Pour faire le bilan de ces sept semaines de vélo à la conquête du Canada, je vais me la jouer un poil égocentrique avec une liste de questions – réponses à moi-même. Mais avant cela, comme d'habitude, « quelques » chiffres, pour poser le contexte.
Avant mon départ de France pour le Canada en janvier 2017, je sortais d'un été 2016 durant lequel j'avais roulé près de 3 700 kilomètres, essentiellement en montagne (87 000 mètres de dénivelé positif). J'avais également pris part à quelques cyclosportives, plus ou moins importantes. Mais je n'avais aucune expérience de voyage en vélo, avec toute l'organisation que cela implique (matériel, nourriture, camping, etc.). Ma plus longue sortie en date était d'ailleurs de 154 kilomètres (6 500 D+) lorsque j'avais réalisé le tour du Cap Corse en solo. En j'avais fini sur les rotules !
Au regard de mon expérience, j'avais établi un objectif de 70 jours pour effectuer les 7 700 kilomètres de traversée, ce qui correspondait à une moyenne journalière de 110 kilomètres. J'avais compté que, dans le pire des cas, entre fatigue et repos forcé (météo), je roulerais 6 jours sur 7, soit une moyenne de 130 kilomètres par jour roulé. Ce qui m'apparaissait réaliste : ni trop ambitieux, ni trop pessimiste.
J'ai passé les deux tiers de mes nuits en tente, six nuits chez des hôtes rencontrés via la communauté Warmshowers, quatre en hôtel/motel et enfin deux en auberge de jeunesse. Je n'ai donc eu à payer que pour six nuits, à chaque fois à cause d'une météo trop défavorable (pluie et/ou froid). J'ai rarement planté ma tente au milieu de nul part, en dehors d'une ville ou d'un village (de mémoire, uniquement deux fois sur une aire de repos). La plupart du temps j'évitais les campings pour ne pas avoir à mettre la main au porte-monnaie. J'essayais de trouver un lieu à l'écart des regards, en effectuant des repérages via Google Maps la veille. Néanmoins, voyageant en fin de saison, je me suis rendu compte que pas mal de campings (municipaux) étaient toujours ouverts, mais sans personnel d'accueil. Ils demandaient aux campeurs de déposer le montant de la location dans une enveloppe. Du coup, bah… je m'y installais à la tombée de la nuit et partais au lever du soleil, sans payer… Pas très sympa de ma part, mais je ne pouvais clairement pas me permettre de dépenser chaque jour entre 15 et 40 $ pour un bout de gazon.
Lorsque je campais, même lorsque j'évitais de planter ma tente dans un camping, j'essayais tout de même d'en trouver un pour prendre une douche. C'était souvent gratuit. Il m'est également arrivé de demander à me laver dans un complexe sportif. Au final, je n'ai jamais passé plus de deux jours de suite sans trouver à me doucher. Dans ces cas-là, j'utilisais simplement des lingettes pour bébé.
En partant mi-août, je ne mettais clairement pas tous les atouts de mon côté sur le plan météorologique. Mais, avec du recul, je pense avoir malgré tout eu pas mal de chance de ce côté. Si les deux dernières semaines ont été clairement compliquées, j'ai en tout et pour tout eu deux heures de pluie sur les cinq premières. Aussi, j'ai évité les fortes chaleurs, notamment durant la première semaine dans les Rocheuses, grâce à la fumée persistante qui masquait le soleil. Le vent, dont je parlais quasi-quotidiennement, a également été un élément déterminant, parfois démoralisant. Mais là encore, je pense avoir eu pas mal de chance sur ce point, l'ayant peu subit là où il se fait souvent le plus redoutable : dans les plaines. Par contre, tabler sur une arrivée fin octobre était clairement une erreur. Dès la mi-septembre, la météo à l'est du Canada change assez radicalement. J'étais donc bien heureux d'en terminer dès les premiers jours d'octobre.
