Un petit tour et puis s'en va. Arrivé seulement la veille sur la belle Île-du-Prince-Édouard, je la quitte déjà au matin de cette 43e étape. À vrai dire, cette province n'était pas au programme dans mon itinéraire initial. Mais je me suis finalement dit qu'une traversée du Canada réussie se doit de passer par chacune des dix provinces. Bien que n'y ayant finalement passé que deux demi-journées (et encore), et même si cela m’a coûté un peu de temps, j'ai réellement apprécié ce crochet. Difficile d'en être autant avec une météo quasi-parfaite et des paysages si singuliers.
Arrivé en Nouvelle-Écosse, le reste de mon étape se déroule à merveille. Ciel bleu, soleil, peu ou pas de vent, beaux paysages. Ayant réussi à embarquer sur le ferry relativement tôt (11h00), je parviens à poursuivre ma journée au-delà de mes prévisions, seulement stoppé par la nuit (une nouvelle fois…). La bonne nouvelle du jour est que j’ai suffisamment progressé pour pouvoir envisager d'arriver dès demain à North Sydney, à l’extrémité est de la province, où un cinquième et dernier ferry m'attend.
Le coucher de soleil est certes joli, mais j'ai planté ma tente derrière une église, à deux pas d'un vieux cimetière et de quelques bois. J'entends de nombreux bruits bizarres, que je n'arrive pas à identifier (j'ai l'impression d'entendre une louve qui essaie d'éduquer ses petits, c'est dire…). Assez déroutants et pas vraiment rassurants, mais je parviens tout de même à trouver le sommeil.
Nouvelle belle journée en Nouvelle-Écosse. Si le soleil se fait plus timide, la température oscille entre 10 et 15 °C. Pas vertigineux mais, en ce premier jour d'octobre, je m'en contente largement !
Après une vingtaine de kilomètres, l’île du Cap-Breton se dresse face à moi. Dernier obstacle avant mon retour à Terre-Neuve. L'île est montagneuse, n'offre que peu de répit, mais la route jusque North Sydney est agréable et m'offre quelques beaux points de vue inédits.
J'arrive finalement à destination avant 17h00, après une belle journée. Départ du ferry : 23h45. Arrivée demain à Terre-Neuve aux alentours de 7h00, pour entamer la dernière ligne de droite de mon aventure !
À noter tout de même que j'ai connu ma première chute aujourd'hui, heureusement sans grandes conséquences. Après m'être arrêté discuter avec un couple de cyclotouristes en bord de route, je manque d'attention au moment de rejoindre la chaussée, et chute bêtement. D'un côté, je trouve étonnant que cela ne me soit pas arrivé plus tôt…
Après une courte et peu reposante nuit, passée sur un siège à peine inclinable du bateau, j'arrive à Terre-Neuve au petit matin. Le soleil se lève à peine lorsque je débarque. Au moment d'attendre mon tour pour quitter le navire, les souvenirs de mon voyage ici-même, l'an passé, me remontent. Probablement l'une des plus belles étapes de mon PVT. Je réalise ensuite tout le chemin parcouru depuis Victoria pour en arriver là. J'y suis. Enfin. Et seuls quelques jours me séparent encore de mon objectif final : St. John's. Moment vraiment émouvant pour moi.
La réalité me rattrape néanmoins très rapidement. Il ne fait guère plus de deux ou trois degrés et un panneau routier me rappelle la distance qu'il me reste à parcourir : 890 kilomètres. Si proche et pourtant si loin…
Terre-Neuve est une très vaste île de 115 220 km² (France : 672 051 km²) ayant une densité de population d'un habitant par km² (France : 100 hab./km²). Autrement dit, en dehors de quelques grosses agglomérations, la civilisation s'y fait rare, voire souvent inexistante. Comme ce fut parfois le cas lors de la traversée de l'Ontario, il risque donc d'être parfois compliqué de cibler les villes étapes et il me faudra faire plus attention à la gestion de mes réserves en nourriture.
