonton et Calgary, les deux principales villes de l'Alberta, pour vendre celle-ci et la troquer contre un véhicule un peu plus spacieux, dans lequel je pourrai installer un matelas pour y dormir dans les semaines à venir. Ça devrait bien faire l'affaire !

Dès que j'aurai fait acquisition de ma nouvelle demeure, direction les parcs nationaux de la Colombie-Britannique, dernière province où je n'ai pas mis les pieds, le territoire du Yukon puis l'Alaska. S'en suivra une traversée du Canada, jusqu'au Québec, puis une traversée des États-Unis avec un passage par nombre de ses parcs mythiques de l'ouest, et enfin une remontée vers Vancouver. Le tout en 4 mois. Ça, c'est la théorie. Rendez-vous en août pour savoir ce qu'il en a été dans les faits :)

« Le mouvement est principe de toute vie. »

– Léonard de Vinci

2 commentaires

TonioPS

Bon courage fobo! Content que tes trois objectifs principaux aient été respectés. Content aussi que ce séjour soit aussi cool et riche.

  • il y a 7 ans
Fabien

GxiGloN

Merci poto ! :)

  • il y a 7 ans
1 Voyage | 108 Étapes
Fort Smith, NT, Canada
454e jour (16/04/2018)
Étape du voyage
Début du voyage : 18/01/2017
Liste des étapes

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