Déjà, je faisais mes courses au moins une fois par jour, le plus souvent le soir. J'essayais au maximum de fréquenter des grands supermarchés, type Walmart, où je trouvais le nécessaire à moindre frais. En général, je mangeais du gruau et une banane au petit déjeuner, des barres de céréales, des bananes et des bagels avec du beurre de cacahuète (j'en ai mangé des kilos !) la journée. Les premiers jours, je faisais systématiquement du riz en fin d'étape. Puis j'ai abandonné petit à petit, au détriment de repas froids (salade de pomme de terre ou de choux). Plus rapide… Aussi, j'ai assez rapidement commencé à manger tout un tas de sucreries : des donuts, des pâtisseries, etc. J'essayais d'acheter le truc le moins cher et le plus gras possible, m'apportant un sentiment de culpabilité systématique, mais je pense que, moralement, j'avais besoin de ça.
Question assez difficile puisque les difficultés ont pas mal varié au cours de l'aventure. Les premiers jours c'était sans doute les soucis mécaniques à répétition alors que j'étais à peine parti. Ça donnait le ton. Ensuite, la monotonie des plaines et les longues lignes droites étaient – très – difficiles moralement. C'est aussi à cette période que j'ai contracté une tendinite à mon tendon d’Achille gauche, m'obligeant parfois à limiter mes efforts, faute de repos. La traversée de l'Ontario a été une épreuve en soit également : long, vallonné et souvent dépourvu de toute civilisation. Enfin, durant les deux dernières semaines le changement radical de météo a sonné comme un coup de bambou. Je commençais à fatiguer (surtout moralement), j'avais vraiment hâte d'en terminer, et je me vois confronter à plusieurs journées pluvieuses et surtout à une chute des températures.
Mais au final, je pense que l'une des principales difficultés était de devoir camper. Camper, sans moyens financiers, impose tout d'abord de trouver un lieu, le plus souvent sans commodités lorsqu'en dehors des campings (toilettes, douches, table, etc.). Il faut ensuite monter le campement, accepter d'aller se coucher sans avoir pu se doucher et passer une nuit peu reposante. Enfin, chaque matin, il faut tout remballer. Les rares nuits passées au chaud, je me suis réellement rendu compte à quel point cela rendait tout plus facile.
J'ai bien eu quelques pépins physiques : douleurs aux genoux, aux fesses et au dos les premiers jours, irritations dans l'entre-jambe en milieu de parcours et surtout une tendinite au tendon d'Achille gauche qui m'a handicapé durant plusieurs jours. Même si j'ai vécu des étapes vraiment difficiles, où la douleur était réellement handicapante, je pense, avec du recul, que mon corps a dans l'ensemble bien réagi à l'épreuve. J'étais en très bonne condition physique en arrivant au Canada en janvier 2017, mais j'avais quasiment abandonné toute activité sportive ensuite et mon hygiène alimentaire était loin d'être irréprochable durant l'année et demie de mon PVT. J'ai néanmoins réussi à rester relativement en forme, en marchant beaucoup la première année, grâce aux six mois de travaux physiques tout l'hiver, en voyant chaque randonnée comme une bonne occasion de me pousser un peu, etc. Par conséquent, au regard de mon alimentation déplorable durant ces sept semaines (beaucoup de gras et de sucre, peu de légumes, de protéines, etc.), je trouve que mon corps a bien supporté l'effort. Aussi, je me suis vraiment rendu compte que le corps s'adapte très rapidement et monte en puissance. Je n'envisageais pas du tout de faire des étapes de plus de 200 kilomètres par exemple. Ni être capable d’enchaîner plus de deux semaines sans jour de repos (et encore moins en toute fin de parcours). Mais rapidement, rouler a minima 150 kilomètres est devenu ma norme. À noter enfin que durant les deux ou trois premières semaines, je prenais le temps de m'étirer chaque soir, durant 15-20 minutes. Par lassitude, j'ai laissé tomber par la suite, sans pour autant en subir quelconque conséquence. Je n'ai guère été courbaturé que les premiers jours.