Pour cette première étape à Terre-Neuve, j'avais initialement prévu de m'arrêter après 145/150 kilomètres. La ville suivante, Corner Brook, située à plus de 210 kilomètres de mon point de départ me semblant inatteignable. Mais, par la force des choses, débutant cette journée de bonne heure et ayant désormais du mal à me contenter d'étapes aussi « courtes » (au vu de mon parcours jusqu'à présent), je gardais en tête la possibilité de me lancer dans une nouvelle épopée de plus de 200 kilomètres.
Malgré le froid (5° de moyenne) qui m'a gelé les pieds une bonne partie de la journée, une chaussée bien souvent en (très) mauvais état et les 2 000 mètres de dénivelé positif, j'ai finalement réussi à boucler les 217 kilomètres qui séparent Channel-Port-aux-Basques de Corner Brook. Grande satisfaction pour moi, car cela m'assure presque de n'être plus qu'à quatre jours de selle de l'arrivée. Néanmoins, moins satisfaisant, j'ai une nouvelle fois du me réfugier à l'hôtel ce soir. J'avais très froid et ne me voyais absolument pas passer la nuit en tente, par des températures annoncées comme potentiellement négatives. Après deux mauvaises nuits, j'avais également besoin de repos. Encore une dépense largement hors budget, mais qu'importe, le budget est déjà explosé !
Après avoir roulé près de 220 kilomètres la veille, je me suis dit que les 180 kilomètres au programme aujourd'hui devraient être une formalité. Alors, comme à chaque fois que je paie pour passer la nuit au chaud, j'en profite largement le matin. Il faut dire aussi qu'à 8h00, heure à laquelle je prends généralement la route, la température n'excède pas les 2 °C. Ceci dit, lorsque je me monte sur le vélo aux alentours de 10h00, le thermomètre n'a pas bronché. Et ne bougera pas jusque midi… Mais, même s'il fait froid, même si j'ai froid, même si mes pieds sont invariablement gelés, je ne peux guère me plaindre : il ne pleut pas et, dans l'ensemble, le vent est dans mon dos.
Au final, la principale difficulté de cette journée fut de constater, qu'une nouvelle fois, ma roue arrière ne tourne plus vraiment rond et est en train de s'affaiblir petit à petit. Après ma petite chute, il y a deux jours, j'avais noté un rayon desserré (sans vraiment savoir s'il l'était déjà avant ou non). À l'arrivée ce soir, j'en dénombre désormais quatre. Sur un total de 32 (36 sur la roue d'origine), ça commence à faire beaucoup. Et je n'ai évidemment pas d'outil pour y remédier. Autant dire que l'idée de voir la roue plier sous mon poids et celui de mes bagages commence à devenir obsessionnelle… Dans l'immédiat, je fais de mon mieux pour essayer de la sauvegarder, ce qui est loin d'être évident sur ces routes canadiennes.
L'une des journées les plus épiques ! Au départ de South Brook ce matin, et durant les deux premières heures de route, il fait froid, il pleut et il vente. Conditions difficiles, mais je progresse d'un peu plus de 60 kilomètres, avant de m'arrêter pour une pause-café. Si je m'octroyais rarement ce genre de « plaisir » durant les premières semaines, cela devient désormais quasi habituel. Au vu des températures, ça réchauffe et ça fait du bien moral !