Une fois. Lorsque je me suis réveillé au matin du 15e jour, sans être capable de poser le pied gauche, tellement ma tendinite me faisait mal. Je suis de nature optimiste, mais pour le coup, je ne voyais absolument pas comment les choses pouvaient s'arranger suffisamment rapidement pour me permettre de repartir. C'était un dimanche et j'étais dans une petite ville que je ne connaissais absolument pas. Donc je ne savais pas où trouver un médecin et quand bien même j'en trouvais un, je m'attendais à ce que l'on m'impose plusieurs jours de repos. Et il était pour moi inconcevable de rester bloqué ici une semaine à attendre que le temps passe. Je commençais donc clairement à me conditionner à faire face à l'échec, je commençais à réfléchir à comment rejoindre Regina, ville majeure la plus proche, pour prendre un vol pour Paris. Mais j'ai finalement réussi à trouver la force de ranger toute mes affaires, me rendre à l'hôpital et voir ce qu'il en était réellement. Et alors qu'un médecin m'auscultait, mon tendon s'est débloqué, d'un coup. C'était toujours très douloureux mais je pouvais de nouveau marcher. Le médecin m'a indiqué que je pouvais continuer, en y allant doucement et m'a prescrit une pommade fortement dosée. J'ai ensuite passé plus d'une semaine à chercher de la glace en permanence pour l'appliquer sur le tendon…
Lorsque je lisais les récits de personnes ayant effectué la traversée du Canada à vélo, il y avait plusieurs constantes : la monotonie des plaines, la province de l'Ontario qui apparaît comme interminable et la générosité des gens. Si je ne peux qu'être d'accord sur les deux premiers points, le troisième me laisse plus dubitatif. Alors, certes, plusieurs inconnus m'ont ouvert leurs portes, m'ont hébergé, m'ont nourri, et je leur en suis profondément reconnaissant. Mais ce sont des personnes que j'ai sollicité via un site de mise en relation de cyclistes, des personnes qui sont déjà dans un esprit d'entre-aide et de partage. Au quotidien, très rares étaient les personnes à chercher le contact, ne serait-ce que pour discuter. Les rares personnes qui m'ont abordé étaient la plupart du temps eux-mêmes cyclistes. Je retiens bien les deux personnes qui m'ont arrêté pour me donner un billet de 20 $ et surtout le couple qui m'a offert le gîte et le couvert à mon arrivée. Mais au-delà de cela, je n'ai pas eu le sentiment que le fait d'être en vélo m'attirait plus de sympathie que lorsque j'étais avec mon sac à dos l'an passée. Je n'attendais rien de personne, mais j'avoue avoir un peu de mal à comprendre les récits relevant la grande générosité des canadiens. Ayant fait beaucoup de Couchsurfing au début de mon PVT, j'étais peut-être tout simplement déjà plus en phase avec la générosité naturelle qui opère entre voyageurs, entre cyclistes.
Franchement, non. Du moins, pas plus que de faire du vélo chaque jour pour un trajet domicile–travail. Au final, au vu des kilomètres parcourus, je me suis très rarement senti en danger. Avant de partir, j'avais une crainte particulière vis à vis des camions, très imposants, rapides et nombreux sur les routes canadiennes. Mais il s'est avéré que, dans leur grande majorité, ceux-ci font tout leur possible pour dépasser les cyclistes de manière sécuritaire. En réalité, le danger venait clairement de deux types de population : tout d'abord les vacanciers avec leur camping-car ou leur gros pickup et leur caravane. Je ne sais pas pourquoi, mais de manière générale, ces gens semblent dans une incapacité totale à se décaler, même lorsqu'il y a trois voies totalement libres sur leur gauche… Aussi, de trop nombreux automobilistes roulent comme si le cycliste n'existait pas, sans ajuster la distance de sécurité. Par méconnaissance, je-m'en-foutisme ou réelle animosité. Ce n'est pas toujours dangereux, mais ils n'ont pas conscience que ça pourrait rapidement le devenir si l'on doit faire un écart pour une raison X ou Y. J'ai tout de même croisé la route de deux ou trois idiots qui, de toute évidence, m'en voulait de rouler sur leur terrain de jeu et me l'on fait comprendre en passant, volontairement, le plus près possible de moi. Deux automobilistes à qui j'ai fait remarquer leur conduite dangereuse vis à vis de moi m'ont même dit que je n'avais rien à faire sur la route, qu'elle n'était pas faite pour les vélos mais pour les pickups. J'étais en agglomération…
Finalement, il n'y a guère que deux fois où j'ai vraiment, vraiment eu peur. Deux jours de suite, en Ontario, dans un scénario parfaitement identique, alors que je roulais sur une route secondaire 1x1 voie, j'ai été surpris par un(e) automobiliste arrivant en sens inverse et doublant à toute vitesse. La première fois a été particulièrement choquante puisque je roulais sur un accotement d'une vingtaine de centimètres, en mauvais état. J'avais donc les yeux baissés, focalisés sur cette bande d'asphalte, essayant d'éviter tout écart. Au moment de relever la tête, le véhicule en question n'était plus qu'à une poignée de mètres de moi. Ça va tellement vite que je n'ai pas forcément le temps de réfléchir, penser à quoi que ce soit, si ce n'est « Pas bouger ! ». Et le lendemain, rebelote, à la différence près que j'ai eu une ou deux secondes supplémentaires pour voir la voiture arriver…
Coût total de la traversée en vélo : 5 592 $ (environ 3 750 €).