La pluie ayant cessé et le soleil pointant le bout de son nez, je me dit que le reste de la journée sera bien plus évident. Jusqu'à ce que l'inévitable arrive : la casse d'un rayon. Au milieu de nul part. La roue arrière est complètement voilée. Elle touche le garde-boue. Impossible de poursuivre sans y remédier. Je décide dans un premier temps d'avancer de quelques centaines de mètres, jusqu'à l'entrée dans d'un petit complexe touristique, où j'espère pouvoir réparer plus en sécurité. Mon idée première est de simplement ôter le garde-boue et de rouler ainsi jusque la prochaine ville, où j'espère trouver un outil pour dévoiler la roue. Mais, comme un miracle, le propriétaire du complexe apparaît immédiatement et me propose d'aller avec ma roue jusque son pickup et de fouiller dans sa caisse à outils ! Quelques minutes plus tard, il revient vers moi et me dit : « Je ne suis pas vraiment tranquille avec le fait que ton vélo et des affaires soient restées en bord de route. Prend le pickup et vas les récupérer ! ». Et c'est parti pour un petit tour de 4x4 !
S'en suivront près de deux heures passées à essayer de redresser la roue. N'ayant jamais effectué ce genre de tâche auparavant, je commence bêtement par resserrer chaque rayon. Résultat : j'ai fait un massacre, c'est encore pire qu'avant !
Heureusement, après un peu plus d'application et après avoir compris comment procéder, j'arrive à un résultat pas trop dégueulasse (en sachant qu'il manque un rayon) :
Si je suis satisfait du résultat et désormais relativement confiant sur la capacité de la roue à m'emmener jusque St. John's, force est de constater qu'il est 14h00 passées et que je n'ai à cet instant progressé que de 70 kilomètres. Gander, la ville où j'ai prévu de m'arrêter ce soir est encore à 115 kilomètres. Autant dire que, même en mettant en application ma devise préférée sur un vélo, « Pédale aussi fort que t'es con ! », j'ai dû m'avouer vaincu lorsque mon ordinateur de vélo est passé en mode nuit, à seulement une petite vingtaine de kilomètres de mon objectif. Qu'importe puisqu'au vu des conditions climatiques difficiles en début d'étape et surtout au regard du problème mécanique, j'ai une nouvelle fois un peu de mal à comprendre comment j'ai pu rouler 166 kilomètres aujourd'hui. Et je pense que cette casse fut au final un mal pour un bien : je suis confiant sur ma réparation et vais cesser de jeter des coups d’œil incessants à cette fichue roue arrière !
L'objectif de cette étape est clairement défini : essayer de rouler au maximum pour me rapprocher autant que possible de St. John's et ainsi pouvoir envisager la dernière journée le plus sereinement possible. Si les quelques goûtes qui tombent au réveil me laisse présager d'une nouvelle journée humide, il n'en est finalement rien. Le soleil revient petit à petit, les températures remontent légèrement au-dessus de la dizaine. Aussi, la chaussée est en relative bon état et le paysage se fait de plus en plus appréciable. Du coup, même si je passe mon temps à monter et descendre des côtes, pas l'temps de niaiser !
C'est finalement un peu avant 18h00, une nouvelle fois pris par la tombée de la nuit, que je conclu une bonne journée de 200 kilomètres et près de 2 000 mètres de dénivelé positif. L'arrivée n'est désormais plus qu'à 176 petits kilomètres !
Ultime étape à la conquête du Canada. Au réveil, difficile de me rendre compte que, sauf incident, cette aventure de près de deux mois prendra fin ce soir. Mais, tout au long de la journée, les coups de klaxon se font largement plus nombreux qu'à l'accoutumé. Même si 99,9 % des véhicules qui me croisent restent indifférent à ma présence (ou du moins ne se manifestent pas), j'imagine que ces exceptions comprennent l'objet de ma présence sur la route de St. John's, ce qui m'aide à réaliser petit à petit. Et m'émeut parfois. Aussi, un vieil homme m'arrête (en pleine descente ce con !) et me demande si je roule pour une cause. Et même si je lui explique être mon unique moteur, il me donne un billet de 20 $ en me disant : « Tu mangeras un bon fish and chips de Terre-Neuve ce soir ! ». Woaw, avec plaisir ! (Je lui ai tout de même demandé si j'avais le droit de m'accorder une petite bière avec :D).