Clairement, je n'avais pas anticipé de dépenser autant d'argent durant cette dernière aventure. J'avais tablé sur un budget de 3 000/3 500 $ maximum, ce qui devait me permettre de rentrer en France avec un peu d'argent. Au final, j'ai littéralement vidé mon compte ! Plusieurs raisons :
Mais cela en valait la peine !
Lorsque j'étais dans le jus, j'étais assez convaincu que jamais, ô grand jamais, l'on m'y reprendrait. Jamais je ne me lancerai dans un nouveau voyage du genre. Mais le cerveau a une telle capacité à oublier les épreuves pour ne garder que le meilleur qu'à peine avoir posé pied à terre, j'ai assez rapidement changé d'avis… Mais si cette traversée était à refaire, ce ne serait pas dans les mêmes conditions. Déjà je partirais plus tôt (juin/juillet), je ne la ferais pas seul et sans l'objectif de la faire le plus rapidement possible. Je pense que j'essaierais également d'y consacrer un budget bien plus conséquent, pour ne pas être obligé de dormir en tente aussi souvent et pour manger plus convenablement.
D'ailleurs, quelques fois, des gens qui ont croisé mon chemin me conseillaient des endroits à voir. Ce à quoi je répondais de manière assez laconique « Merci, mais je n'aurai pas le temps d'y aller. ». Je n'avais pas forcément l'objectif de faire une « performance » lorsque j'ai pensé ce projet. Mais au bout de quelques jours, je me suis rendu compte que j'étais peut-être capable de finir la traversée en 9 semaines. Puis 8. Puis la barre inatteignable des 50 jours est restée un objectif durant un bon moment. Pour finalement terminer en 7 semaines, soit 49 jours. Ayant déjà traversé le Canada à deux reprises auparavant, j'avais décidé de totalement occulté l'aspect découverte du pays, pour me focaliser sur la performance. À titre indicatif, il m'a été dit qu'il faut en moyenne 75 jours aux cyclistes pour réaliser la traversée. Mais je ne serais pas étonné que la moyenne des solitaires privilégiant le camping soit plus élevée.
Je retiendrai essentiellement que ce n'était absolument pas une épreuve physique mais mentale. C'était parfois dur physiquement, mais tout le monde sait faire du vélo. Chacun à son rythme, tout le monde peut être capable d'accomplir ce challenge. Il faut « simplement » être capable d'accepter et de surmonter les épreuves inévitables qui jalonnent un tel voyage. Être capable de prendre les jours les uns après les autres. Savoir composer avec le trafic, les routes monotones, les routes en mauvais état, etc. Réussir à se dire que, malgré la difficulté, la douleur, le désespoir, chaque coup de pédale nous rapproche de notre but. En somme que les seules limites du corps sont celles de l'esprit.
« Combien de gens font quelque chose en quoi ils croient vraiment ? Je voudrais que les gens réalisent que tout est possible ; il suffit d’essayer. Avec de la volonté, les rêves peuvent se réaliser. »
– Terry Fox
Très beau résumé, une performance qui me paraissait irréalisable.. chapeau bas ! Impressionnée surtout par le nombre de km/jour !
et très belle conclusion - citation. Une leçon !
Tu peux rentrer en France mon brave, tenter une autre forme de challenge (je ne sais pas si c'est le but) : vendre un projet, te faire sponsoriser, postuler et réussir des entretiens, l'avenir t'appartient ;)