Étrange sensation lorsqu'à environ 60 kilomètres de l'arrivée, je quitte définitivement la transcanadienne pour rejoindre une route secondaire. L'impression d'en avoir terminé, que l'arrivée est toute proche, alors qu'il me reste encore plus de 2h30 de selle. Heureusement, ces derniers instants passent relativement vite. Je retrouve des paysages assez lunaires que j'apprécie beaucoup, vraiment typiques de Terre-Neuve. L'état de la route est de plus en plus mauvais, mais à ce moment-là, je m'en fiche pas mal, je n'essaie plus vraiment de ménager ma monture, j'essaie juste de pousser le plus possible sur les pédales, histoire de me faire violence et de soigner ma moyenne kilométrique, une ultime fois.
Après une ultime côte qui, comme un symbole, s'est avérée être la plus abrupte escaladée depuis Victoria, j'accède finalement à Cape Spear, le point le plus à l’est de l’Amérique du Nord. 16h23, fin du voyage. Putain, je l'ai fait ! :)
Au moment de poser pied à terre, je ne sais pas vraiment comment réagir, que penser. Alors que je m'attendais à verser une petite larme, à être submergé par l'émotion, je me retrouve en réalité un peu sonné. Je suis seul, face à l'océan. Quelques personnes autour vivent leur vie, profitent du paysage, mais personne à mes côtés pour profiter de cette fin de périple avec moi. Je ne sais pas vraiment que faire. Rester ici à contempler l'océan, refaire le chemin parcouru durant ces sept semaines ? Remonter sur le vélo pour rejoindre le centre-ville de St. John's ? Je suis un peu perdu. Mais comme souvent, il suffit de laisser faire le destin ! Un couple de jeunes retraités m'approche pour entamer la discussion. Ils me donnent tout d'abord, à leur tour, 20$, avant de finalement m'inviter et de me conduire chez eux pour la nuit. Que dire, si ce n'est « Woaw, quelle fin de voyage ! ».
Cette dernière semaine se découpe en deux phases bien distinctes : en terminer avec la partie continentale du Canada durant les deux premiers jours, puis cinq derniers jours sur l'île de Terre-Neuve. Cette première phase s'est dans l'ensemble très bien passée. Les routes et les paysages sont agréables, il fait frais mais la météo est relativement clémente. C'est avec un jour d'avance sur mes prévisions que j'ai finalement embarqué sur le dernier ferry.
La seconde phase à Terre-Neuve a été un peu plus délicate à gérer, pour plusieurs raisons. Tout d'abord la météo, qui s'était largement gâtée : de la pluie quasiment tous les jours, mais surtout des températures de plus en plus basses qui m'ont contraint à dormir à l'hôtel durant deux des quatre nuits. Aussi, Terre-Neuve est une terre très sauvage, où l'on roule souvent sans croiser la moindre habitation durant des dizaines de kilomètres. Enfin, j'ai roulé pendant cinq jours sur la même et unique route, en croisant régulièrement des panneaux annonçant les principales villes à 100, 200, 300, … 900 kilomètres. Pas forcément l'idéal pour trouver la motivation.
Malgré ces derniers défis, et malgré de nouveaux pépins mécaniques qui m'ont apporté un peu de stress, c'est finalement après 49 jours que j'en termine avec ma traversée du Canada à vélo. Deux jours en avance sur mes dernières estimations effectuées en fin de semaine dernière, mais surtout trois semaines plus rapidement que dans mes plans initiaux. Avec près de 1 300 kilomètres roulés durant les sept derniers jours, je réalise aussi ma plus grosse semaine depuis mon départ. Une dernière semaine durant laquelle j'ai par ailleurs grimpé autant que durant la première dans les montagnes rocheuses. C'est dire si c'était casse-pattes !
C'était long. C'était dur. Mais je suis fière d'achever mon PVT de cette manière :)
« Faites seulement une fois ce que les autres disent que vous n’êtes pas capable de faire, et vous ne ferez jamais plus attention à leurs limitations. »
– James Cook